Les marionnettes du colonialisme marocain

Les accusations de trahison ou l’épithète de traître abondent dans l’histoire politique ou culturelle du monde. Si elles ont déjà été les objets d’études dans le champ littéraire ou en histoire médiévale et moderne, ces notions de traître et de trahison demeurent peu abordées pour la période contemporaine.
En apparence, la trahison répond à une définition simple. Elle correspond à l’abandon de la fidélité – à un individu, à une institution, à une faction, à un groupe politique et a, en règle générale, comme corollaire l’abjuration, le passage à l’adversaire ou la rupture de ses anciennes solidarités, amitiés ou principes.

La trahison n’est pas une émotion. C’est le geste d’une autre personne lorsqu’il est vécu ou interprété comme brisant une loyauté. Pour qu’il y ait trahison, il faut qu’il y ait déjà un lien et il faut que ce lien implique une fidélité quelconque.

Dans tous les mouvements de libération, le châtiment des traîtres visait à « éliminer les méchants et les traîtres » qui aidaient les ennemis étrangers contre leurs frères, ainsi que les réfractaires dont le refus d’obéissance n’était pas moins dangereux pour le succès de la révolution : « se désintéresser de la lutte est un crime, contrecarrer l’action est une trahison », déclarait le premier appel de l’Armée de Libération Nationale d’Algérie, du 31 octobre 1954. Le châtiment des traîtres et des réfractaires était une nécessité militaire, pour gagner la guerre du renseignement et de la propagande contre le pouvoir colonial en supprimant ou en terrorisant ses auxiliaires. C’était aussi une nécessité politique, pour substituer la loi des « rebelles » à celle du pouvoir colonial. C’était enfin un devoir d’imposer la lutte et la conscience nationale à tous les citoyens en identifiant les « traîtres » à des ennemis.

Les modalités du châtiment étaient souvent cruelles (pendaison, égorgement, mutilations), pour déshonorer le corps de la victime et pour décourager ses proches de la venger. En effet, une punition morale devait accompagner la douleur physique en démontrant l’horreur du crime par celle du châtiment, de sorte que chacun préférât mourir en patriote plutôt que mourir en traître.

Dans le cas du Sahara Occidental, le mouvement de libération national, le Front Polisario a toujours été très indulgent avec les traîtres, que ce soit pendant la guerre contre le colonialiste espagnol ou contre l’envahisseur marocain.

Khalihenna Ould Errachid, le champion des traîtres, ne fut jamais inquiété. A l’époque espagnole, c’est lui qui dirigeait le PUNS (Parti d’Union National Sahraoui) une création de l’Espagne pour fonder un état sahraoui étroitement lié à la métropole. Il a rallié le Maroc avant même que celui-ci s’installe au Sahara. Aujourd’hui, désigné à la tête du CORCAS, on le voit partout en défense des thèses marocaines. Dans les réunions de Manhasset, il a pu serrer la main à tous les dirigeants sahraouis présents. Cela l’a même rendu plus insolent que jamais. Bien sûr, malgré qu’il est le maire de la ville d’El Aaiun, il n’est presque jamais là. Sa maison principale est à Rabat. Peut-être qu’il a peur d’une certaine représaille des jeunes militants de la capitale sahraouie, qui depuis 1999, est témoin sans cesse de manifestations pro-indépendantistes. Ould Errachid n’est pas un homme cultivé et, intellectuellement, ne pose aucun risque, mais son dévouement aux autorités marocaines est certain. Grâce à cela, il est devenu l’un des hommes les plus riches au royaume alaouite.

Par contre, Mohamed Cheikh Biadillah, un homme sérieux, travailleur et intelligent. Malgré sa nature discrète, apparaît comme le modèle de trahison que les colonialistes s’amusent à appeler intégration. De ministre de la santé a été propulsé comme une fusée pour remplacer Fouad Ali Himma, l’ami et main droite du roi Mohamed VI, à la tête du PAM. De la sorte, il est passé à occuper le devant de la scène à cause de ses origines. « Je ne suis pas le sahraoui de service », dit-il. Pourtant, parmi tous les leaders de partis dépêchés à plusieurs capitales du monde pour expliquer la position du Maroc sur le conflit du Sahara Occidental, seul le nom de Biadillah a eu, dans un premier temps, l’honneur d’être mentionné. Et d’être reçu personnellement par le roi. Et puis, la première réunion de son parti a eu lieu à la ville d’El Aaiun. Sa nomination sera suivie de toute une série de déclarations sur le projet marocain d’autonomie et de la régionalisation. Drôle de hasard.

La ressemblance avec son frère, Brahim, est étonnante. Ce dernier est le commandant de la deuxième région militaire du Front Polisario. Son militantisme, combativité et courage sont irréprochables. Mais il se trouve de l’autre côté du mur de défense marocain qui encercle les villes sahraouies.

D’après Paul Léautaud, la trahison peut être le fait d’une intelligence supérieure, entièrement affranchie des idéologies civiques. Mohamed Cheikh n’est, certainement pas, plus intelligent que son frère. Affranchie des idéologies civiques? Peut-être. Ce qui est sûr, c’est qu’il n’a jamais cherché à confronter les responsables du Front Polisario jusqu’au jour où les autorités l’ont mis devant le fait accompli : Il a dû surveiller les notables sahraouis chargés de l’identification du corps électoral pour le réferendum qui n’a jamais eu lieu. Avec cette nouvelle mission dont le Maroc espère tirer grand profit, il est sûr qu’il se trouvera à la table en face des négociateurs sahraouis dans le prochain round.

Selon le romancier et critique littéraire français, André Thérive, « en politique, il n’y a pas de traîtres, il n’y a que des perdants ». S’agissant de Biadillah et Ould Errachid, une chose est sûre: ils ont perdu l’affection de leur peuple et le noble idéal de se battre pour la liberté.

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