L’Espagne doit se protéger contre le Maroc

Le Maroc a toujours réclamé son rôle de puissance dans l’Afrique du Nord. Ce rêve est impossible sans les richesses naturelles du Sahara Occidental, raison pour laquelle l’annexion définitive de ce territoire a toujours été le premier point dans son agenda. Pour la concrétisation de ce but, le soutien du gouvernement espagnol est vital, surtout depuis 2002, année dans laquelle, le Conseil de Sécurité a reçu l’avis du Secrétaire général adjoint aux affaires juridiques, Hans Corell, sur la légalité des décisions qu’auraient prises les autorités marocaines concernant l’offre et la signature de contrats de prospection des ressources minérales au Sahara occidental passés avec des sociétés étrangères.

Pendant longtemps, Le Maroc a fait pression sur l’Union Européenne en remettant constamment, sous des prétextes divers, la signature de nouveaux accords de pêche dans le but de monnayer la signature de nouveaux accords contre un abandon par l’Espagne, principal bénéficiaire de ces accords, et par le Parlement Européen, des lois et principes de la Communauté Internationale qui fondent le droit à l’autodétermination du peuple sahraoui. Une politique de chantage que constituent la permissivité des autorités marocaines vis-à-vis de l’immigration illégale, leur passivité face au trafic de drogue à travers le détroit de Gibraltar, la revendication de Ceuta et Melilla, les accords de pêche et enfin, le problème de la monarchie menacée, qui apparaît toujours en toile de fond. Une politique de chantage du Maroc qui continue même au bout de 34 années.
Le talon d’Achille de l’Espagne vis-à-vis du Maroc est représenté par sa volonté de garder les présides de Ceuta et Melilla et de sauver des possibilités de pêche pour sa flotte.
L’instrumentalisation par le Maroc de ces dossiers pour faire pression dans le dossier du Sahara Occidental a généré des tensions cycliques entre les deux pays au point qu’un journal marocain à gros tirage et lié à un parti au gouvernement a demandé dans son éditorial que l’organisation ETA soit soutenue pour faire pression sur l’Espagne dans le dossier du Sahara occidental. Devant cette situation, la politique de tous les gouvernements espagnols est de s’abriter derrière les Nations Unies et leur doctrine. Celle-ci affirme que le processus de décolonisation ne sera pas achevé tant qu’un référendum d’autodétermination n’aura pas eu lieu. Cette position est considérée par le Maroc comme un soutien tacite au Front Polisario, alors que la France et les Etats Unis donnent leur appui à Rabat. Le dossier du Sahara Occidental est capital pour la monarchie marocaine. Conséquence : depuis la fin des années 90, les relations entre les deux pays vont de tensions en crises :
Janvier 1992, le Parlement européen bloquait le quatrième protocole financier avec le Maroc en raison des atteintes aux droits de l’homme et de l’affaire du Sahara occidental. En représailles, le Maroc décide de geler l’accord de pêche, vital pour les pêcheurs européens, surtout espagnols.
Avril 1994. Le Maroc met fin à l’accord de pêche avec l’UE un an avant la date initialement fixée (avril 1995) et provoque un grave problème social en Espagne.
Novembre 1995. Renouvellement de l’accord de pêche jusqu’à 1999, mais le Maroc signale à plusieurs reprises que cet accord ne sera pas renouvelé après son expiration le 30/11/99.
Novembre 1999. Fin de l’accord de pêche et des négociations frustrées pour son renouvellement pendant plus d’un an.
Juin 2000, le ministre Josep Piqué est reçu à Rabat. Mohamed VI, avec un ton menaçant lui dit que l’Espagne n’a pas encore de problème de terrorisme islamique, mais dans l’avenir elle risque de connaître des attentats similaires à ceux du Kenya et de la Tanzanie en 1998.
Avril 2001 : Le Maroc refuse de renouveler l’accord de pêche signé avec l’Union Européenne dont avaient besoin les pêcheurs espagnols. Le gouvernement espagnol a interprété cela comme un geste clair de mauvaise volonté qui engendrera la pire crise hispano-marocaine des dernières années. Au mois de mai, le gouvernement espagnol demande à l’UE des sanctions contre Rabat.
Septembre 2001 : Echange d’accusations entre le ministre espagnol des Affaires Etrangères et le roi du Maroc sur la responsabilité de l’immigration illégale et le trafic de drogues.
Octobre 2001. Référendum dans 200 municipalités andalouses sur l’indépendance du Sahara Occidental. Sans avis préalable, l’ambassadeur marocain à Madrid est appelé aux consultations pour un temps indéfini. Le Maroc annule unilatéralement le sommet de haut niveau prévu avec l’Espagne.
Avril 2002 : Au cours de la présidence espagnole de l’Union Européenne, José Maria Aznar s’est rendu à Valence pour assister personnellement à la signature de l’accord d’association entre l’Algérie et l’Union Européenne, conclu en marge de la conférence Euro-Méditerrannée. En se rapprochant de l’Algérie, le gouvernement de José Maria Aznar a cessé de privilégier le Maroc sur le plan bilatéral avec la signature d’un traité d’amitié et de bon voisinage avec ce pays, similaire à celui signé en 1991 avec le Maroc et en 1995 avec la Tunisie. Une priorité est accordée aux relations avec l’Algérie – un pays clé pour garantir l’approvisionnement énergétique espagnol- s’est accompagné du lancement de grands projets d’infrastructure comme la construction d’un second gazoduc qui, à la différence du gazoduc Maghreb Europe, reliera les gisements algériens avec le réseau espagnol de gaz naturel sans passer par le Maroc.
Juin 2002 : Les autorités marocaines expulsent une délégation de parlementaires et journalistes espagnoles d’El Aaiun.
Hassan II avait décidé d’engager « la moisson d’une année de naissance au Maroc » pour les sacrifier dans la Marche Verte. Mohamed VI et ses courtisans ont retenu la leçon, mais ils n’ont pas la moitié du talent du roi défunt, ni de ses capacités de prévision ni de manœuvre diplomatique. Ils ont poursuivi sa politique de chantage, mais avec les développements du conflit du Sahara Occidental, ils ont décidé de passer à la vitesse supérieure. Au mois de juillet 2002, le gouvernement marocain décide l’invasion de l’îlot Persil, à moins de 10 km de Ceuta, décision qui a failli déclencher un conflit armé entre le Maroc et l’Espagne. L’invasion de l’Ilot Persil était la réponse marocaine au refus du président Aznar à la politique marocaine de chantage.
Le 7 octobre 2001, le bras droit d’Oussama Ben Laden, Ayman Zawahiri, appelle les « fidèles » d’Al Qaida, notamment ceux établis au Maghreb et dans le sud d’Europe, à déclarer le Jihad pour « reconquérir l’Andalousie ». Ce discours diffusé sur Internet et l’attentat du 12 octobre 2002, où 202 personnes sont tuées dans un hôtel de Bali fréquenté par les espagnols donnera aux autorités marocaines l’idée de jouer sur la peur espagnole du terrorisme. Les attentats du 16 mai 2003 qui ont visé la Maison de l’Espagne à Casablanca vont être le moyen le plus efficace pour « convaincre » Madrid que le « danger » se trouve devant leur porte. Le fait que les auteurs de ces attentats soient des marocains qui résidaient en Espagne avec leurs familles et en toute légalité a suscité beaucoup d’interrogations. Les faits coïncident avec la nomination de l’Espagne au poste de membre non-permanent au Conseil de Sécurité et la publication de l’avis du Comité Juridique des Nations Unies qui rappelle que l’Espagne est la puissance administrante de droit du territoire sahraoui et que l’Espagne ne pouvait unilatéralement par les accords de Madrid de 1975 transférer au Maroc et à la Mauritanie ni son statut de puissance administrante, ni une quelconque souveraineté sur le territoire aux pays concernés et que seul un référendum d’autodétermination de la population du territoire non autonome met fin au mandat de la puissance administrante. Au mois de juin, le Maroc refuse le plan de paix proposée par l’envoyé spécial des Nations Unies au Sahara occidental, M. James Baker, obligeant celui-ci à démissionner.
Avec les attentats de Casablanca, Rabat a réussi à transformer la menace intégriste en ennemi commun hispano-marocain. Ainsi en décembre 2003, aura lieu une réunion de haut niveau à Marrakech sur immigration illégale, souveraineté territoriale, agriculture, pêche et terrorisme.
Trois mois après, la date du 11 mars 2004 a été choisie pour commettre l’attentat le plus meurtrier jamais connu en Espagne et qui s’est soldé de la mort de 191 personnes et des centaines de blessés. Sa synchronisation avec les élections législatives bouleversa les résultats des celles-ci et s’est payé la tête de José Maria Aznar, considéré par le Maroc comme l’ennemi numéro un à cause de ses positions sur le Sahara Occidental. Son successeur, José Luis Zapatero annonça une nouvelle étape dans les relations avec le Maroc et son premier déplacement à l’étranger a été pour rencontrer le roi Mohamed VI à Rabat et lui assurer de son soutien à la proposition marocaine d’autonomie pour le Sahara.
Depuis cette date, Le Maroc jouera la carte de la menace terroriste pour maintenir son occupation au Sahara Occidental. Rabat a fini par « convaincre » l’Espagne et espère convaincre l’Occident qu’il demeure un acteur incontournable dans la sécurité de la région. Il donne pour preuve les attentats qui ont eu lieu à Casablanca et l’annonce régulière d’arrestations de personnes qui seraient liés à des groupes affiliés à Al-Qaida : Ansar Al-Islam fi Assahra oua bilad al-moulattamin, Salafia Jihadia, Groupe Islamique Combattant Marocain, etc. Cela au moment où le Maroc, un des plus grands alliés des ennemis d’Al Qaida, les Etats-Unis et Israël, n’a jamais connu d’attentats similaires à ceux qui ont secoué l’Algérie.
La menace terroriste est aussi l’arme sortie par Rabat pour contrecarrer la pression exercée par l’UE et les organisations des droits de l’homme. En effet, en 2007, Le Maroc a été épinglé par Amnesty International, Human Rights Watch, la Commission des Nations Unies pour les droits de l’homme, ainsi que par le Parlement Européen pour sa répression contre les sahraouis. Des faits qui risquent de retarder les négociations sur le statut avancé pour le Maroc.
Zawahiri est venu en son secours avec un nouvel appel pour reconquérir l’Andalousie. Suite à cela, les autorités marocaines annonceront le démantèlement d’une cellule appelée « Fath Al Andalous » (Reconquête de l’Andalousie) sans oublier de préciser que cette cellule a choisi la ville de El Aaiun, capitale du Sahara Occidental, comme chef-lieu.
Lors de la crise provoquée par la grève de la faim de la militante sahraouie, Aminatou Haidar, au mois de novembre dernier, le chef de la diplomatie marocaine, Taïeb Fassi Fihri ne manquera pas de sortir de nouveau les menaces contre l’Espagne. Au même temps, trois coopérants espagnols ont été enlevés en Mauritanie. Encore une preuve sur le parallélisme évident entre les évènements en Espagne et le conflit du Sahara Occidental. A chaque fois que l’Espagne s’apprête à un certain protagonisme, un incident important se produit. L’agression de l’îlot Persil, lorsque l’Espagne allait devenir membre du Conseil de Sécurité et se préparait pour la présidence de l’UE en 2003. En 2010, Zapatero assume cette mission et le Maroc sort un nouveau dossier : L’indémnisation de l’ancienne troupe marocaine qui a combattu avec Franco contre les républicains espagnols.
Aujourd’hui, Moratinos, conscient de cette réalité, est venu demander de l’aide auprès de la Commission Politique de l’Assemblée Française. La France et l’Espagne qui ont une « influence sur le Maghreb » doivent assumer « des responsabilités » pour avancer vers la solution du conflit du Sahara Occidental, dit-il.
Photo : Les auteurs de l’attentat de Madrid du 11 mars 2004

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