Pour des générations entières d’Algériens qui ont connu les affres de l’exploitation et de l’humiliation coloniales, le mot indépendance avait un caractère sacré, voire magique. Des femmes et des hommes ont été emprisonnés, torturés et parfois tués plus d’un siècle durant pour avoir œuvré à son avènement. Il semblait alors que par le simple fait de la voir advenir, la nuit coloniale pour reprendre l’expression de Ferhat Abbas allait se laisser dissiper par une aube de promesses. Etre maître chez soi autorise même les échecs. «Il vaut mieux la djellaba de chez moi que le bracelet de l’étranger», chante à raison Chérif Kheddam. Près d’un demi-siècle après le recouvrement d’une souveraineté usurpée, l’Algérie a, certes, connu des hauts et des bas mais avoir son Etat, son drapeau, les attributs de la liberté est un socle important. La vie des nations est ainsi faite. Aux rêves peuvent succéder des cauchemars, les déceptions peuvent se relayer avec les enthousiasmes. L’Algérie a pu trébucher sur les chemins de l’Histoire mais l’essentiel est là pour se relever et repartir. Elle a toujours préservé sa souveraineté même dans les pires moments. Trois générations se sont succédé depuis 1962. La première dans l’enthousiasme et malgré les doutes des premières années a reconstruit le pays. L’Algérie faisait entendre sa voix et des institutions, des écoles et des usines ont été bâties. Un virage a été amorcé dès le milieu des années 80 mais sans grands impacts sur la vie institutionnelle de la nation. Il s’agissait plutôt de s’adapter à un monde alors en pleine mutation. La société avait d’autres besoins qu’il fallait satisfaire. La génération qui a vécu avec intensité et intérêt les réformes durant cette décennie a été témoin d’une séquence historique où le rêve d’émancipation collective commençait avec l’instauration du multipartisme à prendre forme. Le 5 juillet était alors toujours célébré comme un moment de ferveur et de ressourcement. La véritable brisure est survenue avec la parenthèse tragique ouverte par le terrorisme qui a commis de véritables génocides dans les villes et villages. Le véritable drame au-delà des souffrances et des pertes humaines et matérielles était pourtant ailleurs. Toute une génération qui n’a connu que la violence instillée à fortes doses dans le corps social fut privée des repères qui fondent son identité historique. D’autres référents sont venus se greffer sur le moi national fortement perturbé. Le mouvement amorcé depuis quelques années vise à nouveau à doter la société et le pays d’un nouvel élan. Ayant momentanément douté de ses capacités, le pays renoue avec l’espoir et la volonté de construire. Le vrai sens de l’indépendance n’est plus réductible à l’entretien de la mémoire mais à la satisfaction progressive des droits et besoins de l’Algérien.
HORIZONS, 4/7/2010
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