Guinée-bissau : Le narco-Etat en ligne de mire ?

Antonio Pacheco 

Le pays est au centre du trafic de drogue entre Amérique latine et Europe. Les habitants attendent une intervention armée extérieure pour y mettre fin.
Correspondant en Afrique lusophone Le 25 juin dernier, dans une décision considérée comme une « provocation » par la communauté internationale, le président de Guinée-Bissau, Malam Bacai, a nommé le peu recommandable général Antonio Indjai commandant des forces armées. Considéré comme un des principaux responsables du dernier coup de force au sein de l’armée de l’ancienne colonie portugaise, le 1er avril dernier, qui a renversé le chef d’état-major, l’officier était jusque-là « numéro 2 » de l’armée.
Le général Indjai, qui parle uniquement le créole, est installé dans les casernes de Mansoa, qui abritent une unité spéciale, constituée de ses fidèles et jugée particulièrement efficace, à 60 km de Bissau, d’où il contrôle l’accès à la capitale.
Une lettre des bailleurs de fonds, rendue publique à la veille de la nomination d’Antonio Indjai à la tête de l’armée, exprimait la stupeur et la condamnation de la communauté internationale devant la possibilité d’un tel choix. Le général Indjai s’était notamment illustré en menaçant publiquement la population de Bissau de massacre. L’officier mutin avait porté de graves accusations contre le Premier ministre et le chef d’état-major en fonction, jetant ce dernier en prison, où il se trouve toujours.
Le coup de force du 1er avril fut aussi organisé par Bubo Natchubo, ex-comandant militaire de la marine. Il est intervenu à partir des installations des Nations Unies à Bissau, où il s’était refugié – dans une démarche très peu claire pour la force de casques bleus! Bubo Natchubo est considéré par Interpol comme un des « barons » locaux de la drogue, de même que le chef d’état-major de l’aviation.
Il y a des indices de connexions anciennes et importantes entre des secteurs de l’armée et les différents circuits illégaux de narcotrafic et de fourniture d’armes aux mouvements rebelles de Casamance (Sénégal). Tous les assassinats de militaires et cadres politiques des dernières années, singulièrement depuis l’assassinat du president Nino Viera, en mars 2009, semblent, selon des rapports de l’Onu, le résultat de guerres intestines pour contrôler les circuits de la drogue.
L’administration bissau-guinéenne défend régulièrement le bien-fondé du combat contre la drogue, sans que l’on sache en quoi il consiste. Régulièrement, le chef de l’Etat, le gouvernemernt et les cadres supérieurs relancent l’alerte au sujet du risque, pour le pays, de devenir un « narco-Etat » en « exigeant » des bailleurs de fonds un financement pour mieux combattre cette plaie.
Pour le trafic, les chefs militaires disposent d’un réseau constitué par les soldats, recrutés surtout dans une logique de fidélité tribale. Des pêcheurs et agriculteurs sont associés au système dans la même logique ethnique. Et les moyens de l’armée sont mis au service du transport de la drogue.
Le trafic est une tradition locale, qui commence parmi les respectables « mamas » qui font la navette entre Bissau, Paris et Lisbonne. Avec l’ archipel des Bijagos (un site protégé par l’Unesco) et des centaines d’ilôts isolés le long des fleuves, ce pays est l’endroit idéal pour garder la cocaïne de Colombie destinée à l’Europe. Une communauté importante d’immigrés des pays voisins (Mali, Mauritanie) assure les liaisons vers le nord-ouest (Maroc et Iles Canaries), d’où la drogue part pour l’Europe. Les autorités américaines affirment qu’il existe des liens entre les Farc de Colombie et des organisations sahéliennes proches d’Al Qaeda, qui garantissent le transport de la drogue dans le Sahel.
Les observateurs internationaux considèrent probable une prochaine intervention armée extérieure, comme ce fut le cas au Panama au temps de Bush père, pour éradiquer le narco-Etat guinéen; une telle opération pourrait rassembler les Etats-Unis et une force d’intervention d’alliés africains connaissant la Guinée, soit l’Angola, voire le Cap Vert.
Les partis politiques proches du pouvoir militaire commencent à en parler; ils rejettent ce risque pour la souveraineté du pays. Mais des Guinéens de la rue en parlent ouvertement comme d’un espoir. 
La Libre.be, 19/7/2010

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