Dans le cadre d’une mission au Sahara Occidental du 28 au 4 novembre dernier l’AFASPA et France Libertés se sont rendues notamment à Dakhla.
Les personnes rencontrées témoignaient pour la première fois à des organisations de défense des droits de l’Homme. La présence ostensible des voitures banalisées de la police marocaine devant la maison où nous nous trouvions, n’a pas découragé ceux dont l’histoire passée et présente doit impérieusement être racontée.
Je m’appelle Mahjoub Ould Cheikh Ben Mohamed Fadel, je suis né en 1965 à Dakhla au Sahara Occidental. J’avais trois frères et une mère, il me reste mon père et mes deux sœurs.
Mon frère aîné Cheikh a été fait prisonnier par l’armée mauritanienne pendant l’invasion du sud du Sahara en 1976.
En 1980 il est remis au Front Polisario. Il participe à la guérilla contre le Maroc, et meure en 1982 lors de la bataille de Smara.
Selon les rumeurs Cheikh aurait eu un fils qui vivrait à Tindouf dans les camps de réfugiés, mais nous n’en savons pas plus.
Mon deuxième frère, Abdel Jilil est né en 1960, il était homme de ménage au titre de la promotion nationale , et travaillait dans la maison d’un colonel.
En préparation de la visite officielle du Roi Hassan II à Dakhla, le 4 mars 1980, des marchandises ont été acheminées par bateaux.
Des agents municipaux se sont présentés chez nous, avec une personne qui travaillait avec mon frère : Ahmed ould Karreb mort il y a trois ans des suites de l’explosion d’une mine.
Ils ont dit à mon frère qu’ils avaient besoin de lui pour décharger la marchandise des bateaux au port de Dakhla, c’était un dimanche. Abdel Jilil les a suivi, il était 7 heures.
A 11 heures, une de ces personnes nous a informé que mon frère avait été victime d’un accident provoqué par une grue, et qu’il avait été transporté à l’hôpital militaire.
Nous nous sommes tous précipités à l’hôpital. Mais l’entrée étaient interdite par des officiels dont le gouverneur et le pacha de Dakhla, les responsables de la DST, et de la gendarmerie.
Nous avons attendu devant l’hôpital. A 15 heures, on nous a informé que mon frère avait quitté l’hôpital, et qu’un avion militaire l’avait évacué vers l’hôpital Souissi à Rabat.
Nous ne savions pas alors où se trouvait Rabat, nous n’avions jamais voyagé. Nous n’avons pas retrouvé mon frère.
Nous avons continué à le chercher. Les autorités nous répondaient parfois que Abdel Jilil était soigné en France, d’autres fois qu’il était à Rabat.
En 1984, les autorités de la willaya nous ont ordonné de leur remettre notre livret de famille. Lorsqu’il nous a été rendu, mon frère apparaissait comme étant décédé à Dakhla en 1980.
Quel médecin a-t-il constaté la mort de mon frère ? Quelles ont été les circonstances de sa mort ? Pourquoi nous a-t-on dit qu’il était blessé et soigné ? Dans quelle terre repose-t-il ?
Pourquoi sont-ils venus chercher mon frère ? Pourquoi la marine royale marocaine avait elle besoin de Abdel Jilil ? Qui va nous répondre ?
Nous avons écrit à toutes les autorités marocaines. La gendarmerie nous a répondu qu’elle ne pouvait enquêter à l’hôpital militaire et à la promotion nationale, car les archives ne sont pas conservées au delà de dix années.
Mon père et moi avons été convoqués il y a quelques mois au commissariat de la police judiciaire. Ils nous ont interrogés sur nos démarches devant le Conseil Consultatif des droits de l’Homme pour faire reconnaître la disparition de mon frère. Ils nous ont menacé. Aucune réponse.
J’ai été arrêté le 14 août 1980 avec d’autres Sahraouis et emprisonné à la prison El Rahib pendant huit mois, d’autres y sont restés 11 années.
A ma sortie j’ai retrouvée une mère malade, en état de choc, terrorisée. Elle ne parla plus jusqu’à sa mort en 1982 à Laayoune, intervenue trois mois après le décès de mon troisième frère.
En 1989, j’ai été arrêté une nouvelle fois, aux environs d’Oujda au Maroc et emprisonné dans une caserne pendant un mois et demi. J’ai ensuite été transféré à Derb Moulay Chrif à Casablanca.
Pendant plusieurs mois j’y ai subi des actes de torture. Ma dignité a été violée parce que l’on me reprochait d’avoir essayé de rejoindre le Front Polisario.
On m’a ensuite transféré dans une caserne à Laayoune, j’y suis restée un mois. Puis, au PC-CMI à Dakhla, j’ai été de nouveau torturé pendant 16 jours. Le 16 février 1990 j’ai été libéré.
J’ai perdu l’emploi que j’occupais dans l’administration à Fez.
Je suis un paria, on m’a déchu de fait de tous mes droits. Je ne peux faire aucune démarche administrative. La police qui me persécute quotidiennement m’a prévenu : « ne te fatigue pas tu n’as aucun droit ».
Mon passé est dévasté, mon présent est confisqué.
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