La guerre médiatique du terrorisme

ETUDE
La guerre médiatique du terrorisme (1re partie)
La douloureuse expérience de l’Algérie avec le terrorisme s’est accompagnée d’un phénomène assez paradoxal qui a mis en peine tous nos services de sécurité et donné bien du mal à tous les analystes. Elle a laissé ainsi apparaître au bout de quelques années, un terrorisme anonyme où l’acte de destruction n’était pas directement lié à une revendication politique et où il était impossible de remonter jusqu’aux centres de commandement qui l’ont ordonné.
Pour mieux suivre l’analyse que nous vous proposons ici, il faut en effet se souvenir que le phénomène du terrorisme a connu deux étapes distinctes dans notre pays et, partant, dans le monde. Une première étape, que nous pourrions qualifier de démarrage, a vu les actes de destruction et les attentats abondamment revendiqués par maints moyens de propagande, par des communiqués de guerre transmis directement par fax ou par Internet et généralement repris par les différents organes de presse tant nationaux qu’internationaux ou par des publications généralement éditées et diffusées à Londres par des associations tout ce qu’il y a de plus légales. Lorsque ces sources d’identification sont absentes, il a alors été jugé nécessaire de faire jouer aux médias lourds de l’Etat, le rôle de mise en relation à même de donner au citoyen le sentiment que les forces de l’ordre savent avec précision où frapper pour combattre le phénomène. La revendication d’un acte terroriste par son ou ses auteurs offrant au moins à la société la possibilité de se raccrocher à l’espoir que son éradication est un objectif réalisable.
La seconde étape quant à elle est celle d’un terrorisme en apparence aveugle, mais qui se caractérisera surtout par le fait qu’il est de moins en moins revendiqué, jusqu’à arriver à la situation tout à fait délirante où c’est l’Etat lui-même qui est alors accusé d’être derrière le terrorisme, avec cette extraordinaire trouvaille du fameux “qui tue qui ?”. L’anonymat, obtenu par des moyens que nous étudierons plus loin, permettant ainsi de créer une situation de vide absolu propice à toutes les manipulations et à tous les montages. Tant il ne faut jamais perdre de vue que le but ultime du terrorisme est précisément de faire régner une terreur qui brouille l’entendement et met le citoyen dans une situation de désespoir susceptible de mettre en péril la cohésion de la société elle-même, de même que ce phénomène vise dans le même temps à faire perdre tout son crédit à un Etat rendu incapable de savoir à qui il doit ses avatars au point qu’il en arrive à être accusé d’être lui-même l’instigateur du terrorisme.
Les forces en présence
La première phase du terrorisme a donc été marquée par la montée en puissance d’un certain nombre de mythes guerriers, construits autour de sigles et d’individus qui étaient eux-mêmes bien en peine d’expliquer ce qui leur arrivait et encore moins de comprendre le piège qui était en train de leur être tendu. C’est ainsi que des imams qui n’avaient jamais eu le moindre contact sérieux avec les armes se retrouvèrent au centre d’une formidable entreprise de propagande tendant à faire admettre à l’opinion publique qu’ils étaient les chefs d’une insurrection armée d’envergure nationale. Des gens comme Cherrati et Chebouti, qui étaient certes adeptes de la méthode forte mais sans aller jusqu’à prendre les armes et le maquis, se virent alors propulsés au rang de chefs de guerre sans avoir jamais tiré un coup de feu ni encore moins commandé un groupe armé. Ce qui n’a pas empêché la propagande intégriste, parlée aussi bien qu’écrite, de développer une mythologie du djihad qui ne répugnait guère à emprunter ses symboles à celle de l’armée des taghouts, faisant de ce même Chebouti le général d’on ne sait quelle configuration militaire. Le FIS faisait ainsi le jeu de ses pires ennemis en s’appropriant une guerre qui n’était pas forcément la sienne et en allant jusqu’à donner aux terroristes une couverture politique dont ils ne voulaient pas toujours.
La complexité de la situation à ce moment-là impose d’ailleurs de s’astreindre à revenir sur un état des lieux politique seul à même de nous permettre de nous y retrouver dans cette masse compacte de complots et de contre-complots échafaudés et mis en œuvre au sein et à l’extérieur du pouvoir, à un moment où le recours à la force s’avérait inévitable. Le postulat de travail le plus recevable étant alors celui qui consiste à identifier les forces en présence selon le découpage suivant :
1- Un front social en ébullition globalement regroupé autour de l’UGTA et de ce qui restait du PAGS.
2- Un segment de ce même front social dévoyé par l’émergence d’un courant populiste intégriste à tendance insurrectionnelle organisé autour du FIS et de son syndicat, le SIT.
3- Un capitalisme national sans parti ni syndicat, désireux de prendre son envol mais bridé par le système de parti unique et par l’idéologie populiste ambiante. Ses principaux alliés se recrutant essentiellement au sein des structures les plus élevées de l’institution militaire.
4- Une bourgeoisie bureaucratique menacée dans ses privilèges et son statut de force politique dominante aussi bien par le front social institutionnel que par le capitalisme national. Cette bourgeoisie bureaucratique disposant quant à elle d’un instrument politique encore puissant, le FLN.
5- Trois puissances occidentales, l’Amérique, la France et l’Angleterre, globalement hostiles à la démocratisation et à la modernisation de l’Algérie telle que voulue par le président Chadli Bendjedid et son groupe de conseillers.
6- Et enfin une grande masse d’algériens non structurés au sens classique du terme, c’est-à-dire ni d’un point de vue politique ni idéologique, mais globalement favorables à une ouverture du système et à une répartition plus équitable du revenu national.
Cependant, il ne faut pas se cacher que les trois forces les plus décisives, à ce moment-là, sont le capital national allié à une partie importante de la haute hiérarchie militaire, la bourgeoisie bureaucratique alliée au FIS et à ce qui reste du PAGS et les trois puissances citées plus haut qui ont bien entendu choisi d’appuyer les forces conservatrices et de la réaction pour bloquer l’émergence d’un capitalisme algérien digne de ce nom, capable de prendre quelques parts du marché international. Le terrorisme sera alors l’instrument idéal à travers lequel la coalition anti-démocratique et anti-moderniste tentera de détruire l’Etat algérien aussi bien dans son versant civil que militaire. Un terrorisme qu’il s’agira évidemment de travestir et de masquer pour ne pas laisser apparaître ses véritables commanditaires. D’où l’extrême opacité qui a toujours entouré les ressorts organiques d’un phénomène présenté pendant longtemps comme le fait des seuls islamistes du FIS dissous, alors qu’il recouvrait et recouvre toujours des filières de recrutement, de formation et de financement qui ne diffèrent en rien de celles qui lui ont préexisté dans l’Europe des années soixante-dix et qui bénéficiaient, quant à elles, d’une couverture d’extrême gauche. Le cheminement et les méthodes sont d’ailleurs les mêmes, aujourd’hui, que celles qui ont conduit, à l’époque des brigades rouges et des différentes fractions rouges d’Allemagne, du Japon et de France, à la constitution d’une internationale terroriste supposée servir de couverture générale à tout acte de déstabilisation contre les évolutions jugées dangereuses du capitalisme pour le système financier mondial. Sachant qu’il s’agit de faire une distinction très nette entre le capitalisme en tant que producteur de richesses et de biens de toutes natures et le système financier de plus en plus spéculatif qui pousse quant à lui à la baisse de qualité des produits et à la spéculation sur leur valeur.
L’ennemi des peuples n’étant pas en vérité le capitalisme en tant que tel, mais son double caché, la grande finance internationale, qui ne répugne devant aucun crime ni aucune atrocité pour maintenir ses taux d’intérêts et pomper, par le biais de la dette, toute richesse qui se crée à n’importe quel point du globe. C’est cette monstrueuse puissance qui a de tout temps été à l’origine de tous les conflits internationaux et qui, au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, après un abominable holocauste contre les juifs (pauvres) et les communistes et après la destruction de deux villes japonaises qui ont coûté la vie à plus de trois cent mille personnes en une fraction de seconde, s’est retrouvée obligée de trouver un nouveau moyen de peser sur les rapports de force internationaux et redessiner la carte du monde.
Les trois coupe-feu
Ce moyen sera évidemment le terrorisme, qui donne les prétextes nécessaires à toutes les équipées et qui permet toutes les outrances internationales. A condition évidemment que jamais le lien ne puisse être établi entre les vrais donneurs d’ordre et les exécutants. Le meilleur moyen pour ce faire étant bien sûr de mettre en place un coupe-feu qui se dresse comme une barrière infranchissable entre les deux segments du terrorisme international. Ce rôle a été assumé pendant de longues années par Carlos, qui servait de couverture idéale à toutes les opérations de déstabilisation orchestrées contre différents Etats de la planète, et notamment contre l’OPEP qui menaçait si puissamment les intérêts des majors anglo-américaines du pétrole.
A la fin des années 1980, avec la disparition du bloc communiste et de toutes les idéologies de gauche qu’il drainait avec lui, il devenait urgent de trouver un nouveau coupe-feu idéologique et politique mais aussi et surtout médiatique. Ce coupe-feu sera évidemment l’intégrisme islamiste et les réseaux anti-communistes formés et encadrés par les trois grands services de renseignements occidentaux que sont la CIA, le MI6 et la DGSE. Trois services de renseignement entièrement dévoués à la grande finance internationale, depuis le moment où ces derniers ont eu besoin d’elle pour arrondir des budgets nationaux jugés insuffisants pour faire face aux grands périls extérieurs.
Cette problématique des trois coupe-feu s’est donc trouvée posée en Algérie en 1991, où il fallait bien masquer la terrible offensive lancée à coups de bombes et d’assassinats contre l’Etat et ses démembrements et, par la suite, contre la société tout entière. Et c’est comme cela que se sont mis à apparaître les mythes farfelus du “général” Chebouti et des insaisissables Cherrati et consorts au milieu d’un concert d’organisations toutes plus ou moins fantomatiques sur le terrain des opérations mais ô combien présentes dans les médias. Alors que les attentats et les massacres étaient et sont toujours le fait de groupes d’une redoutable efficacité, extrêmement bien informés, capables de se fondre dans la nature au milieu de dispositifs sécuritaires impressionnants, les médias se sont longtemps efforcés, au contraire, d’impliquer des figures marquantes de la mouvance islamiste dans un puéril jeu de copier-coller, de communiqués tombant généreusement des fax. Et lorsque les fax ne suffisent pas, il y a alors les dizaines de publications essentiellement éditées et distribuées à Londres pour donner un autre visage au terrorisme. Le seul inconvénient de ce genre de manipulations – en tout cas cela a été le cas en Algérie – est qu’il suffit d’éliminer toutes les têtes d’affiches islamistes pour mettre dangereusement à nu des actes de sabotage qui finissent par apparaître en tant que tels, même aux yeux du plus irréductible des islamistes.
La riposte du “qui tue qui ?”
C’est que, dès le début, les services de sécurité militaires, du fait de leur activité en relation avec l’étranger, ont très vite compris que l’assaut que subissait l’Algérie était hors de proportion avec les possibilités opérationnelles d’une mouvance politico-religieuse sans aucune envergure. Les soupçons se portant progressivement vers des parties extérieures qui ne se cachaient d’ailleurs même pas pour soutenir ouvertement un terrorisme qualifié par toutes les chancelleries occidentales de “mouvement d’opposition armé”. L’objectif fut alors déterminé au plus haut sommet de l’Etat de supprimer la couverture politique et idéologique de ce terrorisme en neutralisant, par différents moyens, tous ceux qui auraient pu, d’une manière ou d’une autre, constituer un trompe-l’œil en ce sens.
Partie II
Dans la première partie de cette étude, nous avons essayé de déterminer les différentes phases par lesquelles est passée la lutte contre le terrorisme sur le plan médiatique. Avec une première phase qui a consisté à tenter coûte que coûte à le rattacher au FIS dissous, dans un souci de rassurer l’opinion sur les capacités de l’Etat à en neutraliser les organisateurs, et une seconde phase qui a vu les attentats et les actes de destruction prendre une telle ampleur qu’il devenait évident que le FIS n’était qu’un comparse dans l’affaire et qu’il fallait chercher ailleurs les véritables commanditaires.
Le premier à avoir évoqué cette stratégie de mise à nu du terrorisme a d’ailleurs été Khatib Youcef, dit Si Hassan, lorsqu’il était conseiller personnel du président Liamine Zeroual, au cours d’un colloque international organisé en 1995 à Djenane El-Mithak. Il aura été le premier haut responsable algérien à traiter, en présence d’experts espagnols notamment, de la question du terrorisme sous cet angle pour le moins inédit à une époque où l’opinion intérieure autant qu’internationale restait obnubilée par la seule mouvance islamiste. Il faut dire qu’Al-Qaîda n’existait pas encore, les attentats du 11 septembre n’ayant pas eu lieu.
Le fait est que la plupart des hauts responsables de l’Etat algérien ont commencé à percevoir dès la fin de l’année 1993, avec la montée en puissance d’une extraordinaire pression extérieure destinée à le contraindre à céder le pouvoir aux islamistes, que le jeu était autrement plus complexe qu’il n’apparaissait et que des forces bien plus grandes que le FIS dissous étaient derrière le terrorisme. Belaïd Abdeslem, l’ancien chef du gouvernement, ayant été celui qui dira certainement avec la plus grande clarté ce que beaucoup de ses pairs laissaient déjà entendre à mots couverts, en déclarant, sur les lieux de l’attentat de l’aéroport Houari-Boumediene, « il y a là la main de l’étranger ». Même si par la suite l’enquête menée tambour battant laissera apparaître un réseau de mise en œuvre de l’opération qui impliquera une majorité de militants et de cadres du FIS, dont le propre chef de cabinet de Abassi Madani. Une situation qui n’aura par ailleurs rien de contradictoire si nous gardons à l’esprit le postulat de base qui veut que le FIS a de tout temps été instrumentalisé par des forces exogènes qui se situent aussi bien à l’intérieur qu’à l’extérieur de l’Algérie.
A l’extérieur nous avons donc admis, dans la première partie de cette étude, que le terrorisme est une arme utilisée par la grande finance internationale pour remodeler à sa guise les rapports de force internationaux, pour redonner les directions qui lui conviennent le mieux à l’évolution du capitalisme mondial, mais aussi pour soumettre des pays qui, comme l’Algérie ou l’Egypte, peuvent être tentés par des expériences démocratiques authentiques.
A l’intérieur, le FIS a été créé et encouragé dans sa folle aventure hégémonique de conquête du pouvoir par une bourgeoisie compradore (bureaucratique et bazarie) qui tenait et tient toujours d’ailleurs à faire barrage à l’émergence d’un capitalisme productif moderne et libéral qui mettrait sa position dominante en danger. C’est dire que la contribution, effective ou non, du FIS à la réalisation des premiers actes terroristes ne signifie en rien qu’il ne faille pas y voir la main de l’étranger, ce parti étant lui-même une émanation directe des pressions des principales capitales occidentales désireuses de voir l’expérience démocratique en Algérie aller droit vers l’impasse. Cette façon de faire n’ayant d’ailleurs rien de bien nouveau ni de bien extraordinaire, puisque tout au long de son histoire, la grande bourgeoisie liée à la grande finance internationale a toujours encouragé l’émergence de mouvements fascistes et totalitaires pour freiner le développement de la démocratie en Europe même, lorsque les forces du progrès ou du socialisme risquaient d’y porter tort à ses immenses intérêts.
Aussi n’y a-t-il rien de bien extraordinaire à ce que les partis de l’Internationale socialiste, alors majoritairement au pouvoir, et le gouvernement américain désireux de mettre la main sur notre pays, aient manœuvré de mille et une manière, notamment par l’hyper-médiatisation et le financement du FIS pour imposer la voie la plus détestable qui soit à la jeune démocratie algérienne.
Les pistes se font précises
Cette problématique a donc été comprise assez tôt par les responsables de la lutte antiterroriste qui ont alerté les plus hautes autorités du pays sur les liens avérés du GIA notamment avec certaines des officines les plus puissantes de la planète, dont le MI-6 britannique qui se permettait même le luxe de recueillir, d’héberger et de refuser d’extrader quelques-uns des chefs terroristes les plus dangereux de la planète, dont deux du GIA. Le gouvernement américain, pour sa part, donnant l’asile à Anouar Haddam, un authentique ministre de cette sinistre organisation qui ne se gênera pas pour revendiquer, en 1995, à partir de Washington, l’odieux attentat du boulevard Amirouche, à Alger, qui a coûté la vie à près d’une centaine d’innocents. C’est à partir de ce moment que l’Etat algérien cessera de focaliser son attention sur le FIS en s’attelant plutôt à ôter la couverture politique et idéologique au terrorisme et en laissant apparaître ses véritables commanditaires.
C’est ainsi qu’en même temps, qu’il mènera un remarquable processus de dialogue avec l’islamisme, même le plus radical, l’Etat s’attellera à démanteler tous les réseaux de financement et de soutien extérieur, dont les plus importants étaient étrangement implantés en Italie, en Allemagne, en Turquie, en Angleterre et aux USA, bien plus qu’en Arabie Saoudite ou en Iran. C’est ce processus de déblayage et de nettoiement destiné à nous assurer une meilleure visibilité dans le dossier du terrorisme qui poussa les mêmes puissances et leurs officines à mettre au point une stratégie de riposte qui s’avéra d’une terrible efficacité au double plan sécuritaire et médiatique, avec toutes les conséquences désastreuses sur le plan politique.
La mécanique mise à l’œuvre fut d’une extrême simplicité, vu qu’elle avait déjà été mise en œuvre au Nicaragua notamment, durant les années 1980. Elle consistait à organiser, de nuit, de grands massacres de populations civiles par les « contras » et à en faire endosser la responsabilité par les sandinistes alors au pouvoir. La technique était d’autant plus imparable que les massacres, qui se perpétraient dans l’obscurité la plus totale, étaient en réalité pilotés par satellites et que les tueurs disposaient du matériel de vision nocturne et de liaison GPS mis à leur disposition par la CIA. Ces détails étant ignorés par l’opinion, il devenait évident pour le commun des mortels que seules les troupes régulières avaient eu la possibilité de commettre de tels massacres avec autant de facilité, sans être inquiétées par personne, et pour cause.
La même technique relatée par Bob Woodward dans le livre qu’il a consacré à William Casey sera adaptée, dix ans plus tard, à l’Algérie avec cette innovation absolument machiavélique qui consiste à se demander ensuite « qui tue qui ? », l’essentiel étant bien entendu de jeter le doute dans les esprits et de le laisser germer. Des renégats de la pire espèce se chargeant ensuite d’arroser consciencieusement la graine à travers quelques ouvrages écrits sous la dictée et qui essayeront de donner de la consistance à une hypothèse bien difficile à digérer.
Les médias aidant, cette véritable horreur sémantique se frayera un chemin à travers l’opinion publique internationale qui ne résistera pas à l’envie d’accabler l’armée algérienne et de lui faire endosser des tueries aussi abjectes dans le secret espoir de redonner du crédit au FIS dissous et d’affaiblir l’Etat algérien sur l’arène internationale.
La presse algérienne fait obstacle
Cette démarche aussi cynique que machiavélique se heurtera cependant à un obstacle assez sérieux et qui est celui de l’attitude de la presse privée algérienne qui refusera dans sa totalité de cautionner de pareilles accusations et qui se dressera unanimement pour dénoncer une manœuvre clairement identifiée par la plupart des titres comme devant servir à blanchir les islamistes de leurs crimes. L’anti-intégrisme virulent de la majorité des titres de la presse privée algérienne fera ainsi opportunément barrage aux grandes manœuvres politico-médiatiques destinées à se défausser de la responsabilité dans le terrorisme en Algérie sur l’armée et les services de sécurité qui le combattent âprement. Cette attitude particulière de la presse algérienne empêchera ainsi le « qui tue qui ? » de connaître le succès fulgurant qui était attendu dans la plupart des chancelleries occidentales et du Moyen-Orient.
Si les journalistes algériens, qui sont sur le terrain, témoignent que les massacres sont bien le fait de groupe terroristes d’obédience islamiste, il faut tout de même les croire. Sauf que cette tendance très forte à accuser les islamistes enregistrera quand même quelques notables ratés avec la déclaration faite à Canal+ par Omar Belhouchet, le directeur de publication d’El Watan, qui déclarera en 1995 : « Certains assassinats (d’intellectuels et de journalistes) sont le fait du pouvoir. » Ce directeur de journal ne visait évidemment pas à laver ainsi les islamistes de tout soupçon. Ce qui paraît bien sûr impossible dans la bouche d’un journaliste qui, depuis le déclenchement du terrorisme, a toujours manifesté une hostilité sans concession au FIS, mais il est clair qu’il n’a fait qu’exprimer de façon un peu maladroite des rumeurs persistantes véhiculées par la rue algéroise et des faits assez troublants qui peuvent effectivement impliquer certains secteurs du pouvoir algérien. Toutefois, sa grande et inexcusable maladresse aura été de laisser entendre que des assassinats peuvent avoir été commandités par l’Etat et le pouvoir algérien en tant que tels. Ce qui est évidemment une aberration absolue. Le sens de la nuance ayant alors manqué à notre confrère, qui aurait pu accuser des individus et certains hauts responsables agissant pour leur compte, mais certainement pas l’Etat pris dans son ensemble.
Ce dérapage, provoqué en tout cas par les questions bien orientées du journaliste de Canal+, servira à alimenter la puissante et insidieuse campagne de propagande menée à travers les médias européens et anglo-saxons pour faire porter le chapeau aux forces de sécurité algériennes et inverser la tendance qui se dessinait sur le terrain.
Une tendance qui, en démontrant la faiblesse politique et organisationnelle du FIS, ne pouvait que pousser l’opinion à rechercher les véritables commanditaires du terrorisme. Une recherche qui passe évidemment par la question de base qui consiste à se demander à qui profite le crime ? Cette seule interrogation étant de nature à rendre inopérante le « qui tue qui ? » dans la mesure où l’armée algérienne n’a strictement aucun intérêt à organiser des massacres qui ne peuvent prouver par ailleurs que son incapacité à faire face au terrorisme et à protéger les populations civiles. Sachant que chaque attentat terroriste réussi accentue l’échec de l’Etat à assurer sa principale mission constitutionnelle qui est d’assurer la sécurité des biens et des personnes.
En plus des larges campagnes de presse destinées à faire oublier cet important axiome et des nombreux ouvrages commandés à cet effet à des renégats par quelques maisons d’édition françaises engagées dans la déstabilisation de l’Algérie, un important site Internet a été également conçu et mis en place pour alimenter de façon continue la propagande anti-ANP. Et c’est sous couvert d’un courageux anonymat que de soi-disant officiers (déserteurs ou encore en activité) de l’armée algérienne vont donner des versions absolument abracadabrantes des principaux événements sécuritaires qui ont secoué le pays de 1991 jusqu’à l’élection de Abdelaziz Bouteflika en avril 2004. Depuis cette date, le site en question sommeille pour des raisons difficiles à déterminer, mais dont une au moins est aisée à deviner : l’échec avéré de faire passer au sein de l’opinion algérienne la problématique du « qui tue qui ? ».
La tâche s’avèrera alors encore plus ardue depuis le 14 août dernier, date à laquelle le président de la République rendra publique le projet de charte pour la paix et la réconciliation nationale qui prend nettement et définitivement position sur la question de la responsabilité liée au terrorisme en lavant de tout soupçon l’armée et les forces de sécurité algériennes et en faisant ressortir la part de responsabilité des personnes et organisations qui ont appelé au djihad contre l’Algérie, Etat et société. Il est intéressant de noter à cet égard que le discours du Président Abdelaziz Bouteflika du 14 août dernier commence par une référence directe à l’enlèvement et à l’assassinat de nos deux diplomates en poste en Irak, indiquant ainsi la voie à suivre dans la recherche des véritables parties qui ont décidé d’agresser notre pays par le biais du terrorisme. Des parties qui feront tout pour que l’Algérie ne retrouve jamais son unité, la paix et la stabilité qui peuvent en faire à nouveau un dangereux empêcheur de tourner en rond sur la scène internationale.
Abderrahmane Mahmoudi
Les Débats, août 2005

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