IGNACIO CEMBRERO 10/10/2010
« C’est un scandale ce qui m’arrive! » Malgré ses 73 ans et les 22 mois de séjour dans la prison de Salé, près de Rabat, la voix du Lieutenant Colonel Kadour Terhzaz dégage énergie et indignation lorsqu’il parle.
Après l’avoir tenté plusieurs semaines, celui qui était pendant 11 ans le numéro deux de la Force Aérienne marocaine, agrée de défense à Washington et Paris et l’un des militaires les plus décorés du Maroc, il réussit, enfin, à décrocher un appel depuis la prison.
Comment allez-vous? « Il y a eu des moments difficiles dans la prison parce que j’ai été sanctionné, je ne pu pas recevoir des visites de la famille, on ne me laissait pas sortir au patio, mais maintenant ma situation est normale, comme les autres reclus », réponde le lieutenant colonel.
« Mon père omet les aspects les plus sordides de sa captivité », signale depuis Paris, avec la voix dominée par l’émotion, Sonia Terhzaz, qui vient de fêter ses 27 ans. Elle est la fille cadette de l’officier emprisonné.
« Les privations dont il a été victime à partir de novembre dernier, lorsque la presse commença à parler de lui, ont été les pires », ajoute-t-elle. « On l’a enfermé dans une cellule isolée, il ne pouvait pas se doucher ni manger chaud ni avoir un matelas où se coucher ». » Et il n’en a toujours pas », se lamente-t-elle. « Il y a eu plus choquant encore », poursuit Sonia. « Pendant deux semaines, l’administration pénitentiaire a maintenu attaché aux barreaux de la cellule de mon père un perturbé qui bredouillait toute la journée et déféquait surplace ».
Quel crime a commis le lieutenant colonel pour être condamné par un tribunal militaire, en 2008, à 12 ans de prison et être soumis à un régime pénitentiaire aussi humiliant? « Divulguer des secrets militaires », selon un communiqué du gouvernement marocain diffusé au mois de mai pour contrecarrer la campagne « indigne », selon Rabat, menée par la famille du militaire.
Terhzaz était le chef des pilotes marocains qui combattirent pendant 16 ans (1975-1991) contre le Front Polisario au Sahara Occidental. La guérilla indépendantiste abatta une bonne poignée d’avions dont les équipages ont passé des décennies dans ses cachots dans le sud-ouest de l’Algérie, avant d’être libérés. Ils sont revenus au Maroc « sans être décorés, sans être promus, sans qu’on reconnaisse leurs mérites », assure Sonia Terhzaz.
A la demande d’un de ses anciens subordonnés, le Capitaine Ali Najab, qui est resté 25 ans dans les prisons de l’ennemi, le lieutenant colonel, déjà retraité, rédacta en février 2005 une lettre adressée au roi Mohamed VI dans laquelle il demandait d’améliorer le sort des ex-pilotes militaires.
Il y ressortait le courage et la compétence de ces équipages et soutenait que, si un bon nombre d’appareils ont été abattus, c’était parce que « ils n’étaient pas équipés d’un dispositif anti-missiles ». Kaddour Terhzaz a fourni ce renseignement dans une missive adressée au roi, commandant en chef des Forces Armées. Il décrivait ainsi une défaillance d’il y a 20 ans qui, depuis lors a été réparée, et que le Capitaine Ali Najab avait déjà publiquement dénoncé en 2004 dans le journal Aujourd’hui le Maroc.
Plus de trois ans se sont écoulés depuis l’envoi de cette lettre jusqu’à ce que, le 9 décembre 2008, les gendarmes arrêtent le lieutenant colonel chez lui, dénoncé par le général Bennani, inspecteur général des Forces Armées Royales et, dans la pratique, leur numéro un. Les deux avaient des désaccords dans le passé.
Rien que 19 jours après, le tribunal militaire le jugea à huit clos et condamna à 12 ans pour divulgation de secrets militaires, avec la circonstance aggravante de les avoir diffusés en temps de guerre, comme si, depuis 1991, il n’y avait pas un cessez-le-feu entre le Maroc et le Polisario. « Une peine aussi longue équivaut, pour un homme de son âge, à la prison perpètuelle » affirme son avocat, Abderrahim Jamai.
« Je ne regrette pas m’avoir battu pour mes pilotes », répète Kaddour Terhzaz depuis sa cellule. « J’ai une responsabilité morale envers les anciens subordonnés qui se sont battus avec courage pour une patrie qui les traite avec ingratitude », assure-t-il.
Kaddour Terhaz soupçonne, dans le fond, que la fameuse lettre n’est qu’un prétexte. « Il y a des personnages puissants qui veulent en finir avec moi », soutient-il. « Je crains être victime d’un règlement de comptes », ajoute-t-il. « Il n’y a que ça qui explique le retard de mon procès ».
Sa fille Sonia va dans le même sens. « Pour mon père, l’intégrité et l’honnêteté vont par-dessus tout et c’est pour cela que, parfois, il sort des vérités inconfortables ». « Ceux qui l’entourent vivent soumis dans le mensonge et l’hypocrisie ». « C’est la raison pour laquelle le sniper Kaddout Terhzaz constituait une menace pour eux tous ».
« Ah! », insiste le lieutenant colonel avant de vite raccrocher le téléphone, « n’oublie pas d’écrire qu’en Espagne on m’a donné la Grande Crois de Mérité Aéronautique parce que, dans les années 1980 j’ai contribué à établir les premières relations entre nos deux Armées ».
Si la vie de ce militaire aussi décoré – il a aussi la Légion d’Honneur française et la Médaille Militaire du Sahara du Maroc- a empiré radicalement avec son enfermement, celle de sa famille a changé aussi. Sous la direction de la plus jeune, Sonia, l’épouse de nationalité française et les trois autres fils de Terhzaz, ils ont fait des gestions discrètes pour obtenir une grâce royale pour le père de famille.
« Nous avons passé des heures aux portes du palais royal de Tétouan –nous avons même amené un de mes neveux nouveau-né- en essayant de remettre une lettre » en demandant clémence, rappelle Sonia. « Nous avons fait aussi la garde devant la maison du général Bennani », celui qui dénonça mon père.
Sans résultats. Après un an, Sonia opta pour passer à l’offensive. Depuis lors, elle parcoure les capitales, seule ou accompagnée par un membre de la famille, pour « crier qu’on ne peut pas laisser un vieillard qui a tout donné pour son pays et son roi, finir sa vie derrière les barreaux comme un vulgaire criminel ».
Elle a été plusieurs fois à Washington, Bruxelles, Strasbourg, Genève, mobilisa les ONG’s de droits humains, se manifesta à deux reprises devant l’ambassade du Maroc à Paris, osa donner une conférence de presse à Rabat toujours surveillée de près par des agents marocains.
« A Madrid, à la Station Sud de bus, j’ai réussi à les semer en sortant mon téléphone portable et en les photographiant », rappelle Sonia. Depuis là, elle est partie avec sa tante à Grenade pour exhiber aux portes du Palais du Congrès, où se tenait le sommet UE-Maroc, une pancarte pour exiger la libération de son père. « La police nous l’a confisqué alors que juste à côté d’autres manifestants criaient « Sahara Libre » et bradaient les drapeaux du Polisario sans être dérangés ». « Quelle injustice! »
El Pais, 10/10/2010
Traduction non-officielle de Diaspora Saharaui
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