L’interrogation principale pour l’heure reste encore les raisons du degré élevé de violence qui a caractérisé ces évènements avec la voie qu’a choisi le pouvoir marocain pour traiter cette crise, mais aussi la violence des émeutiers qui ont entraîné, comme semblent le montrer les vidéos sur internet, la mort d’une dizaine de militaires et d’un pompier marocain, à tel point que certains médias ont pu titrer « journées de guerre au sahara occidental », du jamais vu depuis au moins trente ans dans ce territoire.
S’en est suivi un black out médiatique qui laisse craindre une répression à huit clos des forces de sécurité marocaines dans les jours qui ont suivi sur laquelle on a peu d’informations fiables à ce jour, compte tenu du bouclage total du territoire, en tout cas jusqu ‘au 21 Novembre. Le Front Polisario fait pour sa part état d’un bilan de 36 morts depuis le 8 novembre matin.
On notera à ce propos que la France, membre permanent du Conseil de sécurité de l’ONU, s’est opposée “vigoureusement” à l’envoi “rapide” d’une mission d’enquête au Sahara occidental, lors d’un débat mardi 16 novembre à New York sur la situation dans l’ex-colonie espagnole, mission qui entendait faire la lumière sur l’attaque du camp de Gdim Izik à El Ayoune, au Sahara occidental, par les forces marocaines le 8 novembre dernier.
…Et que Paris a été déjà accusée d’avoir empêché il y a un an l’élargissement du rôle de la MINURSO à la vérification du respect des droits de l’Homme, proposition soutenue par la majorité du Conseil…
Ce qui est certain en tout cas, c’est que les évènements d’El Ayoun ont d’abord confirmé à nouveau, à ceux qui avaient fini par en douter, l’existence non seulement d’une véritable identité sahraouie, mais plus largement d’un véritable nationalisme sahraoui de masse dans les territoires occupés du sahara occidental, avec, pour certains sahraouis, l’affirmation d’une solidarité toujours active avec le front Polisario, meme si les liens entre le front Polisario et les indépendantistes de l’intérieur demeurent une énigme.
Ces évènements signent ensuite un grave échec pour le Maroc, qui avait réussi à faire croire ces dernières décennies, que sa stratégie d’intégration économique du sahara occidental portait ses fruits, tant par sa politique de peuplement du sahara occidental, la mise en tourisme de ce territoire, notamment à Dachla, enfin par sa politique à la fois d’intégration des ex-exilés de Tindouf que d’intégration des populations du sahara occidental au développement économique. Le mirage de l’intégration continue des « provinces sahariennes » s’est brisé, et la relation entre les sahraouis et le pouvoir marocain risque d’en être durablement affectée, sans compter les risques de nouvelle guerre qui ont désormais émergé.
Pour l’heure et au vu du mouvement international de solidarité avec les sahraouis qui s’est déclenché à la suite de ces évènements, il est clair que le mouvement indépendantiste et son représentant, le Front Polisario, devraient bénéficier d’un surcroit de sympathie dans les mois à venir, après avoir été largement oubliés toutes ces dernières années.
Un front Polisario, désormais l’arme au pied, dont l’image avait de surcroît été un peu entachée ces dernières années, d’une part par le soutien quelque peu encombrant des généraux algériens, d’autrepart par les défections que celui-ci a connu ces dernières années, enfin par les accusations dont il a pu faire l’objet concernant le respect des droits de l’homme dans les camps de Tindouf, en exacte symétrie avec les accusations dont le pouvoir marocain fait l’objet dans les territoires occupés du sahara occidental .
Le front Polisario apparaît donc pour l’heure comme le principal gagnant de cette affaire, réussissant même à faire oublier les violences qui ont été exercées contre les forces de l’ordre marocaines, il est vrai dans un contexte de réponse à une agression caractérisée.
Mais il n’est pas certain que ce soutien sera suffisant pour faire évoluer une situation qui apparaît largement bloquée depuis de longues années.
En second lieu, l’initiative semble clairement désormais entre les mains des sahraouis de l’intérieur, dont le degré d’allégeance au front polisario est difficilement mesurable, même si l’attachement à l’indépendance du Sahara Occidental semble, d’après les rares sondages qui y ont été menés, assez répandu dans la population du sahara occidental.
Le second élément troublant est la concommitance de ces évènements avec les pourparlers de New York entre le Front Polisario et le Maroc (L’assaut du camp a été donné le jour même du démarrage des négociations à New York), concommitance qui déchaîne les presses marocaines et algériennes toujours prompts à trouver des responsables extérieurs qui auraient pu téléguider les évènements.
Pour une partie de la presse marocaine ces évènements ont été entièrement organisés par les services secrets algériens, tandis que d’aucuns soupçonnent une partie de la hiérarchie militaire marocaine d’avoir voulu délibérement torpiller les pourparlers de new York entre le front Polisario et le Maroc, en présence de l’Algérie et de la Mauritanie .
En tout état de cause, ces évènements tragiques et inquiétants ont néanmoins redonné une visibilité au conflit du Sahara occidental qui apparaissait jusqu’à ces derniers jours comme un conflit oublié souvent comparé d’ailleurs au conflit du Timor oriental. En dehors de la presse maghrébine, ce conflit fait en effet rarement les gros titres de l’actualité, même lorsqu’il s’y passe quelque chose.
Pourtant celui-ci mériterait assurément une attention plus soutenue :
-D’abord par respect des populations concernées qui pâtissent de ce conflit depuis plus de 35 ans et dont les souffrances sont constamment passées sous silence.
-Ensuite parce qu’il constitue un facteur d’instabilité régionale important dans une région elle-même en voie de déstabilisation
-Enfin et ce n’est pas le moins important de par l’impact majeur de ce conflit sur les relations entre les pays du Maghreb, en particulier le Maroc et l’Algérie et le fait qu’il constitue à n’en a pas douter un des éléments majeurs de blocage pour l’édification du grand Maghreb, avec des conséquences très importantes en terme économiques et politiques, et par là, pour le développement de la méditerranée occidentale.
Des populations dont la souffrance n’est pas prise en compte
Certes l’avenir de ce territoire concerne au maximum un demi million d’habitants et ce conflit constitue de longue date, même s’il a occasionné entre 10000 et 13000 morts durant les années de guerre entre 1975 et 1991, un conflit de basse intensité.
Mais il n’est pas contestable que les populations concernées paient un lourd tribut à l’inaction de la communauté internationale, que ce soient les réfugiés dans les camps de Tindouf au sud de l’Algérie (160000 personnes selon le gouvernement algérien) condamnés depuis 35 ans à la précarité, ou que ce soit la population résidant au sahara occidental (360000 personnes environ), dont les droits sociaux, économiques et politiques sont souvent bafoués, et largement mis en concurrence avec les marocains du nord qui bénéficient de larges avantages pour venir s’installer au sud, une population sahraouie qui mériterait assurément notamment compte tenu de la situation particulière de ce territoire du point de vue de son statut international, une attention plus soutenue de la communauté internationale.
Un facteur important d’instabilité régionale
Cette région est d’autrepart en proie à une déstabilisation progressive, notamment par l’organisation Al Qaida au Maghreb, même si beaucoup de zones d’ombre subsistent sur cette organisation et ses commanditaires réels. Nombre d’analystes considèrent toutefois que le règlement de ce conflit est devenu prioritaire afin qu’il ne vienne pas alimenter le développement d’Al Qaida dans la zone et les multiples trafics dans la zone sahélienne.
Un impact majeur sur les relations entre les pays du Maghreb et l’édification du grand maghreb
Ce conflit demeure enfin, on ne le mesure pas toujours assez, une pierre d‘achoppement pour l’édification du grand Maghreb, et contribue très largement à entretenir le nationalisme belliqueux des deux principaux pays du Maghreb, le Maroc et l’Algérie, en lutte pour le leadership au sein du Maghreb, (sachant que les trois autres pays ont sans doute moins vocation à l’être) alors que ces derniers pourraient, comme le couple franco-allemand pour l’Europe, être précisément le moteur de cette construction maghrébine.
Outre les risques de guerre qu’il continue à entretenir entre les deux grands du Maghreb, qui se sont déjà affrontés directement à deux reprises, en 1963 (la guerre des sables) et 1976 (la bataille d’Amgala), Il contribue en effet largement à paralyser le développement économique du grand Maghreb.
Or on connaît précisément aujourd’hui grâce aux travaux de différents économistes, le coût exact du « non-Maghreb », évalué à 3 ou 4 points de croissance en moins pour les pays du Maghreb, c’est-à-dire de nombreuses perspectives de développement en moins pour les économies maghrébines, par ailleurs complémentaires sur bien des sujets.
Un conflit rendu complexe par la présence de plusieurs acteurs
La difficulté est que ce conflit présente une certaine complexité notamment parce qu’il implique principalement trois acteurs, le Maroc, les sahraouis et l’Algérie, mais aussi d’autres acteurs moins en vue qui jouent également leur propre partition, que ce soit la Mauritanie, l’Espagne, la France, etc… Il demeure également indispensable de bien en comprendre les enjeux et les solutions de façon aussi objective que possible, en courant par ailleurs toujours le risque de mécontenter l’un ou l’autre des protagonistes, notamment le Maroc et l’Algérie.
La nécessité d’un règlement du conflit en discussion depuis trente cinq ans
Il est donc nécessaire que l’europe et la communauté internationale oeuvrent désormais à son règlement, même si celui-ci risque de prendre du temps.
La difficulté étant de concilier le droit légitime et inaliénable du peuple sahraoui à l’exercice du droit à l’autodétermination et des solutions de compromis (provisoire ou non) qui permettraient peut -être de nouvelles avancées vers le règlement du conflit, telle que celle de l’autonomie proposée par le royaume marocain depuis 2007. Une sorte de nouveau plan Baker, mais qui serait approuvé par les deux parties.
Sans quoi ce sont plutôt les appels à la reprise de la lutte armée, ardemment souhaitée désormais par de nombreux militants du front polisario qui risquent de retentir rapidement.
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