Le programme annonçait une inauguration en grande pompe par le ministre des Affaires étrangères et de la Coopération espagnol et le président de la Géneralitat de Catalunya et la présence de pas moins de cinq ministres maghrébins et libanais pour plancher sur une thématique assez large : «L’Afrique du Nord : des changements qui inspirent».
Le «blocage du processus de paix au Proche-Orient» évoqué par le gouvernement espagnol pour l’annulation du Sommet et à un degré moindre les derniers événements enregistrés au Sahara Occidental ont certainement éloigné les perspectives d’union (intermaghrébine et euro-méditerranéenne) et fortement réduit les ambitions de la rencontre et par conséquent la présence d’intervenants de rang ministériel.
Les officiels européens, à l’image du président de la Chambre officielle de commerce et d’industrie de Catalogne, ont martelé que la suspension du sommet est certes une mauvaise nouvelle mais qu’il était important de distinguer entre le processus politique et le niveau «pratique» dont il faut à tout prix garantir le fonctionnement en vue de maintenir les réseaux établis et de préparer l’Union.
Le secrétaire de l’économie du Gouvernement catalan, Andreu Morillas, s’appuie sur les signes forts que représentent la grande implication de l’UE dans la politique de bon voisinage et le soutien plus clairement exprimé de Bruxelles et de Berlin à la construction de l’UPM et a fortiori la relance du processus de Barcelone, pour marquer un optimisme grandissant dans le projet d’union.
L’amorce d’une sortie de la crise financière et les signes d’une relance de l’économie mondiale à venir doivent, selon certains intervenants, être considérés comme une opportunité pour la région, d’autant plus que l’Espagne traverse une crise sans précédent et que les pays du Maghreb doivent assurer une croissance de 6% au moins pour pouvoir absorber les jeunes qui arrivent sur le marché du travail.
L’intégration sud-sud, la «seule pièce qui manque»
Pour la partie européenne, le supplément de croissance nécessaire au développement doit aussi venir de l’intégration Sud/Sud qui est, selon un des intervenants, «la seule pièce qui manque» au processus de développement de la rive sud de la Méditerranée. Du point de vue de l’intégration verticale, des satisfecit ont été octroyés à la Tunisie et au Maroc, qui «sont des pays qui croient à l’UPM et qui font preuve d’avancées visibles au plan économique». Le Maroc était, pour l’occasion, le pays invité et les représentants marocains n’ont pas manqué d’afficher leurs bons scores, même s’ils admettent avec moins de véhémence qu’ils ne trouvent toujours pas leurs comptes dans les échanges. Les pressions incessantes de l’Espagne pour la restriction de l’entrée des produits agricoles marocains essentiellement les tomates – et le départ de plus de 50 entreprises espagnoles du Maroc, pour cause de crise financière internationale, sont deux des de leurs points de désillusion.
Les seuls officiels maghrébins présents à l’ouverture des travaux, soit Habib Benyahia, secrétaire général de l’Union du Maghreb arabe et Mohamed Abdeslam Baayou, président du Lybian Business Council, ont été encore plus «embarrassés» que leurs collègues européens. Entre l’affirmation péremptoire, par le représentant du patronat libyen, de la réalité du Maghreb arabe et de son incapacité à se poser comme partenaire solide de l’UE et des circonlocutions technico-diplomatiques du secrétaire général de l’UMA sur la démarche de «mise en ordre de la maison Maghreb», il est difficile de parler d’enthousiasme.
Le Maghreb, «zone d’opportunités»
Le SG de l’UMA a toutefois insisté sur la nécessité de créer ce monde de développement partagé qu’est l’UPM et de faire du Forum de développement économique de l’Afrique du Nord un véritable instrument de dynamisation de l’activité économique dans la région à travers le rapprochement des hommes d’affaires maghrébins et la mise en place de passerelles avec le reste du monde arabe dont les pays du Golfe. L’UMA semble ne pas vouloir accepter de se faire sonner les cloches sans réaction. Le SG de l’UMA ne manquera pas de rappeler que d’autres acteurs du marché mondial s’intéressent de près aux 85 millions de consommateurs que représente le Maghreb mais que les préférences vont vers les amis traditionnels que sont les Européens. En bons politiques, les uns et les autres ont estimé que les 15 ans passés depuis le processus de Barcelone devaient être comptés en «temps historique» et valorisés pour créer le «miracle Euro-Maghreb-Méditerranée». Les rapports du FMI sur les pays du Maghreb, le rapport de la Banque mondiale sur l’intégration et l’intérêt de Bruxelles à cette même intégration maghrébine définissent le Maghreb comme une zone d’opportunités qu’il faut saisir avant les autres concurrents du marché mondial.
Le scepticisme des acteurs
Les acteurs économiques et les experts ont été plus circonspects. Plus en prise sur les défis du Forum, ils se sont attelés à mesurer l’évolution des champs économiques et sociaux en montrant les progrès accomplis et en recensant les success stories dans des domaines tels que celui du rôle du secteur privé dans le développement, des industries agroalimentaires et du secteur médical. Des questions relatives aux énergies renouvelables et au développement du consulting et de l’ingénierie ont également fait l’objet de séances de travail. Les constats ne semblent pas reluisants et les progrès trop lents pour être réellement décisifs. Les retards accumulés au plan politique ont un impact plus lourd que ne le pensent les politiques. Cela même sur le développement des groupes privés et leur professionnalisation et partant à leur participation au développement de la région. Les cas de Cevital et de l’ETRHB, cités comme exemples parmi les six cas d’entreprises familiales en mutation, auraient gagné à être représentées dans les débats par leurs fondateurs mêmes, pourtant inscrits sur les programmes. L’internationalisation du secteur privé, voire même son intégration régionale est plus dans les projets que dans la réalité des choses. Les opérateurs clament leur souhait de voir les frontières s’ouvrir et les partenariats se densifier mais ils apparaissent plus arcboutés sur leurs parts de marché intérieur ou sur celles qu’ils ont acquises à l’extérieur.
Les patriotismes économiques européens
L’atelier sur les industries agroalimentaires a encore une fois montré les difficultés à trouver des solutions aux véritables obstacles au développement du secteur. Les partenariats gagnant-gagnant sont diversement appréciés notamment par les opérateurs du Maghreb qui continuent à penser que les patriotismes économiques sont plus le fait des Européens. Le soutien aux produits agricoles décidé par Bruxelles et les accords de libre-échange amincissent de plus en plus les chances du Maghreb de se frayer un passage vers les marchés du Nord et relèguent au second plan les réflexions et les voies à suivre pour arriver à la compétitivité.
Les initiatives, somme toute pragmatiques, de Barcelone, capitale d’une Catalogne frappée de plein fouet par la crise, pour trouver une sortie vers la rive sud de la Méditerranée semblent avoir plus de chance de réussir que ses ambitions, en tant que siège du secrétariat permanent de l’UPM, à réchauffer le cœur même des acteurs économiques les plus ardemment engagés dans la construction de cette Union pour la Méditerranée.
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