Sommet Afrique-Europe : Le corbeau et le renard

Les Européens ont félicité les Africains de leurs taux de croissance, PIB par habitant, crédit climatique… aucune résolution sérieuse sur les graves problèmes politiques qui rongent l’Afrique. Cela semble bien arranger les dirigeants africains.
Etrange climat diplomatique au Sommet Afrique- Europe. Plus précisément entre l’Union africaine (UA) et celle européenne (UE). Les deux parties ont déclaré vouloir donner un vrai «sens politique» à leur coopération et ont pourtant parlé, exclusivement, qu’économie, argent et commerce. Et ce n’est pas faute aux seuls dirigeants africains, puisque le président de la Commission européenne, José Manuel Barroso, a été le premier à défendre les nouveaux Accords de partenariat économique (APE) avec l’Afrique, tout en annonçant que l’Europe travaille pour «donner un carde politique aux relations UE-UA.» A ce propos, le chef de l’exécutif européen a résumé les questions politiques en deux mots : «droits de l’homme et conflits».

Seulement, ni les chefs d’Etat africains, ni les responsables européens n’ont identifié, évalué et encore moins condamné tel ou tel Etat africain ennemi des droits de l’homme. Les deux partenaires n’ont pas exprimé leurs «inquiétudes» sur les nombreux «conflits» qui rongent l’Afrique. Aucune résolution n’a été prise ou exprimée sur les situations, justement, politiques incertaines en Côte d’Ivoire, en Guinée, au Soudan et pire, aucune allusion aux dramatiques événements qui ont frappé les populations civiles sahraouies sous occupation marocaine. (Le Sahara Occidental a été envahi par le Maroc en 1975 et le conflit se trouve en attente d’un référendum d’autodétermination, ndds) L’hôte de ce Sommet Afrique-Europe (qu’une partie des chefs d’Etat et de gouvernement européens n’ont pas daigné honorer), le Libyen Maâmar Kadhafi, croit, lui aussi, que seule une aide de 5 milliards d’euros par an à l’Afrique constituerait un frein à l’immigration clandestine des Africains vers l’Europe.

80 chefs d’Etat, de gouvernement et de hauts responsables africains et européens réunis en Libye pour déclarer vouloir donner un «cadre politique à leurs relations» et sortir avec des résolutions, pour importantes qu’elles soient, ne soulèvent aucune allusion d’ordre strictement politique, alors que les droits de l’homme, les guerres civiles et militaires sont le lot de populations africaines entières. Plus déroutant, le Maroc qui ne fait pas partie de l’Union africaine (en raison de son occupation du Sahara Occidental) a participé à ce troisième Sommet UA-UE, en envoyant son Premier ministre à Tripoli. Est-ce là, la raison pour que le Sommet se taise sur l’occupation et la répression au Sahara Occidental par les forces marocaines ? A bien y observer, la tentation est grande pour croire que ce sont les pays africains qui sont à l’origine du silence du Sommet sur la question sahraouie. L’Europe s’est déjà prononcée la semaine dernière sur la question par son instance «politique», le Parlement européen.

Ainsi, les Africains se sont satisfaits des éloges européens sur leur taux de croissance de plus de 5% prévu pour 2011, de leur PIB par habitant qui augmente de 6% par an et de leur grand crédit climatique qui ne dépasse pas plus de 3% de la pollution mondiale (émission à effet de serre). Par contre, ils n’ont pas pu infléchir les Européens sur leur offre des nouveaux Accords de partenariat économique (APE), entrée en vigueur en janvier 2008. Accords que les Africains refusent parce qu’ils les pénalisent grandement, mais sont contraints de les accepter. C’est sans doute la leçon première de ce 3ème Sommet UA-UE : l’Europe impose à son avantage ses lois économiques en matière de coopération à l’Afrique, et développe en parallèle un discours politique qui ne choque pas trop les dirigeants africains dans la gestion de leurs pays respectifs. Cela arrange bien les dirigeants africains qui n’aiment pas trop qu’on leur parle de droits de l’homme, de liberté, d’occupation, etc.

Finalement, le troisième Sommet Afrique-Europe est bien un Sommet politique puisqu’il réduit l’origine des misères et violences en Afrique aux seuls facteurs économiques. 5% de croissance en Afrique, c’est-à-dire près de 5 fois celle de l’Europe, et pourtant la paix et la liberté ne sont pas les bienvenues en Afrique. C’est donc politique et l’Europe a raison de le souligner.
par Notre Bureau De Bruxelles : M’hammedi Bouzina Med
Le Quotidien d’Oran, 01/12/2010

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