Le souvenir est le seul paradis dont nous ne puissions être expulsés (Jean-Paul Richter )
Alors que Mohamed VI exige la réouverture des frontières,
les terres d’Algériens toujours confisquées au MarocOn a souvent réduit le contentieux qui mine les relations entre l’Algérie
et le Maroc à la simple question sahraouie.Or, face à la campagne de déchaînement de Rabat, qui appelle avec une trop
bruyante insistance à la réouverture des frontières, le dossier de l’expropriation des terres des Algériens résidant au Maroc n’a toujours pas été réglé par ce pays.Récemment, le roi Mohammed VI, dans un discours à ses sujets, a encore “exigé” la réouverture des frontières communes. Il a mis en avant la “sincérité” et la “fraternité” qui devraient caractériser les relations bilatérales. Dans les médias marocains, l’hystérie habituelle contre l’Algérie s’enclenche à travers une pression médiatique, diplomatique et associative qui a même poussé certaines associations à déposer une plainte contre le président Bouteflika devant le… TPI.
Il est question de “la marche noire” des expulsés marocains d’Algérie en 1975, de la récupération de biens ou encore des insultes contre le défunt président Boumediène et son ancien ministre des Affaires étrangères, le
même Bouteflika, accusés d’avoir humilié les Marocains.Toutefois, l’argumentaire marocain occulte tout un pan de l’histoire algéro-marocaine. Comment en est-on arrivé là ? Pourquoi les relations entre frères maghrébins sont devenues aussi tendues ? Quel est ce contentieux terrien qui, sans règlement, continuera d’empoisonner le climat maghrébin ?
Après l’attentat de l’hôtel Hasni, à Marrakech, le Maroc avait décidé, sous l’impulsion de Hassan II, de chasser des milliers
d’Algériens. Brimades, passages à tabac, humiliations, expulsions.Les ressortissants algériens ont eu droit à un traitement de choc de la part de voisins qui ne trouvaient rien d’autre à dire que d’accuser les services algériens d’être à l’origine de cet attentat. Affirmation largement démentie par le procès des terroristes marocains, exécutants de cet acte terroriste. D’ailleurs, il serait utile de rappeler qu’Alger attend toujours de Rabat les excuses officielles quant à ces accusations infondées.
Or, cette opération de “chasse à l’Algérien” n’était pas la première. Déjà, en 1973, et bien avant que la guerre au Sahara occidental n’éclate, le Maroc avait commis un précédent gravissime occulté par l’histoire officielle comme dicté par le palais royal. L’origine de cette agression a été le dahir (décret) du 2 mars 1973 qui a permis la spoliation de terres de nombreuses et honorables familles algériennes vivant au Maroc qui
ont vu leurs propriétés agricoles confisquées et versées à une société d’État de gestion de biens agricoles, la Sogeta.
Selon les chiffres dont nous disposons aujourd’hui, 273 Algériens ont été victimes de la “marocanisation” de leurs terres. Ils possédaient plus de 15 965 hectares en surfaces exploitables et fertiles qui leur ont été carrément pris. Quand on sait que la Sogeta gère actuellement 40 000 hectares sur l’ensemble du Maroc, il s’agit bien de près de 40% du patrimoine foncier agricole public marocain qui a été volé à nos compatriotes.
Les Marocains mettent en avant des mesures de représailles en accusant l’ex-ministre des Affaires étrangères algérien, Abdelaziz Bouteflika.
Ce dernier a pourtant été signataire, au nom du gouvernement algérien, de la fameuse convention d’établissement, signée le 15 mars 1969, et du protocole annexe modifiant et complétant les dispositions de ladite convention que Bouteflika signera également à Ifrane le 15 février 1969. Ce jour-là, le Maroc était représenté par Ahmed Laraki.
Que dit la convention ? D’abord, que les “ressortissants des deux États sont assimilés aux nationaux en ce qui concerne l’exercice des activités professionnelles et salariées (…)”. En un mot, qu’Algériens et Marocains sont égaux sur le plan professionnel.
Ensuite, la convention stipule qu’“ils pourront librement accéder à la propriété des biens mobiliers et immobiliers, en jouir et exercer tous les droits de possession de propriété et de disposition dans les mêmes conditions que les nationaux”.
En bref, les Algériens spoliés de leurs terres se croyaient aussi à l’abri que les Marocains eux-mêmes.
Enfin, le texte de la convention dans son article 5 précise qu’“ils pourront assurer la gestion sous toutes ses formes, de leurs biens mobiliers et immobiliers, soit directement, soit par mandataire, ainsi qu’exercer toute
activité industrielle, commerciale ou agricole, le tout au même titre que les nationaux”.
En conclusion, “les biens des ressortissants de chacun des deux pays situés sur le territoire de l’autre ne pourront faire l’objet d’expropriation (…)”.
Ces accords entre l’Algérie et le Maroc ont été totalement discrédités par l’attitude marocaine qui a “marocanisé” les terres des Algériens.
Alors que Rabat met en avant le Sahara occidental comme seule pomme de discorde, l’histoire nous enseigne, dans le cas de cette spoliation, que les Marocains avaient déclenché les hostilités sans en mesurer les conséquences à long terme.
Même le fameux décret du président Boumediène, qui ne faisait qu’appliquer la réciprocité face au dahir de 1973, était empreint d’une certaine amertume naïve à l’égard d’un Maroc pourtant belliqueux : “Ce que l’Algérie a entrepris en direction des citoyens du Maghreb arabe est seulement une position de principe pour les traiter comme des étrangers. Ceci ne peut être de leur part qu’un reniement de notre passé commun (…)”, ajoutant que “nous croyons profondément et toujours en l’avenir du Maghreb arabe unifié que nous voulons réaliser pas après pas”. Il faut admettre que cette forme de candeur à l’égard du Maroc allait
exploser à la face de l’Algérie quand le Maroc a déclenché sa marche verte contre les Sahraouis, en colonisant tout un territoire au sud du Maroc.
Ce contentieux peut-il être oublié côté algérien ? Certainement pas. Ni par les familles algériennes elles-mêmes dont certaines ont engendré des hauts cadres de l’État et qui avaient vécu, dans leur chair, ce que suppose la “fraternité” marocaine.
L’État algérien ne peut également oublier, ni tolérer ces spoliations, surtout que le Maroc avait même indemnisé les colons français et jamais rien proposé aux Algériens spoliés.
Récemment, le ministre d’État, ministre de l’Intérieur, Yazid Zerhouni, originaire de Nedroma et connaissant bien ce dossier du fait que certaines familles spoliées sont issues de cette région frontalière, avait estimé que “la construction du Grand-Maghreb est une nécessité historique qui passe par un discours de vérité”.
Cette vérité n’est certainement pas entendue du côté marocain, comme l’explique cet ancien propriétaire terrien au Maroc complètement dépossédé de ses biens et qui occupe un haut poste de responsabilité : “Si le Maroc veut une communauté de destin avec l’Algérie, s’il veut renforcer les liens fraternels, construire un partenariat exemplaire et renforcer nos intérêts communs, avantageux pour les uns et les autres, il doit cesser de pratiquer la mémoire sélective.”
Finalement, le discours de Mohammed VI sur les frontières pose la question fondamentale, côté algérien, de savoir si c’est le bon moment de régler ces contentieux. Le souverain marocain en appelle à la fraternité et à la sincérité. Les Algériens, eux, en appellent à la justice et au droit.
Si le Maroc franchit ce cap psychologique et rend justice à ces spoliés, ce sera certainement une première fenêtre qui s’ouvrira dans l’espérance du Maghreb. Un acte de justice qui sera beaucoup moins pénalisant que la simple fermeture des frontières.
Liberté
08/12/2010
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