Abdelkader Taleb Omar à Horizons : «La patience a ses limites»

Dans cet entretien qu’il nous a accordé à Ouserd, dans les camps des réfugiés à Tindouf, Abdelkader Taleb Omar, le Premier ministre sahraoui, revient sur les derniers développements dans les territoires occupés et la détermination des Sahraouis qui ont, à partir de 1991, opté pour la lutte pacifique, de reprendre les armes.

Il estime que la patience a ses limites. Pour lui, le retour aux armes n’est pas à exclure, après l’attaque meurtrière du camp de la liberté. « Si aucune solution pacifique n’est trouvée, rien n’empêchera les jeunes Sahraouis qui ont déjà manifesté pour en finir avec le colonialisme marocain à reprendre les armes d’un moment à l’autre », dit-il.

L’Organisation des Nations unies lance des appels incessants pour que le Soudan organise un référendum sur le Sud-Soudan. Vous ne pensez pas qu’il est nécessaire d’insister auprès de l’institution onusienne pour qu’elle amène le Maroc à organiser le référendum d’autodétermination promis ?

Nous l’espérons bien, parce que la question sahraouie est défendue par le droit international, puisqu’elle est considérée comme une question de décolonisation. Je crois qu’il y a un pays membre permanent du Conseil de sécurité, la France, qui fait obstacle à toutes les initiatives et tous les mécanismes mis en œuvre, en opposant notamment son veto contre l’envoi d’une commission d’enquête internationale sur l’attaque du camp de la liberté qui a fait des dizaines de morts, des milliers de blessés et de disparus.

Je me demande d’ailleurs pour quelle raison ce pays ne veut pas que le Sahara occidental soit indépendant et veut à tout prix que le Maroc, qu’il protège, contrôle cette zone. Il me semble que la France voit en la guerre le prolongement de la guerre d’Algérie qui, pour elle, n’est pas encore terminée.
Vous parlez des blocages de la France quant à toute avancée dans la question sahraouie. Est-ce que les représentants du Polisario en France se sont rapprochés des autorités françaises, le président Nicolas Sarkozy notamment, pour en discuter ?

Bien sûr que oui. Le représentant du Front Polisario a rencontré celui de la France à l’ONU. Il lui a demandé à plusieurs reprises de prendre position non pas en faveur du Sahara occidental mais de la légalité internationale. Nous avons aussi fait savoir à la France qu’elle doit savoir qu’il n’y a pas que le Maroc au Maghreb et que si elle feint de l’ignorer cela nuira à l’équilibre de la région. La politique française actuelle ne sert pas la stabilité dans la région plus que jamais menacée d’embrasement.

Est-ce que la condamnation de l’attaque du camp de la liberté par le Parlement européen pourrait surseoir à la position française ?

Cette résolution qui prévoit l’envoi d’une commission d’enquête internationale pour faire toute la lumière sur ce qui s’est passé dans les territoires occupés a eu un grand impact sur le plan international. Ce qui a ébranlé le régime marocain qui n’a pas trouvé mieux que d’organiser une marche à Casablanca pour tenter vainement de réduire l’écho qu’a eu la résolution en question.

Au lieu de reconnaître l’existence de quelque trente mille Sahraouis qui survivent dans des conditions infrahumaines en raison du blocus imposé par son armée, le Maroc poursuit sa politique de diversion en attribuant les manifestations organisées par le peuple sahraoui pour protester contre leur sort à des groupuscules de fauteurs de troubles. La résolution du Parlement européen est un point politique important pour la lutte des Sahraouis. Nous espérons que cette résolution se répercutera sur la politique française par rapport à la question sahraouie. En tous les cas, nous sommes convaincus que le Parlement européen a un poids moral et politique.

Au moment où la ministre espagnole des Affaires étrangère a appelé à l’envoi d’une commission d’enquête internationale dans les territoires occupés, Zapatero n’a pas dit un mot sur les massacres des sahraouis du camp de la liberté. Pourquoi ce «silence» à votre avis ?

Tout le monde a remarqué que le gouvernement espagnol croyait être dans une situation qui ne lui permettait pas de prendre position en faveur du Sahara occidental, après l’attaque du camp de la liberté. Ce qui est important à nos yeux, ce sont assurément ces dirigeants influents, ces militants des droits de l’homme et la société civile qui se sont à maintes reprises levés contre l’attitude officielle de leur pays et ne cessent de faire pression sur leur gouvernement afin de l’amener à changer de position vis-à-vis de la question sahraouie. De nombreuses manifestations ont été organisées presque quotidiennement par ces défenseurs des droits humains, soutenant ainsi le combat des Sahraouis pour leur indépendance, après ce qui s’est passé dans le camp de la liberté.

Ces derniers temps, l’on parle de plus en plus du retour à la lutte armée, est-ce vrai ?

Nous attendons l’évolution de la situation. Nous militons pacifiquement pour résoudre le problème sahraoui. Nous avons opté pour la lutte pacifique à partir de 1991. Si aucune solution pacifique n’est trouvée, rien n’empêchera les jeunes Sahraouis qui ont déjà manifesté pour en finir avec le colonialisme marocain à reprendre les armes d’un moment à l’autre. La patience a ses limites. La situation est grave. La reprise ou non des armes dépend de l’évolution des choses. On constate de plus en plus la mobilisation de la communauté internationale qui soutient le peuple sahraoui.

C’est un signe positif qu’on doit mettre en valeur pour que les institutions internationales pressent le Maroc de respecter les résolutions onusiennes. Cela permettra peut-être d’accélérer le processus de paix dans la région, plus que jamais menacée. Les hommes ont depuis l’attaque du camp de la liberté rejoint leurs unités, car ils doivent se préparer à faire face à d’éventuelles agressions, surtout après l’intention affichée du roi de reprendre les territoires libérés.

Le Polisario et le Maroc reprendront les négociations. Ne pensez-vous pas que l’attaque du camp de la liberté entravera la suite des pourparlers ?

C’est certain. Toute négociation doit être engagée dans la sérénité, le calme et la paix. Ce n’est pas le cas pour les dernières négociations informelles engagées par les deux parties sous l’égide des Nations unies. Je dois préciser que l’attaque du 8 novembre dernier, survenue la veille du lancement de ces négociations, n’a pas du tout arrangé les choses.

Les pourparlers n’ont pas atteint l’objectif escompté. Il est vrai que le roi marocain a dévoilé son intention de reprendre les territoires libérés.

Horizons, 2/12/2010

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