Entretien exclusif avec le président sahraoui Mohamed Abdel Aziz: «Pour donner une chance à la paix, nous sommes disposés à mettre entre parenthèse la RASD que nous avons proclamé

C’est une interview exclusive, obtenue comme par hasard, mon confrère italien Stefano Liberti du journal «Il Manifesto» m’ayant vendu la mèche d’un rendez-vous avec le président sahraoui pris en marge du déjeuner et moi, à mon tour, en faisant de même avec mon compagnon du site «al akhbar.info». Entretien.
N.I.-A.N: M. le président notre première question est sans doute de savoir l’état des relations que vous entretenez avec le gouvernement et la classe politique mauritaniens ?
Le président sahraoui Mohamed Abdel Aziz: Hum… Hum…. Ce sont des relations fortes et excellentes. Nous sommes voisins et vous savez qu’il y a une même culture, une même langue, les mêmes traditions et une interpénétration des relations humaines et sociales entre le peuple sahraoui et le peuple mauritanien. Sur le plan politique, vous savez que la République Islamique de Mauritanie reconnaît la République Arabe Sahraouie Démocratique, et il y a de grandes relations de bon voisinage que nous cherchons à renforcer pour le bien de nos deux pays et la sécurité dans la région en général.
N.I.-A.I: Justement au sujet de la sécurité il y a des accusations qui certains estiment que la région est incontrôlée et vont jusqu’à dire que ce que vous appelez les zones libérées sont devenues des zones de terrorisme et de transit des terroristes d’AQMI …
Le président sahraoui Mohamed Abdel Aziz: Dans les zones libérées, nous avons avec nous les observateurs des Nations Unies, notamment de la MINURSO. De même que dans les zones libérées de notre territoire, il y a l’administration de notre Etat, nos forces armées et ce sont des zones ouvertes à longueur d’années pour les visiteurs internationaux y compris les journalistes et les mauritaniens. Aucun acte relevant de terrorisme ou d’instabilité ou de laisser-aller ou de perte de contrôle ne s’y est produit ni a été opéré depuis le 6 septembre 1991, c’est-à-dire depuis le jour de cessez-le-feu entre l’armée nationale sahraouie de libération et l’armée marocaine et donc ce sont des zones sécurisées. C’est dire que ces accusations sont, en toute franchise l’œuvre du Maroc dont les services officiels s’en font l’écho pour porter atteinte au peuple sahraoui et l’Etat sahraoui et aussi pour jeter la poudre aux yeux de l’opinion publique internationale. De notre point de vue, c’est le royaume du Maroc qui est la principale source d’instabilité dans la sous-région du Nord-Ouest de l’Afrique. Primo c’est un pays qui est considéré parmi les plus anciens pays producteurs de drogue en particulier le Haschisch qu’il exporte partout en particulier vers l’Europe via la mer, l’Algérie, le Sahara occidental, la Mauritanie via l’océan et le sahara désertique et c’est pourquoi il y a des bandes spécialisées dans le trafic de cette drogue qu’est le haschisch. La guerre que mène le Maroc au Sahara occidental pour imposer un état de fait militaire et annexer par la force ce territoire est une source d’instabilité, de tension permanente, de malentendus entre les Etats et les parties qui empêche l’existence de politique de confiance, de coopération et de bon voisinage pour faire face aux problèmes qui existent ou qui peuvent exister. Quant au gouvernement sahraoui et le Front Polisario, il est entendu de par notre parcours, notre orientation, notre politique et aussi de par la reconnaissance de tous que nous sommes contre le chaos, le laisser-aller, le terrorisme, l’instabilité et que nous sommes avec le respect des Etats et des peuples, leurs affaires intérieures des Etats et le droit international et c’est que existe de fait dans les zones libérées de la République Arabe Sahraoui Démocratique. Nous vous invitons, en tant que journalistes, intellectuels, faiseurs d’opinions, à venir quand vous voulez, visiter en toute liberté, les zones libérées de la RASD pour voir de visu ce qui s’y passe et demandons aux autorités marocaines de vous autoriser et d’autoriser d’autres journalistes à en faire autant dans les zones occupées pour faire la différence entre la propagande marocaine et la réalité sur le terrain.
N.I.-A.I: M. le Président, si vous permettez, une double question: d’abord sur votre participation à ce 50ème anniversaire de la Résolution 15/14 qui vous concerne en premier, le Sahara occidental étant l’un sinon le dernier territoire d’Afrique non décolonisé et ensuite au sujet de vos relations avec la Mauritanie. Que manque-t-il à ces rapports mauritano-sahraouis, quelle coordination entretenez-vous, par exemple, dans la lutte contre le terrorisme ?
Le président sahraoui Mohamed Abdel Aziz: En réponse au premier volet de votre question, nous remercions le gouvernement algérien pour son initiative qui a permis de célébrer le 50ème anniversaire de la Résolution 15/14 portant Déclaration sur l’octroi de l’indépendance aux pays et aux peuples coloniaux pour exercer leur droit à l’autodétermination et à l’indépendance. Ce fut une grande occasion pour nombre d’hommes et de femmes qui ont largement contribué et de façon dynamique en Afrique, en Amérique latine et particulièrement en Asie, au mouvement mondial de liberté qui est naît, a grandi et a évolué au lendemain de la seconde guerre mondiale avec la génération Ben Bella, Kenneth Kaunda, Thabo Mbeki, Salim Ahmed Salim, Obasanjo, et j’en passe, qui y ont participé avec bien d’autres en allant du Vietnam jusqu’en Afrique. Donc c’est une opportunité leur permettant de se réunir et parmi eux il y en a qui ont fait la résistance et lutté par les armes, par leurs plumes, par la politique, le cinéma, le théâtre … Mais aussi rencontrer ceux, juristes, journalistes, … qui ont accompagné cette dynamique, aidé, soutenu et plaidé en faveur de ce mouvement de liberté dans le tiers-monde, en Europe mais aussi aux USA, ayant abouti à cette résolution de l’Assemblée générale des Nations Unies du 14 décembre 1960. Mais ce fut aussi la rencontre entre toutes ces personnalités et les nouvelles générations qui avaient suivi pour que tous se retrouvent ensemble et célèbrent les indépendances des pays et des peuples consacrées après l’adoption de cette déclaration 15/14. Cette conférence d’Alger a été également une occasion pour attirer l’attention et rappeler que même si cette déclaration 15/14 a profité à plusieurs peuples et a donné lieu à plusieurs indépendances et au règlement de nombre de questions de décolonisation, il reste encore des pays, des endroits et des peuples qui attendent la mise en œuvre de cette Résolution et donc il s’agit d’un appel à l’opinion publique internationale et à la communauté internationale pour faire pression et mobiliser les forces à nouveau pour l’application de cette résolution et parmi ces Etats le Sahara occidental. Dans notre analyse, cette conférence d’Alger à laquelle ont participé la Ligue Arabe, l’Union Africaine, l’ONU et beaucoup d’autres organisations et personnalités qui ont leur influence et leur rôle à jouer dans le cas sahraoui et dans d’autres cas comme celui de la Palestine. C’est donc une occasion pour dire que le problème de la colonisation est insupportable.
Pour le deuxième volet de votre question et en ce qui concerne la Mauritanie, comme je l’ai dit nous partageons beaucoup, nous sommes toujours, en tant que politiques, en quête de rehausser le niveau des relations pour répondre aux attentes que nous impose l’Histoire et la culture. Je dois dire toute notre satisfaction de la confiance mutuelle qui existe entre la RASD et la Mauritanie et la nature de la coordination entre nous. Il y a deux Etats voisins, observateurs dans les négociations entre nous et le Maroc sous la supervision de l’envoyé spécial du Secrétaire général des Nations Unie. Tout cela constitue des facteurs importants qui prédisposent la Mauritanie à jouer un rôle de premier rang pour l’avènement de la paix et la construction maghrébine et pour rendre justice aux ayant-droits légitimes.
N.I.A.I : D’aucuns affirment que vous avancerez des concessions intéressantes, quelle en est la nature ?
Le président sahraoui Mohamed Abdel Aziz:
Vous savez que le 10 avril 2007, nous avons avancé une proposition aux Nations Unies qui l’a présenté à son tour au Maroc. Trois jours plus tard, le Maroc a fait sa propre proposition et depuis, il y a sur la table des négociations deux propositions, la nôtre et celle du Maroc en plus de la recommandation du Conseil de Sécurité qui définit la mission de l’envoyé spécial du Secrétaire Général de l’ONU qui est de trouver une solution garantissant au peuple sahraoui son droit à l’autodétermination. L’avantage de la proposition sahraouie est çà c’est très important, est qu’elle ne rejette pas la proposition marocaine et ne la néglige pas, mais plutôt l’inclus. Mieux, nous avons même dit d’accord: que pour que la proposition marocaine soit l’un choix et que la proposition sahraouie en soit un autre et qu’on les soumette au vote des électeurs sahraouis dans une opération référendaire libre et indépendante pour qu’ils aient le dernier mot. Mais le royaume du Maroc a refusé et rejeté à priori la proposition sahraouie et exige que les négociations soient uniquement dans le cadre de la proposition marocaine et suivant l’idée que s’en fait le Maroc qui est que le Sahara est marocain et que le Maroc annexe le Sahara occidental et partant le point de vue du Maroc change de négociations en vue de trouver une solution qui garantit le droit à l’autodétermination comme le stipule la résolution du Conseil de Sécurité des Nations, à des négociations pour faciliter une opération de reddition des sahraouis. Or la reddition ne demande de négociation. C’est quelque chose qui est rejeté par le droit et rejeté moralement, politiquement et même rejeté par les résolutions des Nations Unies. Nous avons une proposition ouverte et constructive qui ne fait pas table rase de ce que demande le Maroc lequel ne doit pas le rejeter.
N.I.A.I.: Est-ce que vous avez des concessions à avancer pour les négociations prévues dans quelques jours?
Le président sahraoui Mohamed Abdel Aziz:
La principale divergence qui est à l’origine du conflit entre nous et le royaume du Maroc est la souveraineté sur le Sahara Occidental. Or, le droit international met la souveraineté sur le territoire sahraoui entre les mains du seul peuple sahraoui. Nous disons que nous sommes provisoirement disposés à abandonner la République Arabe Sahraouie Démocratique (RASD) comme le Maroc doit abandonner provisoirement sa souveraineté sur le Sahara occidental pour demander au peuple sahraoui qui est le seul et légitime souverain: A qui la souveraineté? Est-ce pour l’indépendance nationale au Sahara Occidental ou pour le royaume du Maroc ? Ceci est une concession capitale qu’avance la République Arabe Sahraouie Démocratique qui a 35 ans d’âge et qui a prouvé en temps de guerre, de paix, de négociation, dans tout, qu’elle est un Etat viable et représente un choix et une ambition pour les sahraouis. Elle est membre de plein droits de l’organisation continentale et est actuellement membre-fondateur de l’Union Africaine, elle a des relations diplomatiques avec plus de 80 pays, elle est réputée crédible et son respect du droit international dans la région, elle est devenue une réalité nationale, régionale et internationale et le droit international circonscrit la souveraineté sahraouie. Et, malgré tout cela, nous sommes disposés à mettre entre parenthèse la RASD que nous avons proclamé pour donner une chance à la paix. Nous sommes disposés à mettre au frigo provisoirement tout çà et oublier que nous sommes un Etat souverain, si le Maroc oublie le fait qu’il exerce son autorité sur le territoire pour demander au peuple sahraoui ce qu’il veut. C’est une concession énorme, très, très, très énorme. Mais nous disons même plus: si le peuple sahraoui choisit son indépendance, nous sommes prêts à négocier avec le Maroc, dans un climat serein et avec un esprit d’ouverture et d’entente, et à discuter avec lui de ses préoccupations économiques, stratégiques, sécuritaires de façon ouverte et positive.

N.I.A.I.: Il y a en Mauritanie ce qu’on appelle le «dossier sécuritaire» dans lequel figureraient des sahraouis qui seraient des militaires arrêtés aux frontières d’il y a quelques mois et détenus à la prison civile mauritanienne. Avez-vous idée sur ce dossier ?
Le président sahraoui Mohamed Abdel Aziz:
Je n’ai pas connaissance que les autorités mauritaniennes ont arrêté des militaires sahraouis sur les frontières. Mais alors absolument pas à ma connaissance. Que le pouvoir mauritanien arrête quelqu’un de quelle nationalité soit-il ou qui qu’il soit, qui ayant, sur le territoire mauritanien, contrevenu aux lois de circulation, du commerce, de la santé ou n’importe quelles lois en vigueur en Mauritanie, les autorités mauritaniennes y ont droit, car elles doivent protéger leurs lois. Mais je n’ai aucunement connaissance que les autorités mauritaniennes ont arrêté ou détiennent un sahraoui militaire soit-il ou civil.
N.I.A.I.: Lors du rapt des espagnols en Mauritanie en novembre 2009, il avait été dit que les ravisseurs avaient, avant d’arriver au Nord Mali, transité par le Sahara …
Le président sahraoui Mohamed Abdel Aziz:
Je crois que ce sujet a dépassé le stade des rumeurs, les autorités mauritaniennes ayant mené les enquêtes nécessaires et s’étant arrêtées sur des réalités. Elles ne nous ont pas dit qu’il y a eu utilisation de notre territoire par les ravisseurs et je reste convaincu jusqu’à présent que, ni avant, ni après l’exécution du crime, le territoire national sahraoui n’a été utilisé.
N.I.A.I.: Le dernier round des négociations s’est déroulé pendant le démantèlement du camp de Gdim-Izik. Est-ce que vous avez songé à abandonner la table des négociations par rapport à l’attaque du Maroc. Ceci d’une part et d’autre part, beaucoup de gens qui ne sont pas contents dans les camps des réfugiés à Rabouni, à Tindouf, vous demandent de reprendre les armes. Est-ce que le Polisario serait prêt à faire la guerre ?
Le président sahraoui Mohamed Abdel Aziz: L’assaut sur Gdim-Izik a été lancé aux alentours de 6H du matin à l’aube du 8 novembre, alors que les négociations de Manhattan étaient programmées pour 9H heures locales de New York. L’attaque de Gdim-Izik est intervenue 8H de temps environ avant le début des négociations à Manhattan. C’est dire combien nous avons vraiment été sous forte pression, où les téléphones, depuis la ville de Laâyoune, nous faisaient entendre le crépitement des armes, le son des avions, les gémissements des femmes et des blessés. Ils nous transmettaient des flashs d’images des camps qui brûlaient et nous appelaient au secours. D’un autre côté, nous étions invités à Manhattan à des négociations. Nous étions soumis à un véritable tiraillement, à savoir agir par sentiments, émotions ou agir avec raison. Parce que le timing de l’attaque nous laissait le sentiment que le Maroc veut se soustraire aux négociations et nous faire porter la responsabilité de leur échec. Mais nous avons compris le piège et nous avons décidé d’aller aux les négociations. Je crois que nous avons déjoué la manœuvre marocaine.
S’agissant de la guerre, c’est maintenant devenue une exigence collective de tous les sahraouis, parce qu’ils vivent une profonde déception en ce qui concerne la volonté politique au Maroc mais aussi face aux agissements des Nations Unies. Le sentiment des sahraoui et le leitmotiv qui est sur toutes les langues sahraouies aujourd’hui est que les Nations Unies les ont trahis car le 6 septembre 1991, il leur a été demandé d’accepter un cessez-le-feu et qu’en contrepartie les Nations Unies et le Maroc leur accorderont un référendum d’autodétermination au bout de huit (8). Ils en sont aujourd’hui à leur 19ème année et le Maroc dit même officiellement qu’il a tourné la page du référendum et cela devant les Nations Unies qui se sont engagées publiquement à donner au peuple sahraoui sa chance d’aller vers un référendum d’autodétermination. Les sahraouis disent aussi que les Nations Unies ont un siège à Laâyoune à 12 Km de celui de la MINURSO et que le Maroc viole le cessez-le-feu non pas contre l’armée sahraouie mais plutôt contre les femmes, les enfants et les vieillards paisiblement endormis dans les camps de Gdim-Izik. Que même une condamnation ou une enquête n’a pas été faite par l’ONU. Face à ce comportement onusien, le peuple sahraoui se dit que l’ONU est faible, n’existe pas, ou que l’ONU est complice.
Devant cette situation, nous défendrons nos droits, nos vies, nos femmes et je ne cache pas franchement, que nous sommes, en tant que dirigeants du Front Polisario, sous forte pression de la partie de notre peuple. Nous demandons à Dieu que l’ONU comprenne la complexité et la difficulté de la situation et essaye de sauver ce qui peut être sauvé pour la paix.
N.I.A.I: Le Maroc vous accuse d’être derrière ce qui s’est passé à Gdim-Izik, que vous avez des groupuscules qui ont organisé ces manifestations et joué les trouble-fêtes …
Le président sahraoui Mohamed Abdel Aziz:
Qu’en est-il de ce phénomène. Au départ, il y avait environ 30.000 citoyennes et citoyens de la ville de Laâyoune qui sont sortis à 12 Km construire 8.000 tentes et ont décidé d’y vivre paisiblement, sans arme et sans volonté d’agresser personne ni de recourir à la violence. Ils sont sortis de manière à ne pas entraver ou perturber la vie des citoyens marocains qui se trouvent à Laâyoune et qu’ils ne sentent pas que la protestation sahraouie est une gêne, une provocation. Ils ont établi des revendications légitimes de droit à l’autodétermination, de droit au travail, de droit au logement, et ont appelé le monde à être témoin. Ils sont restés dans cette situation jusqu’à leur agression à l’aube du 8 Novembre ils ont été agressés. Ce que vous dites-là est une pure propagande du Maroc, ce sont des rumeurs d’un agresseur qui tente de faire porter la responsabilité à la victime. Mais pour tordre le coup et définitivement à ces dires, pourquoi le Maroc n’a pas été autorisé la mise en place d’une commission d’enquête internationale indépendante ? Pourquoi le Maroc n’a pas ouvert la région aux observateurs internationaux et la presse internationale? Euh bien parce que le Maroc dissimule le crime. Le journaliste italien en sait quelque chose, lui qui était au camp de Gdim-Izik.
Propos recueillis à Alger par:
Mohamed Ould Khattatt pour Nouakchott Info et ani.mr
Haiba Ould Cheikh Sidaty pour alakhbar.info
Stefano Liberti pour Il Manifesto

Source : ani.mr, 24/12/2010

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