L’appel d’Alger

Hormis ceux dont le destin en a décidé autrement, ils étaient tous là. Cinquante ans après les indépendances africaines, ces « pères de la Nation », mûris par de longues expériences, le dos légèrement voûté, le visage creusé par les rides, sont venus témoigner à Alger que, sur le continent noir et ailleurs, au Proche-Orient, en Asie, en Europe ou en Amérique latine, l’émancipation des peuples ne sera pas achevée tant qu’un seul d’entre eux n’aura pas exercé son droit inaliénable à l’autodétermination, clé de voûte de l’ordre international né des luttes nationales contre la domination coloniale.

Si la plupart des peuples colonisés ont depuis réussi à arracher héroïquement leur indépendance, seize peuples restent en effet privés de leur droit à l’autodétermination et à l’indépendance, alors qu’est célébré le 50e anniversaire de la résolution 1514 adoptée le 10 décembre 1960 par l’Organisation des Nations unies (Onu) qui reconnaissait pour la première fois aux peuples colonisés le droit de décider eux-mêmes de leur propre sort face aux hégémonies de toute nature qui les subjuguaient. Pis encore, depuis l’effondrement de l’Union soviétique on assiste à la recolonisation militaire de nouveaux pays, comme l’Irak et l’Afghanistan.

Parmi ces dirigeants prestigieux blanchis sous le harnais, on remarquait la présence du président Kenneth Kaunda de Zambie, chantre du mouvement des non-alignés, le compagnon de route et successeur de Nelson Mandela, Thabo M’Beki, l’ancien président du Nigeria Olesegun Obasangjo, la lauréate brésilienne du prix Nobel de la paix Rigoberta Menchu ou l’ancienne vice-présidente du Viêt-nam Nguyen Thi Binh, présidente de la conférence. Ils se tenaient au Palais des nations aux côtés de leurs anciens camarades de lutte algériens : Ahmed Ben Bella, premier président du pays, Lakhdar Brahimi et Rédha Malek, deux des « jeunes diplomates de la révolution », qui avaient marqué de leur empreinte le rude combat diplomatique pour l’indépendance de l’Algérie, Abdelhamid Mehri, inoxydable vétéran du mouvement national. Il y avait aussi Me Jacques Vergès, « l’avocat de la rupture » dans le combat judiciaire contre l’injustice coloniale, Stéphane Hessel, 93 ans, résistant gaulliste, ami de longue date de l’Algérie, actuel animateur du Tribunal Russel sur la Palestine, et, pour faire le lien entre les générations, les enfants de Patrice Lumumba, héros de l’indépendance congolaise assassiné par l’armée belge, de Franz Fanon, théoricien de la Révolution algérienne, et de Kwame N’Krumah, père de l’indépendance du Ghana et héraut du panafricanisme. Au total, quelque 200 personnalités de tous horizons liées par leur attachement au droit des peuples à l’autodétermination. Dans la salle flottaient les ombres du Guinéen Amilcar Cabral, du Chilien Salvador Allende, du Burkinabé Thomas Sankara et de biens d’autres, qui ont payé de leur vie leur lutte pour l’indépendance de leur peuple.

Pour l’histoire, Abdelaziz Belkhadem, ministre d’État, représentant personnel du président Abdelaziz Bouteflika, est venu rappeler que le « colonialisme a été une entreprise systématique d’oppression et de destruction de nos sociétés, de déni de notre personnalité et de spoliation de nos richesses ». L’Algérie, qui en a connu la forme la plus achevée, a fait de sa lutte de libération, déclenchée le 1er novembre 1954, un moment essentiel du mouvement historique de libération des peuples. La résolution 1514 de l’Onu est un des fruits de ce combat, qui a « contribué à l’éveil de la conscience universelle et à la dénonciation des méfaits du colonialisme ». Elle a constitué le socle juridique qui a permis à des dizaines de pays d’Afrique et d’Asie de revendiquer et d’obtenir leur indépendance. Pour autant, le dossier n’est pas clos et la tâche n’est pas terminée, tant qu’il restera un seul peuple privé de ce droit, pliant sous le joug colonial. Et chacun de penser à la Palestine et au Sahara occidental (occupé par le Maroc depuis 1975 ndds), dont les peuples attendent l’un et l’autre l’application des résolutions onusiennes. « Le droit à l’autodétermination doit s’appliquer en particulier au peuple palestinien et celui du Sahara occidental. Ils sont en droit d’attendre de la communauté internationale un soutien plus ferme et une action plus résolue en vue d’exercer leur droit à disposer d’eux-mêmes », a ainsi martelé M. Belkhadem, qui plaide en Algérie pour une « criminalisation du colonialisme ».

Il est relayé par Jean Ping, président de la Commission de l’Union africaine (UA), qui estime que si « la guerre d’Algérie a ouvert une large brèche pour beaucoup de pays africains (…) en permettant de réaliser des progrès immenses pour la libération des peuples africains, ce processus reste à achever tant que la Palestine et le Sahara occidental figureront parmi les 16 pays encore colonisés ». Même son de cloche de la part de la représentante du Viêt-nam, Nguyen Thi Binh, qui estime qu’il reste un « long chemin à parcourir pour parachever le processus des indépendances », que « l’Onu assume une grande responsabilité » vis-à-vis des 16 pays encore colonisés, et qu’une « nouvelle lutte [pour le développement] doit être engagée [pour parachever l’indépendance politique], nécessitant une coopération et une solidarité étroites de tous les pays ». L’occasion pour Rédha Malek, négociateur des accords d’Évian marquant la fin de l’Algérie française, de souligner que le droit à l’autodétermination imposé par la lutte armée à l’administration coloniale française est une composante essentielle de l’identité politique algérienne. « Si nous arrêtons de soutenir la lutte légitime des peuples, nous perdons notre identité », a-t-il dit.

Au nom de la société civile internationale, le militant belge des droits de l’homme, Pierre Galant, la mèche en bataille, la barbe poivre et sel, les yeux bleus, rouges de colère, et le verbe haut, estime que la résolution 1514 n’est « pas tombée en désuétude ». Il condamne avec la même virulence le blocus de Gaza par Israël et la répression des manifestants d’El-Ayoun, demande l’envoi d’une commission d’enquête sur la violation des droits de l’homme au Sahara et en appelle à la communauté internationale pour mettre fin au pillage des richesses naturelles de ces deux pays.

Deux ateliers ont permis de mettre au point « L’Appel d’Alger », qui sonne comme un rappel à l’ordre des instances internationales, pour un « soutien ferme et une action plus résolue » de la communauté internationale en faveur des Palestiniens et des Sahraouis. Il les invite à bannir la politique du « deux poids deux mesures », ajoute dans une allusion directe aux cas palestinien et sahraoui : « Aucun prétexte lié à la superficie du territoire, à la situation géographique ou à l’importance numérique des peuples ne saurait être recevable pour empêcher le libre exercice des peuples encore colonisés de leur droit à l’autodétermination et à l’indépendance. »

Le mot de la fin reviendra à Abdelkader Messahel, le ministre délégué chargé des Affaires africaines et maghrébines, et cheville ouvrière de la conférence, qui a affirmé qu’à travers l’appel d’Alger, « c’est le combat qui continue pour la dignité, pour l’égalité et pour les droits de tous les peuples sans exception ». Vaste programme.
Afrique-Asie, 30/12/2010

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