Il est entendu que kidnapper deux jeunes, un futur marié et son témoin, seulement là pour des noces, piégés par les circonstances, qui n’ont ainsi rien à voir avec la présence française en Afrique et la situation géostratégique du Niger et de son uranium, ne fait pas avancer la cause de quiconque veut un meilleur sort pour le continent. S’attaquer à des civils et risquer leur vie, personne ne peut soutenir et cautionner un tel acte.
Mais, dans ce qui s’avère être de plus en plus un fiasco, crier à la «barbarie» et tout mettre sur le dos des «barbares» est peut-être un peu trop facile. Un vieux truc éculé qui ne marche plus.
«J’ai appris hier dans l’avion qui m’emmenait de Fort-de-France à Pointe-à-Pitre l’assassinat particulièrement odieux de deux de nos compatriotes au Niger (…). C’est la nation toute entière qui condamne un acte barbare perpétré par des barbares, un acte d’une lâcheté inouïe», a déclaré depuis la Martinique M. Sarkozy au début de son discours de vœux aux Français d’outre-mer. «Ce crime odieux ne fait que renforcer la détermination de la France à lutter sans relâche contre le terrorisme et contre les terroristes. Les démocraties ne peuvent pas accepter cela», a-t-il ajouté. «Les démocraties, c’est leur honneur, c’est leur noblesse, doivent lutter pied à pied contre ces barbares venus d’un autre âge qui veulent terroriser le monde entier. Nous n’accepterons jamais le diktat des terroristes et du terrorisme»
D’ailleurs, ici et là des voix s’élèvent pour s’interroger sur les conditions de la mort de ces deux Français. Car enfin intervenir ainsi pour sauver les «otages», ça n’a de sens et de pertinence que si effectivement ça devait leur sauver la vie.
«La décision, il faut la prendre très vite : soit on y va, soit on laisse passer. Et ça devenait très dangereux pour les otages si on laissait passer», a déclaré l’état-major français.
À l’évidence, il s’avère que ça devient davantage périlleux pour eux de ne pas «laisser passer».
Il est possible que dans leur fuite, l’opération d’enlèvement compromise, les assaillants pourchassés aient décidé de ne plus s’encombrer d’otages.
Il est possible que des soldats nigériens mal préparés à ce genre de situation aient pu tirer sans prêter l’attention voulue aux captifs. Nous prenons acte pourtant des déclarations de M. Laouali Dan Dah, porte-parole du gouvernement nigérien, précisant que les forces nigériennes «n’ont pas voulu ouvrir le feu sérieusement de crainte de blesser les otages et de mettre leur vie en danger, raison pour laquelle les ravisseurs ont pu passer à travers les mailles du filet».
Il est tout aussi vraisemblable qu’il s’est agi d’un raté des forces spéciales françaises. Un de plus. On se souvient qu’en juillet dernier, lors d’une intervention similaire dans laquelle le service action de la DGSE (contre-espionnage) était intervenu, Michel Germaneau, militant humanitaire de 78 ans enlevé le 19 avril y a laissé la vie.
Il est à peu près certain que l’exécutif français voulait donner une leçon et désirait «coûte que coûte» en découdre avec les «terroristes» qui hantaient le désert sahélien. «J’assume !», droit dans ses bottes (posture dérisoire en la circonstance), clame le ministre de la Défense.
C’est très (c’est trop) facile.
Il faudra expliquer cela aux parents de ces deux jeunes partis à Niamey pour festoyer et qui leur reviennent dans des cercueils. C’est eux qui auront à assumer l’inconséquence d’une opération à la Sarkozy : vite fait, mal fait. Dans la précipitation, comme tout ce qu’il a entrepris jusque-là dans les autres domaines et qui a fait flop à tous les coups. Au point que parmi les hommes d’Etat dans les grandes réunions internationales, les déconfitures sarkoziennes s’ajoutent à celles de Berlusconi pour épicer l’attraction.
Qui douterait un seul instant que le président français alors en visite dans les Antilles, ignorait ce qui se passait ? Il est à peu près certain que l’hyper président suivait minute par minute le cours des événements et décidait de ce qu’il convenait de faire et des bribes de nouvelles qu’il convenait de distiller aux Français. En attendant de torcher un scénario vraisemblable.
De la même manière (mais cela est une autre histoire), qui douterait une seconde que les Américains, implantés discrètement dans la région, dédaigneraient de suivre en temps réel (peut-être même en s’en réjouissant secrètement) les instructifs déboires français ? Il est même fort probable qu’ils aient fourni de précieux renseignements aux Français, pour suivrent nuitamment le déplacement des ravisseurs.
Au passage, le «J’assume» du ministre fait office d’aveux. Pendant plus de 24 h, en effet, les autorités françaises étrangement silencieuses, ont laissé aux médias plus que complaisants le soin de laisser croire que l’opération militaire était le seul fait des forces nigériennes. Au moment où s’écrivent ces lignes, on ignore ce qui s’est réellement passé.
On le saura.
On apprend qu’en fin de compte, c’est au Mali que s’était déroulé le dernier épisode de cette triste affaire, avec pour acteurs les seules forces françaises. Au moment où se déroulaient ces événements, le Président français prétendait que l’armée nigérienne «semblait» toujours à la poursuite de leurs ravisseurs (AFP, S. 08/01/2011 à 16:22).
Même scénario en juillet et en septembre dernier. Les opérations sont d’abord imputées aux Mauritaniens ou aux Maliens (aujourd’hui aux Nigériens), alors que tout le monde sait que les 10 000 commandos français (peut-être davantage) déployés dans la région (dont la moitié au Mali) sont très proches du terrain et prennent toutes les initiatives à propos desquelles on peut se demander si les autorités des pays sont en état réel de les envisager, de les approuver ou de les discuter.
La vraie question qui n’a pas été traitée par les médias français qui ont réagi de manière Brejnévienne (qu’Alain Peyrefitte n’aurait pas renié, de l’époque où en «démocratie» française le ministre de l’Intérieur officiait à la tête de l’imprimatur de l’information publique sous la Vème République). Au fond, cela a-t-il vraiment et fondamentalement changé sous un régime libéral où les médias par dizaines, qu’ils soient publics ou privés, scandent une information formatée selon un codex unique d’apothicaires? Les téléspectateurs algériens le constatent à l’évidence.
Sans polémiquer on pouvait, en régime de liberté d’expression, oser quelques questions raisonnables.
Sur toutes les chaînes de TV de la République sarkozienne nous avons eu droit aux mêmes images et aux mêmes commentaires (à un Paul Quilès près qui a rompu timidement une unanimité sans tache). Avec des «experts ès terrorisme islamiste» qui bondissaient de plateaux en plateaux pour expliquer aux braves téléspectateurs la menace que représentaient les hordes de barbares hirsutes vouées à la perte de l’Hexagone et de l’Occident chrétien.
Certes, la décence incline au consensus national, mais pas au prix de l’effacement du principe d’opposition, aux fondements des sociétés politiques occidentales qui se posent en norme universelle.
Ou ce que l’on nous dit de la démocratie au ratio de laquelle on nous somme de nous conformer, sous peine d’être mis au ban de l’humanité fréquentable. Ou les préceptes démocratiques s’appliquent indifféremment à tous, sans exception et, dans ce cas, s’interroger est une vertu citoyenne.
Certes, la sécurité des opérateurs économiques devra être assurée et les Etats d’accueil devraient la garantir, plus particulièrement lorsque ces opérateurs sont étrangers. Toutefois, l’importance stratégique des ressources et de leur exploitation profitable pour toutes les parties ne devrait pas faire d’un pragmatisme dévoyé l’alpha et l’oméga des relations internationales, au point de reléguer la souveraineté des nations à une question subalterne. L’Afghanistan, l’Irak, le Soudan sont charcutés comme à la belle époque du XIXème au service des Compagnies Coloniales.
La question du Sahel n’est pas une question militaire et encore moins une question militaire extra-africaine. Il n’est ni dans l’intérêt de la France, ni dans ses prérogatives de s’improviser nouveau gendarme dans la région, de la Mer Rouge à l’Océan Atlantique.
A ce compte, un peu partout dans le monde, citoyens et hommes d’Etat français deviendront persona non grata et ne seraient plus les bienvenus nulle part.
Que Paris agisse pour son propre compte ou pour celui de Washington à l’ombre duquel elle a décidé de placer ses forces militaires et sa sécurité, ne change rien à l’affaire.
La tragédie de la disparition violente et cruelle de ces 2 jeunes français cache une tragédie plus vaste et plus inacceptable. Celle de la situation dans laquelle se trouve l’Afrique dans un monde entièrement dominé par des forces transnationales mondialisées pour lesquelles les Etats ne sont plus que des faire-valoir, déplacés sur un échiquier très peu préoccupé de la prospérité et de la sécurité des nations.
Des pans entiers de souveraineté ont été concédés à des groupes d’intérêts occultes dont on a du mal à identifier les contours et qui semblent organiser dans les coulisses la politique à entreprendre pour l’ensemble de la planète. On le voit de manière si caricaturale dans la gestion des dettes souveraines des Etats européens du sud : les marchés décident, les gouvernements s’alignent.
Soyons naïfs et interrogeons-nous : A-t-on vu cette scène singulière, celle d’un pays (le Portugal cette semaine), refuser une aide que le FMI et les marchés tiennent – sous une menace fermement réitérée – à lui apporter ?
De l’Egypte au Maghreb, sans oublier l’Afghanistan, l’Irak et les ex-pays de l’Est, le feu est allumé partout. Parce que partout les peuples sont soumis à un diktat inique : où ils consentent à un ordre économique où le seul avantage comparatif qui leur est proposé est d’offrir un travail sous-traité, docile et sous payé, ou on les bombarde. «Avec moi ou contre moi» criait Bush Jr.
Un peu partout, au cœur de la Mitteleuropa, nos voisins rejouent au XXIème siècle un jeu dangereux qui a fait führer au cours des années 30. Un jeu dont on connaît l’issue
Pendant qu’à Niamey on enlevait deux jeunes Français, le peuple tunisien, «peuple modèle» jusque-là, se mettait debout pour dire «non !» de manière plus évidente et plus visible (merci Internet !). On aura beau cacher les images venues de Tunis sous celles venues d’Alger où on ne peut plus museler la liberté d’expression des foules, il s’avérait clair que la pratique du deux poids, deux mesures ne pouvait se soustraire au regard de tous.
Derrière la Tunisie des complexes touristiques qui fait la fortune des transnationales du loisir industriel et de quelques nababs indigènes, il y a une Tunisie que tous faisaient mine de ne pas voir, celle que les vacanciers ne parviennent pas à distinguer à partir de Sidi Bou Saïd, de Hammamet, Houmt Essouk ou par-delà Bab El Khadra.
Parmi les clients du Club Med, se glissent selon les saisons ceux venus des Emirats, de la Libye voisine ou d’Algérie. Depuis que les islamistes ont mis la main sur l’ordre culturel du pays, les «touristes» algériens dérivés d’une nouvelle classe moyenne de parvenus, fuient leurs responsabilités le temps d’une libation estivale.
Dignitaires (gradés ou non), démocrates en chambre, francophones en perte de repères auxquels la France (et Dubaï) refuse la charité d’un visa, intellectuels libéraux éblouis par les réussites apparentes de leurs voisins et aveuglés par l’idée qu’il y a là un modèle à imiter, puisqu’ils s’avèrent incapables d’innover, nouvelle bourgeoisie islamiste reconvertie aux joies du capitalisme informel
Tout ce bric-à-brac d’Algériens se laisse servir après s’être servi, se retrouve dans un Maroc ou une Tunisie un peu comme au spectacle et s’adonnant aux récréations touristiques en se mêlant aux troupeaux de vacanciers septentrionaux. S’illusionnant comme eux.
Jamais le projet Blum-Violette n’aurait pu espérer tout cela.
Comment la classe politique française (conservateurs et «socialistes» confondus) qui s’est rassemblée au Maroc cet hiver pour délibérer discrètement du sort de 2012, fera-t-elle pour expliquer que dans les marches de l’Europe civilisée, on soutient des dictateurs à bout de bras, des autocrates qui tabassent les avocats dans des salles obscures, après des plaidoiries jugées hétérodoxes, des satrapes incultes qui utilisent des armes de guerre contre leur peuple ?
Sans doute, les enfants de Halq El Oued et de la Ghriba qui ont désormais pignon sur rue à Paris, ont plus de mal à verrouiller les réseaux d’information.
Comment les autorités françaises (et les entreprises qui les financent parce qu’ils y trouvent leur compte) pourraient-ils justifier le soutien apporté à leurs «amis» (rois et omnipotents héréditaires d’Egypte, du Maroc ou de Tunisie, lesquels se maintiennent au pouvoir avec des scores électoraux qui rappellent Staline, Ceauþescu, ou Chirac (2002) ? Et continuer à abandonner la Palestine à un ordre colonial raciste qui bafoue tous les jours, depuis 1948, les résolutions des Nations unies ?
En sorte que la question qu’il aurait été pertinent de poser pour ce qui concerne cette région du monde qui leur est historiquement liée – est celle des politiques internationales de la France et de l’Europe. La France et L’Union européenne sont les grandes absentes d’un espace abandonné aux soldats et aux techniciens de la guerre asymétrique, après avoir été concédé aux banquiers et aux affairistes.
À la suite de la mort tragique de ces jeunes Français au Niger, sans doute eût-il été opportun de dépêcher non pas un ministre de la Défense à Niamey, mais la ministre des Affaires etrangères (qui a d’ailleurs l’expérience des deux fonctions) voire le Premier ministre, pour montrer à quelle hauteur la France entendait placer les enjeux.
Mais évidemment, un ministre des Affaires étrangères ne sert que si on a une politique étrangère à proposer et à défendre
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