Tunisie : L’effondrement d’un modèle

Les médias du monde entier ont accueilli avec satisfaction la chute du régime dictatorial de Benali. Et certains analystes prédisent même un effet de contagion de cette vague insurrectionnelle et démocratique dans les autres pays du Maghreb et en Egypte particulièrement. La chaîne qatarie Al Jazeera s’est même empressée d’ouvrir ses micros à tous les hommes politiques persécutés dans le monde arabe. Al Jazeera s’autoproclame dorénavant comme un média au service de la démocratisation de certains pays arabes en dehors, évidemment, du Qatar et des autres pays du Golfe. 
Nous somme au mois de janvier 1992. En Algérie, les élections législatives qui ont donné une majorité au Front islamique du salut (FIS ) sont annulées et le président Chadli Bendjedid démissionne. Un haut comité de l’Etat est installé et Mohamed Boudiaf le préside. L’Algérie sombre dans une crise politique profonde et les activistes du Fis déclenche une insurrection armée pour instituer une république islamique. Le monde occidental est alors partagé. Certaines puissances, dont la France, ne semblent pas gênées par une expérience islamiste en Algérie tandis que d’autres ne cachent pas leurs craintes face à une déferlante intégriste pouvant contaminer toute la région nord- africaine et moyen-orientale. 
Au Maroc, Hassan II, roi de ce pays, va alors tenter de juguler la menace islamiste. Hassan II se considère comme un descendant du prophète Mohammed que le salut soit sur Lui et guide des croyants. Il construira une des plus grandes mosquées en terre d’islam, après celles de la Mecque et de Médine mais il interdira en même temps d’activité toute formation politique islamiste. Ces mesures n’éviteront pas au Maroc l’émergence de quelques groupes d’extrémistes qui perpétreront quelques attentats au début des années quatre-vingt-dix. En Tunisie, Zine El Abidine Ben Ali boucla sa cinquième année à la tête de l’Etat. Inquiet de qui se passait en Algérie, le président tunisien va interdire le parti islamiste Ennahda d’El Gannouchi. Les militants de ce mouvement seront sauvagement réprimés et incarcérés. Le président tunisien va alors proposer aux puissances occidentales de créer chez lui un modèle de société à l’occidentale qui défiera les contradictions et les risques d’insurrections islamistes qui menacent presque toutes les sociétés arabes et musulmanes. 
En 1995, la Tunisie signe un accord d’association avec l’Union européenne. Les Européens vont alors investir dans l’industrie manufacturière et le tourisme. Le taux de croissance restera soutenu tout au long des quinze dernières années. Le président tunisien entamera de profondes réformes économiques et sociales. Fort de ces performances, Ben Ali lancera un impressionnant plan «d’occidentalisation» de la Tunisie. Les mosquées seront alors étroitement contrôlées par le régime. Le port du voile et de la barbe dans les administrations publiques seront interdits. Toute forme d’opposition politique au régime sera sévèrement réprimée. Les médias, à leur tour, seront muselés. La Constitution sera amendée et Ben Ali briguera autant de mandats qu’il voudrait. 
Après les attentats du 11 septembre 2001, qui ont ciblé New York et Washington, le monde occidental prend alors conscience des graves menaces que représentent les groupes terroristes intégristes. Les Etats-Unis et leurs alliés vont changer de politique. Un soutien politique et même matériel sera accordé aux pays qui luttent depuis des années contre le terrorisme. 
L’Algérie, ce pays pratiquement boycotté depuis 1992 en raison de la dure bataille qu’il a menée contre le terrorisme, sera par miracle au centre de l’intérêt des puissants de ce monde. Tandis que la Tunisie intéressera plus que jamais les stratèges qui sont toujours à la recherche d’un modèle idéal pour les pays arabo-musulmans. Samedi 14 janvier 2011 : après vingt-trois ans de règne, Zine El Abidine Ben Ali quitte précipitamment la Tunisie après quatre semaines de protestations populaires. Pourtant et selon les informations disponibles, aucune puissance occidentale ne s’attendait ni ne voulait une telle fin du régime de Ben Ali. 
A Tel Aviv, les Israéliens s’inquiétaient même du départ de Ben Ali. Des milliers de touristes israéliens visitent annuellement la Tunisie tandis que près de deux mille autres habitent la région de Djerba. Tel-Aviv estime que la démocratisation de la Tunisie permettrait aux islamistes et aux nationalistes arabes de s’imposer politiquement et donc de menacer les intérêts d’Israël en Tunisie. 
Donc le monde occidental n’a a aucun moment souhaité la chute du régime de Ben Ali. Cette thèse est confortée par un récent rapport du Fonds monétaire international (FMI) sur la Tunisie. Au mois de juin 2010, le FMI soulignait que le principal constat qui se dégage de l’économie tunisienne est que «malgré un contexte international difficile, la Tunisie a enregistré une bonne performance économique en 2009. Bien que la crise internationale ait affecté négativement les exportations, le taux de croissance du PIB réel a dépassé 3% en 2009 et il a été accompagné d’une nouvelle amélioration des indicateurs de solidité financière. 
Grâce au programme de reformes entreprises au cours des dernières années ainsi qu’à l’adoption de politiques macroéconomiques prudentes, les autorités ont été en mesure d’atténuer l’impact de la crise avec des politiques d’appui judicieuses». A la lecture de ce rapport, il ressort que la Tunisie s’en est bien sortie après la grave crise économique mondiale de 2009 et que les difficultés socio- économiques, qui sont, à titre d’exemple plus graves au Maroc, ne peuvent expliquer à elles-seules la révolte des Tunisiens. Mais ce qui est certain, c’est que le seul modèle à l’occidentale appliqué dans un pays arabe vient de s’effondrer en Tunisie. 
A Djeddah, en Arabie Saoudite, la femme de Ben Ali sera obligée de porter le voile pour aller faire ses courses tandis que Zine El Abidine Ben Ali ne pourra éviter d’entendre le muezzin appeler à la prière, du fedjr au crépuscule. 
Réda C.

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