C’est à juste titre que les monarques arabes ont peur. Ils se savent en défaut sous le rapport des libertés démocratiques. Les pouvoirs qu’ils coiffent ont plusieurs points faibles : les verrouillages, les blindages, les fortifications derrière lesquelles ils se sont retranchés pour offrir le plus de résistance, de rigidité possible aux orages contre lesquels ils savent qu’il n’existe pas de remède définitif. Ce sont leurs parties les plus renforcées qui constituent les défauts de leurs cuirasses. Ces régimes seront pris, comme de juste, par leurs citadelles non par leurs portes, d’autant si celles-ci sont restées continuellement ouvertes. Car ce qui n’a pas assez de souplesse pour se plier sous les assauts de le tempête casse, se brise, se fracasse quand il prend envie au peuple de reprendre sa couronne de souverain pour la revêtir lui-même, le temps de renouveler le pacte national.
Pour autant, parler des régimes arabes comme s’ils étaient des répliques les uns des autres est une erreur.
Ils sont différents, ne serait-ce que parce qu’ils ne sont pas au même niveau dans la marche à la démocratie. Les maillons les plus faibles sont les pays qui à cet égard sont les plus retardataires. De même que c’est le régime tunisien, le plus despotique au Maghreb, qui le premier s’est effondré.
Le pays qui ouvrait la marche jusque-là, c’était l’Algérie. Elle a désormais cédé ce rôle d’éclaireur à la Tunisie. Mais aucun des deux n’a choisi, ni de prendre les devants ni de se laisser distancer. Ce sont les circonstances qui ont choisi pour l’un comme pour l’autre. Personne ne pouvait prévoir, il y a seulement quelques semaines, que l’immolation par le feu d’un jeune chômeur de Sidi-Bouzid enclencherait un processus comme celui qu’on voit aujourd’hui se développer.
L’Algérie sera ce que les Tunisie voudra pour elle-même. Les gens impatients de prendre en Algérie un train qui ne circule pour l’heure qu’en Tunisie sont au mieux des naïfs, au pire des opportunistes nourrissant dès à présent l’idée de confisquer… ce qui n’existe pas encore. Mais dans un cas comme dans l’autre, ils sont condamnés à demeurer à quai, car le train nommé désir ne passera pas juste parce qu’ils lui font signe de venir dans leur direction.
Lorsque, pendant une décennie, l’Algérie affrontait dans un combat implacable l’intégrisme de masse, la Tunisie savait que les Algériens étaient en train de payer le prix du sang pour elle aussi. Elle était certaine qu’elle serait islamiste si l’Algérie était forcée à le devenir. L’on peut en dire autant de la monarchie marocaine, même si pour sa part elle était partagée, du fait du conflit du Sahara occidental, entre le désir de voir le régime algérien tomber et la crainte d’être elle-même emportée à sa suite.
Avant la montée en puissance de l’intégrisme, il y avait les mouvements d’indépendance dans les trois pays. C’est l’Algérie qui a été le champ de bataille de la libération de tout le Maghreb.
Qu’es-ce à dire sinon qu’il y a un peuple maghrébin, et que l’expérience de l’une de ses composantes détermine non pas seulement son avenir à elle, mais dans le même temps celle des deux autres ? S’il en était autrement, il n’y aurait pas de peuple maghrébin.
Les Tunisiens ne seraient pas aujourd’hui engagés dans un changement politique de cette importance si la déferlante intégriste ne s’était pas brisée sur le roc algérien.
Par Mohamed Habili
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