La position de la France sur la question du Sahara, pendant la guerre soutenue par la Mauritanie – 4ème série

La position de la France sur la question du Sahara, pendant la guerre soutenue par la Mauritanie – 4ème série
La France et la Mauritanie… quel regard l’ancienne métropole eût-elle sur son ancien territoire pendant les deux premières décennies de son indépendance politique ? Enjeu d’un dépouillement des archives consultables de l’ambassade de France à Nouakchott. 
S’il est avéré que le coup militaire en Juillet 1978 et la fin du pouvoir du président Moktar Ould Daddah, ont été – étonnamment vite – un fait accompli pour les Français, en revanche la cause mauritanienne dans la guerre du Sahara (Sahara Occidental, actuellement en partie occupée par le Maroc, ndds) était comprise et soutenue par la France. Les prises d’otages par le Polisario, loin de diminuer cette solidarité, la renforcèrent. 
(Ould Kaïge)

Document n° 12  – précautions initiales

Paris, le 29 Avril 1976     

Ministère des Affaires étrangères – Sous-direction d’Afrique du nord
n° 38/AN

      – N O T E –
Annotation à la plume probablement par le secrétaire général du Département, à l’époque l’ambassadeur Bruno de Leusse, qui avait dirigé le cabinet de Maurice Couve de Murville tant au Quai d’Orsay qu’à Matignon

M. Cerles

1° La position juridique reste celle qui est définie (cette définition ne figure pas dans les documents consultables qu’a archivés l’ambassade)

2° L’octroi d’un certificat d’origine par le Maroc ne paraît pas faire vraiment problème : ce n’est pas un geste positif de notre part.

3° Il en est différemment d’une décision de la Commission financière ou d’un investissement garanti par la COFACE : nous pouvons faire comprendre aux Marocains qu’ils n’ont pas intérêt à nous engager ainsi vis-à-vis de l’Algérie

4° Nous aurions intérêt à des contacts bilatéraux à ce sujet, plutôt qu’à Neuf, avec les Allemands et les Américains.

5° Nous devons mettre en garde les autres administrations.
A/s. reconnaissance de l’annexion du Sahara occidental par le Maroc et la Mauritanie.
I – Depuis le partage du Sahara occidental nous avons adopté une attitude très prudente, évitant tout ce qui pourrait ressembler à un acte de reconnaissance, même tacite ; c’est ainsi que nous avons demandé à notre Ambassadeur et à ses collaborateurs d’éviter tout déplacement au Sahara ; de même sommes-nous intervenus auprès des autorités marocaines pour qu’elles mettent un terme à l’envoi de coopérants dans la région ; enfin, nous avons cherché à coordonner, sur place, notre attitude avec celle de nos partenaires des Neuf.
II – Le contrôle total du Maroc et de la Mauritanie sur le territoire, depuis la prise de Guelta Zemmour, la mise en place d’une administration locale facilitée par la stabilisation de la situation militaire, la délimitation d’une frontière commune enfin, conduisent à penser que le Maroc va chercher maintenant à nous amener à reconnaître, même indirectement, une souveraineté qu’il sera désormais plus difficile de lui contester.

Il est certes peu probable qu’il nous fasse une demande formelle ; il serait aisé de répondre en effet que cela impliquerait le respect de la résolution « marocaine » des Nations Unies, qui prévoit en particulier une consultation des populations « avec la participation d’un représentant des Nations Unies ». Les Marocains sont déjà informés de notre position sur ce point.

Mais divers biais peuvent permettre aux autorités de Rabat de soulever indirectement le problème.

a) La signature de l’Accord de coopération CEE-Maroc va poser en effet deux questions :

– un protocole spécial étend en effet les règles communautaires sur l’origine aux pays du Maghreb. Or, bien que nos importations en provenance du Sahara soient pour l’instant symboliques (29.000 F en 1976 dont 8.000 F de tissus), les Marocains peuvent, s’ils le désirent, poser un problème de principe, dès que la partie commerciale de l’Accord entrera en vigueur, c’est-à-dire vers le mois de Juillet. Il leur suffira pour cela de faire un certificat d’origine spécial mentionnant l’origine saharienne des produits.

– par ailleurs, il est probable que le Maroc s’efforcera de faire bénéficier par priorité le Sahara, de l’aide prévue par le protocole financier. Mais les délais de ratification et de mise en place pour celui-ci, font que la question ne se posera pas avant un an au moins.

b) En revanche, sur le plan bilatéral, on peut se trouver rapidement devant des difficultés :

– il est vraisemblable, en effet, que les Marocains présenteront des projets pour le Sahara au titre de l’aide financière bilatérale ; ils l’ont déjà fait et nous les avons refusés, en nous fondant sur des arguments techniques lors de la précédente commission financière ; il sera plus difficile de maintenir cette attitude négative lors de la négociation du prochain protocole qui aura lieu avant la fin de l’année.

– surtout, la D.R.E.E. vient de nous poser la question de principe de la prise en garantie par la COFACE des dossiers concernant le territoire.

On peut tout d’abord se demander si une telle décision impliquerait, plus ou moins explicitement, une reconnaissance. Les précédents en la matière ne sont pas convaincants : si nous refusons en effet toute garantie sur les territoires occupés par Israël, nous acceptons de le faire en Corée du nord et à Formose ; notre attitude paraît donc fondée plus sur des critères politiques que juridiques.
Il apparaît donc que notre décision en l’espèce est affaire d’opportunité : sans garantie de la COFACE, aucun industriel français ne se hasarderait à investir au Sahara. Un refus serait donc particulièrement mal reçu à Rabat qui compte beaucoup – comme l’a dit M. Osman lors de sa visite à Paris – sur notre aide pour mettre en valeur le territoire ; ce serait en même temps risquer de se voir exclu de la région au profit de concurrents moins scrupuleux.

En revanche, la décision inverse nous permettrait d’acquérir auprès des Marocains un capital considérable ; ceux-ci ne manqueraient pas de donner une grande publicité à l’affaire ; notre geste en serait d’autant plus mal accueilli à Alger, ceci à un moment où nous esquissons un rapprochement, qui répond d’ailleurs à l’intérêt bien compris des Marocains. 
III – Dans ces conditions, on peut envisager la solution suivante :

a) Surseoir à tout investissement dans la région jusqu’à ce que la situation paraisse stabilisée et que la détente avec Alger se confirme. Il serait opportun, si cette solution était retenue, de s’en ouvrir franchement au préalable auprès des Marocains en faisant valoir que notre décision est de caractère tactique et limitée dans le temps.

b) Nous rapprocher de nos collègues des Neuf, et éventuellement des Américains, pour définir avec eux une attitude commune et éviter ainsi toute concurrence ; une position des Neuf sera de toute façon un jour ou l’autre nécessaire pour les aspects communautaires évoqués ci-dessus.

La question se posera alors de savoir dans quelle enceinte le problème doit être évoqué :
– la Coopération politique ne dispose pas en effet des experts capables de trouver une solution technique, en particulier pour le problème de l’origine ; ce serait de plus prendre le risque d’ouvrir dans ce forum européen, une discussion générale sur la question du Sahara, que nous avons évitée jusqu’à présent.

– en revanche, les comités compétents des Communautés n’ont guère l’habitude de traiter de problèmes politiques ; il y aurait de surcroît un danger que l’affaire ne soit rapidement portée sur la place publique. 

Le mieux serait alors que la question soit évoquée dans un premier temps, soit bilatéralement – en particulier avec les Allemands qui sont les seuls à être véritablement concernés – soit de façon officieuse avec nos partenaires du groupe compétent du Conseil des Communautés.

c) En tout état de cause, le problème doit être rapidement posé au niveau français entre les administrations intéressées.

La Direction d’Afrique du Nord et Levant – qui saisit les différentes Directions intéressées – serait reconnaissante au Secrétaire Général de bien vouloir lui faire tenir ses instructions.
       Pierre Cerles
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Document n° 13  – les prises d’otages
La France maintient que ses interventions, non définies en moyens et en espace d’application, sont l’élémentaire protection de ses ressortissants, ce qui ne peut qu’encourager ceux-ci à ne pas céder au chantage à l’insécurité et à continuer de contribuer au développement de la Mauritanie.
Paris, le 27 Octobre 1976          circulaire n° 772    

Objet : libération de deux coopérants français détenus par le Polisario.
Deux coopérants français, détenus depuis Décembre par le Polisario, sous l’inculpation d’espionnage au profit des forces armées marocaines, doivent être libérés aujourd’hui. Enseignants au lycée technique d’Agadir, ils avaient été capturés dans le sud-marocain où ils passaient leurs vacances de Noël.

La libération de MM. Dief et Seguro a pu être obtenue à la suite de contacts pris, d’abord, entre le secrétaire aux Affaires étrangères, M. Lenoir, et M. Hakim, « ministre sahraoui », en Mai, et ensuite, ces derniers jours, entre celui-ci et le directeur des conventions administratives du Département. Dès qu’il a existé une certitude raisonnable d’aboutissement des négociations, nous avons informé les autorités marocaines, la condition mise par les Sahraouis à la libération des coopérants a été la publication d’un communiqué dont vous avez eu connaissance par les agences de presse. Il s’agit d’un texte de circonstance. A ce titre, certaines ambigüités peuvent y être relevées. Néanmoins, il ne peut en aucune manière être interprété comme un début de reconnaissance, par le gouvernement français, de la République démocratique sahraouie, ni comme le changement de notre position sur le problème de l’autodétermination de la population sahraouie.
Signé : Ulrich./.
Paris, le 31 Octobre 1976          circulaire n° 783 
Origine : cabinet du ministre

Objet : otages de Zouerate.
Vous voudrez bien exposer à vos interlocuteurs habituels et utiliser auprès de la presse locale les indications suivantes concernant nos compatriotes à Zouerate.

1)  A la suite d’opérations menées par le Polisario en Mauritanie, 6 ressortissants français ont été enlevés le 1er Mai dernier, puis 2 autres le 25 Octobre. Dans les deux cas, il s’agissait de techniciens (et non de coopérants) recrutés et employés par la société mauritanienne exploitant le minerai de fer de la région de Zouerate. Ce sont donc :

– des civils innocents
– exerçant une activité pacifique utile au développement de la Mauritanie
  – n’ayant aucune part au conflit relatif au Sahara occidental
  – ressortissant d’un pays qui a toujours adopté une attitude de neutralité dans ce conflit
  – enlevés en territoire mauritanien non contesté.

Ils sont donc détenus comme otages, au mépris du droit international qui condamne les prises d’otages et du sentiment unanime de la communauté internationale.

Outre une intervention auprès du secrétaire général des Nations Unies et de plusieurs pays, notamment de l’Algérie, qui entretient des relations avec le Polisario, et un appel lancé par le ministre, à la tribune de l’Assemblée générale des Nations Unies, le 28 Septembre, nous avons saisi, dès le mois de Mai dernier, le Comité international de la Croix rouge. Nous lui avons demandé de prendre contact avec les diverses parties intéressées pour obtenir des indications sur le sort de nos compatriotes, s’assurer des conditions de leur détention et obtenir leur libération.

L’action du CICR s’est trouvée entravée par une absence de coopération de la part des autorités algériennes, affirmant qu’elles n’étaient pas responsables des actions menées par le Polisario, elles ont indiqué qu’elles n’étaient pas en mesure de répondre directement aux demandes présentées par la Croix rouge. Elles s’offraient seulement à mettre celle-ci en contact avec le Croissant rouge sahraoui. Or, de leur côté, les dirigeants du Polisario ont déclaré publiquement, à plusieurs reprises, qu’ils ne donneraient d’indications sur leurs prisonniers qu’après avoir eu communication des listes des prisonniers sahraouis détenus par la Mauritanie. Celle-ci, craignant que la transmission des listes comporte un engagement sur le plan de la reconnaissance du Polisario, n’a pas, jusqu’ici, satisfait à cette demande. 

Mais l’attitude du Polisario, en tout état de cause, est inacceptable car elle conduit à assimiler nos ressortissants qui sont détenus comme otages, aux autres prisonniers. Par ailleurs, nous refusons de nous prêter à toute offre tendant à faciliter une prise de contact directe entre représentants français et sahraouis qui pourrait ouvrir la voie à un chantage politique mettant en cause le sort de prisonniers innocentes. 

3) Le message du président de la République que notre ambassadeur a remis hier au président Boumedienne a eu pour objet d’appeler son attention sur la gravité de la situation et les menaces qu’elle faisait peser sur les relations franco-algériennes compte tenu notamment de l’émotion justifiée manifestée par l’opinion publique française. Le chef de l’Etat algérien s’est déclaré disposé à faciliter la venue d’un représentant du CICR qui pourrait prendre les contacts nécessaires. Le Croissant rouge algérien servirait de truchement.

Cette attitude du président algérien devrait permettre au CICR de reprendre son action, elle laisse entrevoir de meilleures chances d’aboutir, pour autant que les autorités algériennes lui apportent tout le concours annonce et pour autant que les conditions mises par le Polisario à la libération de nos compatriotes puissent être prises en considération, compte tenu de nos préoccupations de justice et de dignité.

Nous sommes donc intervenus dès ce matin auprès du président du CICR pour l’engager à reprendre son action. M. Hay a indiqué qu’il allait saisir aussitôt ses correspondants algériens et qu’il était disposé à envoyer à Alger un représentant s’il recueillait des réactions positives. Par ailleurs, M. Chayet, directeur des conventions administratives, a été invité à se rendre à Alger demain pour y prendre contact avec le président du Croissant rouge algérien et être disponible pour une action de négociation humanitaire susceptible de conduire à la libération de nos compatriotes.

Pour votre information personnelle : les autorités françaises ne pourraient rester indifférentes si des menaces continuaient à peser sur nos ressortissants qui se trouvent en Mauritanie. Elles pourraient être amenées à prendre des mesures pour assurer leur protection.
      Signé : Leclercq./.
 
Paris, le 24 Décembre 1977          circulaire n° 959 
Origine : cabinet du ministre

Objet : protection de nos ressortissants de Zouerate.
Si vous étiez interrogé sur les développements récents de la situation en Mauritanie, vous utiliserez les réponses suivantes faites par le Ministre au cours des derniers jours.

Nos compatriotes en Mauritanie, techniciens civils, employés pour la plupart par des sociétés mauritaniennes, se trouvent menacés. Le Polisario continue de se livrer à des opérations offensives en territoire mauritanien non contesté qui est la seule zone où se trouvent nos compatriotes. (Réponse au Sénat le 21/12/77).

2) . Je pense que les Français qui sont en Mauritanie seront protégés et défendus par les autorités mauritaniennes et par les forces armées mauritaniennes. En cas de destin (??? sic), nous donnerons un appui à ces forces. (Conférence de presse du 23 Décembre).
3) . Nos éléments aériens sont susceptibles de concourir à la sécurité de nos ressortissants en Mauritanie lorsqu’ils sont mis en danger, et à la demande du gouvernement mauritanien (communiqué du 19 Décembre). Ils peuvent protéger nos ressortissants, en appuyant les forces mauritaniennes, si les autorités de ce pays le demandent (réponse au Sénat le 21 Décembre).

4) . Le conflit actuel dans la région n’est pas l’affaire de la France et le gouvernement n’a pas l’intention de se laisser entrainer dans ses implications. Ce qui est son affaire, c’est la sécurité de ses ressortissants, mission permanente qui incombe à tout gouvernement responsable. (Réponse au Sénat le 21 Décembre).

5) . Il n’y a pas de lien entre la libération des huit Français et le degré et la nature de l’aide à la Mauritanie. (Pour la protection de nos ressortissants). (Conférence de presse du 23 Décembre).

6) . A deux reprises, au cours des dernières semaines, les forces mauritaniennes ont été amenées à résister à des attaques de colonnes du Polisario dans des conditions où des Français risquaient d’être mis en danger. Les forces armées mauritaniennes ont demandé l’appui des forces françaises et, à deux reprises, des éléments de l’armée de l’air française sont intervenus en appui des forces mauritaniennes. (Conférence de presse du 23 Décembre).

7).Certains nous suggèrent de demander à nos compatriotes de se retirer de Mauritanie. Le gouvernement est sans pouvoir direct sur eux, car ce ne sont pas des coopérants mais des techniciens ayant librement contracté avec des entreprises mauritaniennes (réponse au Sénat le 21 Décembre). Ils sont libres de dénoncer ces contrats. Ils peuvent rentrer s’ils le veulent. S’ils restent là-bas, c’est parce qu’ils choisissent d’y rester. Je me félicite qu’ils le fassent et qu’ils apportent ainsi leur aide au développement de la Mauritanie (conférence de presse du 23 Décembre). Les retirer serait céder à un chantage politique dont l’objet est d’atteindre la Mauritanie dans ses forces vives (réponse au Sénat le 21 Décembre).
      Signé : Leclercq
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Document n° 14  – entretien du ministre avec l’ambassadeur algérien
L’entretien entre l’ambassadeur d’Algérie et Louis de Guringaud, ministre français des Affaires étrangères et ancien représentant permanent à New-York quand a éclaté la guerre du Sahara – est un modèle du genre. Les deux interlocuteurs sont d’habileté égale. Il serait intéressant d’en comparer le compte-rendu français à celui fait par M. Bedjaoui à Alger. Il faut en retenir que la France défend explicitement la thèse mauritanienne, tout en y ajoutant une distinction d’importance vis-à-vis des tiers : la notion de territoire incontesté (les frontières de 1960) ce qui amène l’Algérien à se découvrir et à avouer une guerre totale. Contrairement à ce qu’évoque l’ambassadeur, le président Moktar Ould Daddah n’a jamais accepté et encore moins sollicité une union avec quelque Etat que ce soit, fut-il frère arabe d’Afrique et d’Islam. – L’entretien a lieu à trois mois du renouvellement de l’Assemblée nationale française pour lequel, conduite par François Mitterrand, l’opposition de gauche au président Giscard d’Estaing est favorite dans les sondages d’opinion.
Paris, le 29 Décembre 1977             n° 1212/22 Alger . n° 689/699 Nouakchott . 

n° 1242/52 Rabat. n° 2214/24 delfra New-York

origine : cabinet du ministre

objet : entretien du ministre avec M. Bedjaoui.
Le Ministre a convoqué l’ambassadeur d’Algérie le 29 Décembre. Comme l’indique le communiqué qui a été publié par le Département à l’issue de l’entretien, il a marqué la surprise du gouvernement français devant l’attitude des autorités algériennes qui, ayant affirmé que les otages ne se trouvaient pas sur le territoire algérien, n’avaient donné aucune indication sur leur sort jusqu’à la mi-octobre. Or, les déclarations de nos compatriotes, depuis leur libération, indiquaient qu’ils avaient été détenus en territoire algérien. Par ailleurs, le Ministre a marqué sa préoccupation à l’égard de la campagne anti-française qui se déchaînait dans les journaux algériens, dont on ne pouvait prétendre qu’ils publient de tels articles sans l’aval sinon l’impulsion des autorités d’Alger. Or, le gouvernement français s’était, pour sa part, abstenu de toute polémique. Quant à la presse française, la diversité de ses réactions montrait bien qu’il n’y avait pas de campagne orchestrée. Si un terme n’était pas mis à celle qui se développait en Algérie, il serait très difficile au gouvernement français de maintenir l’attitude modérée à laquelle il s’était tenue. Le rétablissement du dialogue normal que nous souhaitions ne pourrait intervenir. Le Ministre était disposé à faire son possible pour apaiser les tensions, mais il lui fallait être assuré d’une égale compréhension de l’autre côté de la Méditerranée.

L’ambassadeur d’Algérie a répondu « avec tristesse et découragement » que « c’était la première fois qu’il avait tendance à renoncer au dialogue ». Il n’allait pas répondre aux questions soulevées par le Ministre car il était inutile de discuter d’épiphénomènes : si l’on voulait des relations normales, puis cordiales, il fallait traiter des causes des difficultés actuelles. Quant à l’attitude du gouvernement français, elle ne lui paraissait pas marquée par la réserve. Des déclarations vigoureuses étaient faites alors que les autorités algériennes demeuraient silencieuses.

Comme le Ministre rappelait les messages violemment critiques de la politique française, adressées par le président Boumedienne et M. Bouteflika à de très nombreux dirigeants du Tiers-Monde, messages auxquels les services officiels algériens avaient assuré une très large publicité, M. Bedjaoui a changé de terrain et a évoqué la contribution des « prisonniers » à l’effort de guerre mauritanien. Le Ministre a observé qu’il s’agissait d’un effort de défense dans une petite ville située à l’intérieur du territoire non contesté de la Mauritanie. L’ambassadeur d’Algérie a écarté avec vivacité cet argument qui méconnaissait le fait de la guerre dans la région : «  le territoire du conflit était celui de l’adversaire et celui dont le peuple sahraoui avait été privé, c’est-à-dire le Maroc tout entier, la Mauritanie tout entière et l’ancien Sahara espagnol ».

Le Ministre a pris acte de cette déclaration, en notant que nous ne voulions pas nous mêler du conflit. M. Bedjaoui a répondu que c’était le souhait de l’Algérie qui tenait compte des intérêts supérieurs de la France dans la région.

Revenant sur les déclarations algériennes, le Ministre a souligné qu’elles mettaient en cause la politique française d’une manière générale, au surplus de manière diffamatoire, voire insultante, alors que les dirigeants français, dans leurs déclarations, ne s’en étaient jamais pris à la politique générale de l’Algérie. Par ailleurs, le gouvernement algérien avait essayé de manœuvrer avec certains partis d’opposition. Pour notre part, nous ne cherchions pas à embarrasser le président Boumedienne en confiant des informations à ses adversaires politiques. M. Bedjaoui s’est défendu de telles manœuvres. C’était la conjoncture intérieure française qui amenait certains partis français à « faire de la politique avec des otages », ce n’était pas le fait de l’Algérie.

L’ambassadeur d’Algérie a ensuite déclaré que son pays ne comprenait plus les intentions de la France depuis 1975. Il s’était passé quelque chose. Ce à quoi le Ministre a répondu qu’il s’était passé une guerre d’agression contre la Mauritanie. M. Bedjaoui a répliqué que l’agression avait eu lieu au Sahara, elle était le fait du Maroc et de la Mauritanie. Elle était facilitée par le soutien diplomatique et militaire de la France. Tels étaient les vrais problèmes. L’Algérie ne comprenait pas la politique française en Afrique. Elle était préoccupée par les risques de déstabilisation qui pouvaient en résulter alors qu’elle-même n’avait cessé d’œuvrer pour la stabilité : au Maroc, en 1971, elle avait contribué à affermir le roi Hassan alors que le colonel Gaddafi (sic) avait demandé à ce que ses troupes puissent franchir le territoire algérien pour porter un dernier coup. De même, de 1967 à 1970, pour ne pas inquiéter Rabat, elle avait repoussé les offres d’union que lui avait faites la Mauritanie. Le Ministre a noté que, si l’Algérie avait eu une influence stabilisatrice jusqu’en 1975, elle paraissait avoir changé depuis cette date : n’avait-elle pas alors approuvé le partage du Sahara pour ensuite s’y opposer avec l’acharnement qu’on voyait ?

Revenant sur l’intervention française, M. Bedjaoui a estimé que la situation n’était pas la même dans l’affaire du Sahara et dans celle du Shaba. Que l’Algérie pouvait comprendre, compte tenu de son attachement aux frontières héritées de la colonisation. La Mauritanie n’avait pas été attaquée dans ses frontières de 1975. C’est lorsqu’elle en est sortie qu’elle a provoqué la réaction sahraouie.

Le Ministre, relevant les regrets dont lui faisait part l’ambassadeur au sujet du « dialogue de sourds », établi entre les gouvernements français et algérien, a marqué que lui-même déplorait profondément la dégradation des rapports. Depuis son entrée au gouvernement, il s’était efforcé de les améliorer. Malheureusement, l’affaire des otages les avait hypothéquées. Ceci étant, le directeur économique du Département avait été envoyé à Alger. Nous avions envisagé que le directeur politique y rende la visite faite à Paris par son homologue algérien. Le Ministre lui-même n’avait pas exclu de se rendre à Alger. Mais il n’y avait aucun écho du côté algérien, comme le prouvait, entre autres, le fait que le président Boumedienne n’ait jamais répondu à la lettre que lui avait adressée le président français. M. Bedjaoui a indiqué qu’il était sur le point de recevoir la réponse du président algérien, pour la transmettre à l’Elysée, lorsque l’intervention aérienne française en Mauritanie était intervenue. L’Ambassadeur n’avait plus insisté pour obtenir cette réponse d’autant que le problème des prisonniers, objet de la lettre du président de la République, était aujourd’hui réglé.

L’ambassadeur d’Algérie, revenant sur « l’attaque » française (le Ministre a fait la mise au point qu’appelait l’emploi de ce terme), a estimé que celle-ci était intervenue après que les autorités françaises aient pu vérifier qu’aucun Français n’était plus menacé. S’agissait-il donc de protéger des ressortissants, comme les déclarations officielles l’indiquaient, ou « y avait-il autre chose » ? Par ailleurs, M. Bedjaoui a nié que le retrait des Français de Mauritanie ait été présenté par le Polisario, lors de ses conversations avec M. Chayet, comme une des conditions de la libération de nos compatriotes. Le Ministre a fait, sur ces assertions, les mises au point qui s’imposaient.

En conclusion, il a indiqué à M. Bedjaoui qu’il espérait bien que la campagne de presse algérienne prendrait fin. Pour sa part, il n’avait pas l’intention d’aviver les tensions. D’ailleurs, s’il devait être interrogé par la presse sur son entretien avec M. Bedjaoui, il mentionnerait les deux points sur lesquels il avait appelé son attention, mais dirait aussi, comme il l’avait déjà indiqué à des journalistes, qu’il n’y avait rien d’irréparable dans les relations entre les deux pays.

      signé : Leclercq
à suivre – 25 Janvier 2011 

– documents diplomatiques – la Mauritanie en Janvier 1961 ou selon choix décidé – la situation militaire de la Mauritanie au début de la guerre du Sahara
A suivre – 8 Février 2011 – documents diplomatiques : évaluation militaire de la Mauritanie au début de la guerre du Sahara
Prochaine chronique anniversaire – 1er Février 2011: 27 Janvier-4 Février 1972 : pour la première fois de son histoire, le Conseil de sécurité des Nations unies est réuni en Afrique &   6 Février 1982 : arrestation de ses prédécesseurs par le lieutenant-colonel Ould Haïdalla

Source : Le Calame, 26/01/2011

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