Ce qui est formidable, avec la révolution tunisienne, c’est de voir tout le monde se distancer du régime dictatorial de Ben Ali, qui, hier encore, ne dérangeait à peu près personne. Ce qui est formidable, c’est d’entendre tous ces gens chanter les vertus de la démocratie, vertus qu’ils passaient sous silence quand ils composaient avec la dictature.
Dans la catégorie «Déclarations stupides, année 2011», la ministre des Affaires étrangères de la France, Michèle Alliot-Marie, a une sérieuse option sur le titre. Pendant les révoltes, elle a offert au régime dictatorial le savoir-faire français en matière de contrôle des foules!
C’est une énormité, bien sûr. Mais c’est une énormité qui trahit un état d’esprit, quand même.
Toujours en France, Frédéric Mitterrand, ministre de la Culture. Il s’est fendu d’une lettre aux Tunisiens, une fois le dictateur Ben Ali caché en Arabie Saoudite, pour exprimer ses «regrets» à l’égard de sa «complaisance» envers le régime.
Dans les années 90, M. Mitterrand a organisé l’Année de la Tunisie en France, ce qui lui a valu la nationalité tunisienne en reconnaissance de ses efforts. Dans les années 90, la Tunisie était-elle un État policier qui emprisonnait des journalistes, étouffait l’opposition et torturait ses prisonniers? Oui. Mais Frédéric Mitterrand ne voyait rien de mal, à l’époque, à être honoré de la citoyenneté tunisienne.
Aujourd’hui, il se défend ainsi:»Comme beaucoup d’autres, (j’ai essayé) de privilégier le dialogue avec les autorités et souvent en allant jusqu’aux limites de ce qui était acceptable», a-t-il écrit dans sa lettre aux Tunisiens.
Ah, le dialogue! Le fameux «dialogue» avec les dictatures! Pendant qu’on se demandait si des proches de Ben Ali, qui ont apparemment pillé la Tunisie, avaient trouvé refuge à Montréal, il y avait dans le New York Times une belle photo de Barack Obama avec Hu Jiantao, président de la République populaire de Chine. Le président des États-Unis d’Amérique, Prix Nobel de la paix 2009, était tout sourire à côté de celui qui a emprisonné le Prix Nobel de la paix 2010, Lu Xiaobo. Je me demande si Barack Obama a eu un dialogue sur les droits de l’homme avec son banquier chinois.
C’est drôle de voir à quel point certaines dictatures nous sont intolérables – l’Iran, Cuba, la Birmanie, le Zimbabwe, l’Afghanistan, l’Irak – alors que nous ménageons les susceptibilités d’autres dictatures dont l’amitié va dans le sens de nos intérêts: Pakistan, Arabie Saoudite, Maroc, Tunisie pré-2011, Chine, Égypte…
Cette timidité des démocraties vis-à-vis des dictatures n’est pas anecdotique. C’est le fruit d’une tendance lourde, note Human Rights Watch dans son rapport annuel 2010: «Au lieu de s’engager à exercer des pressions publiques pour défendre les droits humains, ils préfèrent adopter une démarche plus indulgente s’appuyant par exemple sur un ‘dialogue’ privé ou une ‘coopération’«.
Vous savez peut-être que Stephen Harper s’est envolé hier pour coprésider une commission de l’ONU sur la santé des mères et des enfants. Sur le chemin du retour, il va faire un arrêt à Rabat, au Maroc, tout près de la Tunisie nouvellement «libérée». But de l’escale: astiquer les relations bilatérales et favoriser les échanges commerciaux.
Je sais, je sais: chaque année, des hordes de Québécois visitent le Maroc et en reviennent aussi bronzés qu’émerveillés. Mais le Maroc est une dictature. Une monarchie dictatoriale. Ce n’est pas l’Allemagne de l’Est ou l’URSS, mais c’est un pays où les dissidents sont harcelés, où les prisonniers politiques sont torturés, où la police est politique.
Au Maroc, le journalisme indépendant est dominé par le pouvoir, qui peut fermer des journaux pour différents délits, comme la critique frontale du dictateur, le roi Mohammed VI. Tenez, un journaliste, Driss Chahtane, a été emprisonné en 2009 pour avoir publié de l’information sur la santé du dictateur. On l’a emprisonné pour avoir publié ces «fausses» informations «de mauvaise foi».
Heureusement pour M. Chahtane, le dictateur royal l’a gracié après six mois de prison. Le chanceux!
Notre premier ministre va donc faire une escale au Maroc, où on lui parlera sans doute de l’importance des clémentines dans les épiceries du Québec. On peut toujours rêver mais, dans la foulée de la splendide révolution tunisienne, ce serait bien que Stephen Harper sermonne un peu, publiquement, le régime policier du Maroc.
J’ai dit: on peut toujours rêver. Dans les faits, probablement que Stephen Harper, comme tous les autres chefs de gouvernement de l’Occident, parlera de la démocratie marocaine le jour improbable où le dictateur marocain sera dans un avion, vers un exil doré en Arabie Saoudite, autre dictature chouchou de l’Occident.
Cyberpresse.ca, 26/01/2011
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