Libye : Kadhafi lance les islamistes marocains contre le royaume.

Par : Philippe Tourel
 
Le Maroc, traditionnellement assez réservé, voire en retrait, vis-à-vis des conflits qui secouent le monde arabe, risque d’être secoué par le conflit libyen. Le Royaume chérifien a en effet joué, côte à côte avec le Liban, le Qatar, les Emirats arabes unis et la Jordanie, un rôle de premier plan dans la croisade franco-britannique contre le régime du colonel Kadhafi. Il fut parmi les pays arabes qui avaient assisté au sommet de Paris (29 mars) puis à la réunion du Groupe de contact sur la Libye à Londres. Alors que les trois autres pays membres de l’Union du Maghreb arabe (Mauritanie, Tunisie et Algérie) ainsi que l’Egypte, sans parler des pays africains limitrophes de la Libye, avaient dès le départ pris leurs distances vis-à-vis des frappes aériennes et préconisé une « solution politique », le Maroc s’était aligné sur la position occidentale qui appelait au départ du leader libyen. Quant à la Ligue arabe, qui avait appelé à la majorité de ses membres (avec l’opposition notable de la Syrie et de l’Algérie), le Conseil de sécurité à imposer une zone d’exclusion aérienne pour « protéger les civils libyens » contre les attaques de l’aviation de Kadhafi, elle a modéré son soutien dès le début des bombardements occidentaux. Amr Moussa, son secrétaire général et candidat à la présidence de la république égyptienne, s’est vite rétracté, condamnant même ces bombardements contraires à la résolution 1973. Son absence a été remarquée, comme celle du président de la Commission de l’Union africaine, Jean Ping, lors de la réunion de Londres.

La diplomatie marocaine a mis quelques semaines avant de se rétracter timidement, et d’accepter de recevoir à Rabat une délégation officielle libyenne.
Le ministre marocain des Affaires étrangères et de la Coopération, Taib Fassi Fihri a en effet reçu le vice-ministre libyen des Affaires étrangères chargé des Affaires arabes, Omran Boukraa (comme il a reçu une délégation du CNT). Au cours de leur entretien, il a réitéré l’attachement du Maroc au respect total de l’intégrité territoriale et de l’unité nationale de la Libye précisant que « la solution ne saurait être militaire et devrait être nécessairement politique, ouverte sur l’avenir et permettant au peuple libyen de décider, par lui-même et de manière démocratique, de son avenir. »
Comme pour se justifier, il avait expliqué à son hôte libyen que c’était « dans cet esprit que le royaume du Maroc a participé aux réunions internationales, tenues à Paris, à Londres et plus récemment à Doha consacrées à la crise libyenne
Mais le mal était déjà fait. Le régime de Kadhafi avait très mal pris ce qu’il appelle « la trahison » du Maroc. Il n’a pas tardé à actionner ses « réseaux » au Maroc, dans le Sahel et à l’étranger non seulement pour dénoncer cette « trahison » marocaine, mais surtout critiquer ouvertement le Makhzen. C’est sans doute à l’instigation des services libyens qu’à peine l’émissaire de Tripoli avait quitté le royaume, une vidéo très anti-marocaine a été diffusée sur YouTube par Abdelkrim Motiî, le leader de la « Haraka Al Islamiya Al Maghribia » (Mouvement islamique marocain, anciennement connu sous le nom de Chabiba islamiya). Cet intégriste, qui voue une grande haine à la gauche marocaine, condamné à perpétuité pour son implication dans l’assassinat du leader socialiste Omar Benjelloun en 1975, s’était réfugié en Arabie Saoudite avant d’être accueilli par la Libye. Pour de nombreux observateurs marocains, Motiî était à l’époque téléguidé par les services de Hassan II pour affaiblir la gauche. Mais depuis son exil, il voue la même haine aux mouvements islamistes marocains, dont Al Adl Wal Ihsane. Il va jusqu’à traiter Cheikh Yassine… d’apostat ! Et dans un communiqué particulièrement virulent, daté du 18 décembre 2006, le guide d’Al Adl Wal Ihsane est même accusé « d’accointances avec certains sécuritaires marocains avec lesquels il entretient un contact permanent ».
Depuis l’implication du Maroc dans le conflit libyen, ce père spirituel du salafisme marocain refait surface. Il s’attaque désormais avec virulence au roi et à son entourage, qui menaceraient le pays d’un « scénario à l’algérienne, en raison de la politique sécuritaire imposée par les Américains ». Extrait de son dernier communiqué en date : « La flambée de violence qui pourrait embraser le pays n’est que le résultat prévisible et logique d’une répression aveugle et d’un mépris clairement affiché envers le petit peuple par une élite dépravée, qui s’achète des strapontins au Parlement ».
La crispation entre Rabat et Tripoli est compréhensible. Le Maroc, en s’engageant un peu hâtivement dans l’entreprise occidentale de renversement de Kadhafi, compte prendre sa revanche sur un régime qui a souvent aidé les Sahraouis dans leur exigence d’un référendum d’autodétermination. Mais ce soutien, il faut le reconnaître, n’est jamais allé jusqu’à reconnaître le RASD. En 2010, recevant une délégation de l’alliance présidentielle algérienne (FLN, RND et MSP), il avait déclaré ne pas croire que le projet d’autonomie soit la bonne solution et qu’il préférait l’option d’un référendum  d’autodétermination sous l’égide de l’ONU. Une position partagée par Alger et qui a fortement irrité Rabat. Les dirigeants du Conseil national de transition de Benghazi, en véhiculant des informations jusqu’ici infondées sur une implication de combattants sahraouis et sur une aide logistique algérienne dans le conflit cherchaient en fait à remercier le Maroc pour son embrigadement dans la croisade franco-britannique contre Kadhafi.
Il ne fait d’ailleurs pas de doute que les services marocains n’ont de cesse d’alimenter les rumeurs sur une telle connexion, d’abord avec la nébuleuse terroriste et mafieuse dans le Sahel, ensuite dans le conflit inter-libyen.  Le but recherché est de discréditer le combat des Sahraouis pour l’autodétermination tout comme discréditer l’Alger qui les soutient.
Lors d’une conférence de presse donnée à Washington, au tout début du soulèvement libyen, par l’ancien ministre libyen de l’Immigration, Ali Errishi, qui a rompu avec le régime, en réponse à une question du correspondant de l’agence de presse marocaine (MAP) sur une prétendue « présence de combattants du Front Polisario en Libye », il a répondu par l’affirmative. Ce quia suscité une réaction rapide et vigoureuse dureprésentant du Front Polisario à Washington, M. Mouloud Saïd. « Le gouvernement sahraoui et le Front Polisario ne se sont jamais ingérés et ne s’ingéreront jamais dans les affaires intérieures de quelque nation que ce soit et une telle ingérence ne servirait ni les intérêts nationaux du peuple sahraoui, ni la noble cause qu’il défend », a souligné le responsable sahraoui  dans un communiqué. Avant d’ajouter : « Depuis le début du soulèvement en Libye, la presse marocaine a propagé cette désinformation de la même manière qu’elle s’était évertuée, en vain, à établir un lien entre le peuple sahraoui et des activités terroristes, depuis prouvé comme n’étant qu’un ramassis de mensonges marocains », a-t-il poursuivi.
« Nous mettons au défi qui que ce soit d’apporter les preuves d’une présence de combattants sahraouis dans ce triste conflit », a ajouté le représentant sahraoui. « Une fois de plus, nous réitérons qu’il n’est pas dans l’intérêt du combat juste mené par le peuple du Sahara occidental de s’impliquer dans la tragique situation qui prévaut en Libye, ce pays frère auquel nous souhaitons de trouver une solution rapide, de manière que le peuple libyen puisse recouvrer la paix et la stabilité qu’il mérite et dont il a grandement besoin ».
Les accusations contre le supposé soutien logistique algérien au régime de Kadhafi, maintes fois démenties par Alger, véhiculées par certains membres du CNT sans aucune preuve, mais abondamment reprises par la presse marocaine, interviennent au moment où un certain dégel est perceptible entre le Maroc et l’Algérie. Il n’est pas évident que de tels procédés servent la cause d’un tel dégel plus que jamais vital pour les deux pays.
Source : Afrique-Asie, 22/04/2011

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