Un cercle vertueux au Maghreb?

Il y a quelque chose qui se passe. Quelque chose qui ressort de la fécondité du printemps des peuples dans les pays arabes. Quelque chose qui arrive aussi après une très longue patience, un très long temps de souffrance et d’humiliation.

Cela se déroule sur deux axes :
1) D’une part, la jeunesse marocaine du Mouvement du 20 février n’a pas faibli devant le défi sécuritaire représenté par l’attentat du 28 avril au café Argana de Marrakech. Ainsi le rapporte Nadjia Bouaricha, l’envoyée spéciale du journal algérien El Watan à Marrakech :
« Demain encore [dimanche 8 mai], ce sera au tour des animateurs du Mouvement du 20 février qui ont appelé non pas à un rassemblement devant le café Argana, mais à une marche dont le slogan sera “Le peuple tient au changement et dit non à la violence”. […] La revendication majeure pour une monarchie constitutionnelle semble un bien précieux objectif que les Marocains ne veulent pas voir partir en fumée ou voir passer juste comme une hirondelle de printemps. »
2) D’autre part, on le sait peu en France en dehors des milieux du foot (et encore ils ont beaucoup de chats à fouetter en ce moment…) : il y a un match retour Maroc-Algérie (dans le cadre de la qualification pour la prochaine Coupe africaine des Nations, CAN-2012) qui doit se dérouler le 4 juin prochain, à Marrakech justement.
Et, à cette occasion, on découvre que les relations Algérie-Maroc se réchauffent à vive allure ! J’en veux pour preuve les déclarations du ministre algérien de la Jeunesse et des Sports, présent la semaine dernière à Marrakech : «quel que soit le résultat, les deux peuples se [doivent] de célébrer le vainqueur, du moment que c’est une équipe du Maghreb». De son coté, son homologue marocain a indiqué que le Maroc avait une dette par rapport à l’exceptionnel accueil offert par les Algériens à Annaba lors du match aller, le 27 mars. «Nous avons à rembourser notre dette lors du match de juin», a-t-il affirmé. Un assaut d’amabilités qui, pour être officielles, n’en sont pas moins nouvelles !
Mais, plus encore, il y a les paroles des Marrakchis qu’a rencontrés l’envoyée spéciale d’El Watan. Marrakech bruisse en effet d’une grosse rumeur : la réouverture imminente de la frontière terrestre avec l’Algérie (fermée depuis 1994, quand les deux pays s’envoyaient à la figure la responsabilité d’attentats djihadistes sur leur sol). Cette ouverture de la frontière a d’abord été réclamée par le Maroc, à partir de 2008, pour mettre fin à une situation dépassée correspondant à la décennie du terrorisme islamique en Algérie. Refus d’Alger, qui voulait lier cette réouverture éventuelle à un traitement global de la situation au Maghreb, incluant le règlement du conflit du Sahara Occidental vieux de plus de 30 ans. Jusque dans ce refus de l’ouverture de la frontière avec le Maroc, qui représente pourtant des retombées économiques importantes (sans doute plus pour Rabat que pour Alger), l’Algérie a toujours soutenu les Sahraouis. Aujourd’hui, il semble que les choses changent tactiquement. Cette rumeur d’ouverture a l’air sérieuse. Mais je ne crois pas un instant qu’elle signifie un lâchage des Sahraouis par les Algériens. Je crois qu’elle signale le passage à une approche plus subtile de l’ensemble maghrébin, où on s’appuie davantage sur la maturité et l’empathie des peuples.
Car, malgré l’exacerbation des sentiments nationalistes plus ou moins haineux envers les Algériens suscitée par l’affaire du Sahara (une construction diabolique de Hassan II, en 1974, alors qu’il venait d’essuyer 2 tentatives de coups d’Etat, et dans laquelle il a réussi à entraîner toute la classe politique marocaine), on rencontre chez les Marocains du respect, voire plus, à l’égard de leurs voisins. Tels sont les propos recueillis par l’envoyée spéciale d’El Watan :
­ « Sachez que les Algériens sont les bienvenus. Vous êtes nos frères. Nous voulons vous reprendre dans nos bras comme nous le faisions auparavant. » (Amal Karioune, président de l’Association régionale des agences de voyages de Rabat)
­ «Qu’on le veuille ou pas, nous sommes voisins pour la vie. On ne peut pas changer la géographie ni les peuples. Nous sommes obligés de vivre ensemble et, à nous deux, nous sommes capables de faire beaucoup de choses», dit un autre voyagiste.
Bien sûr, il peut s’agir de propos de circonstance, suscités par l’espoir de rentrées touristiques liées au match…
Mais je retiens dans ces propos deux choses : le réalisme de « nous sommes voisins pour la vie » et la nostalgie de « Nous voulons vous reprendre dans nos bras comme nous le faisions auparavant. » Car il y a eu un avant, quand les peuples marocains et algériens étaient vraiment frères, et aussi leurs élites, au temps de la lutte pour l’indépendance, et dans la décennie qui a suivi. Je me souviens de ce couple de professeurs algériens rencontrés au début des années 70 sur une plage à Mohammedia ou à Salé : ils étaient là en vacances, très naturellement, comme depuis plusieurs années, et me disaient l’accueil chaleureux qu’ils avaient rencontré à chaque fois et qui les faisaient revenir au Maroc.
Il y a aussi la solidarité qui liait un Ahmed Ben Bella, alors président de la jeune république algérienne, et Mehdi Ben Barka, l’opposant marocain à Hassan II obligé de s’exiler, dont Ben Bella fit, dit-il, son « ministre des Affaires étrangères bis » pendant plusieurs années. (Voir le documentaire de 15 minutes environ diffusé par le site marocain lakome.com, lien ci-dessous, Ben Bella parle vers la cinquième minute :
Nostalgie donc, mais qui fonde un espoir. Y compris pour les Sahraouis. Car je ne vois pas que deux peuples puissent s’entendre sur le dos d’un troisième. Ce genre de trahison est plutôt le propre de dirigeants…
Aïe ! La vigilance reste donc de rigueur… 
Mediapart, 08/05/2011

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