Mais ce n’était qu’un début. Dans le cabinet royal, le duo Moâtassim-Menouni refusa également de remettre une copie du projet aux conviés. Faute de copie, les pauvres invités se résignèrent à écouter méticuleusement pendant une dizaine d’heures, article après article, ce qui devrait devenir, après l’avis favorable de l’arbitre suprême, le roi, la nouvelle charte octroyée. « Vous nous donnerez votre avis après », lança Moâtassim à ses invités.
Mais à la surprise du duo Moâtassim-Menouni, trois des conviés, les représentants de la Confédération démocratique du travail (CDT), du Congrès national ittihadi (CNI) et du Parti de l’avant-garde démocratique et socialiste (PADS) refussèrent cette « manière de travailler », selon les dires de l’un d’eux. Abderrahmane Benameur, du PADS, annoncera le retrait de sa formation, parce que dira-t-il en substance, « le projet de constitution doit être soumis aux instances supérieures du parti qui doivent décider en dernier lieu, et je ne sais pas comment je vais leur transmettre quelque chose que je n’ai pas ».
A part cet incident, ce qui a pu être collecté à la main, et à la va-vite, par certains conviés donne un panorama assez visible, même s’il est incomplet, de ce que va être la future constitution du royaume. Une nouvelle constitution, qui devrait être soumise à un référendum au début du mois de juillet pour adoption.
Premier élément d’importance, le roi passerait de « représentant suprême de la nation », tel que prévu par l’article 19 de la constitution actuelle, à celui de « représentant suprême de l’Etat ». La « sacralité » du roi, qui a été la cause de centaines de condamnations et d’emprisonnements de citoyens, devrait passer à la trappe. L’article 23 de la constitution qui signale que « la personne du roi est inviolable et sacrée », devrait être remplacée par la présente formule : « « la personne du roi est inviolable ». Ce qui veut dire aussi que le roi continuerait à être au dessus des lois et qu’il ne pourrait pas être poursuivi par la justice, ordinaire ou exceptionnelle.
Le Tamazight, la langue ancestrale des Berbères, devrait avoir droit de cité au Maroc. Elle ne serait plus considérée comme une langue « nationale », ce qui la plaçait dans le domaine du folklore, mais comme une langue officielle dont l’utilisation et la connaissance devraient être obligatoires. Une loi organisationnelle devrait être rapidement élaborée et mise en place.
Après cette présentation, manifestement incomplète, certains journaux ont commencé à parler de « deuxième révolution du roi et du peuple », parce que, croient-ils, dans la nouvelle charte le roi devrait garder uniquement la haute main sur la défense et la religion. C’est-à-dire qu’à part les forces armées royales et la « commanderie des croyants », Mohamed VI devrait se débarrasser des autres responsabilités étatiques. C’est le scénario officiel, pour le moins.
Or, ce scénario ne résiste pas à la réalité des faits. Ou plutôt à la réalité des bribes d’information qu’on a du nouveau texte de la constitution.
Premièrement, si les pouvoirs, encore à préciser, du premier ministre et du parlement seraient renforcés, le premier rôle au gouvernement continuerait à être tenu par le roi. Exemple : le souverain continuerait à présider le conseil des ministres, et si le premier ministre, qui devrait avoir le titre de « président du gouvernement », devait le présider ce serait uniquement après délégation du chef de l’Etat.
Et si le nouveau texte constitutionnel octroie d’amples pouvoirs de nominations au premier ministre, ces dernières devraient auparavant, et postérieurement, passer par le filtre de l’onction royale. On voit mal quelqu’un, même extrêmement compétent dans son domaine, mais qui déplairait au roi, accéder à la fonction à laquelle le chef du gouvernement voudrait lui confier.
En somme, Mohamed VI continuerait à contrôler la défense, la religion et le gouvernement.
Deuxièmement, le roi ne lâche pas prise dans le domaine de la justice. Il devrait continuer à présider le Haut conseil du pouvoir judiciaire qui prend la relève du Conseil supérieur de la magistrature. Un quota devrait être instauré pour les femmes, mais des personnalités extérieures au monde de la magistrature devraient être imposées (nominations faisant partie des prérogatives du roi) comme le président de l’Institution du médiateur et celui du Conseil national des droits de l’homme (actuellement dirigés respectivement par Abdelaziz Benzakour et Driss El Yazami). Donc, après la défense, la religion, le gouvernement, il faut rajouter la justice.
Troisièmement, le roi devrait présider le nouveau Conseil national de sécurité, un organisme qui existe dans des pays comme les Etats-Unis, Israël et la Turquie mais pas dans un pays avec une dimension modeste comme le nôtre (ce serait une une idée de Fouad Ali El Himma, le patron du Parti authenticité et modernité), et qui devrait contrôler tous les appareils de sécurité du Maroc. A commencer par la DST et la DGED, qui échapperaient ainsi au chef du gouvernement.
Récapitulons. La défense, la religion, le gouvernement, la justice et la sécurité devraient rester entre les mains du souverain. C’est l’essentiel su pouvoir. On se demande alors où est le changement annoncé ?
A juste titre, le politologue et professeur universitaire Mohamed Darif, qui n’est pas un homme exalté, a visé juste il y a quelques jours quand il a affirmé : « Nous sommes loin d’une monarchie parlementaire ».
Ali Lmrabet
Demain Online, 10/06/2011
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