Au mois de juillet dernier, le président sahraoui a adressé une lettre à Ban Ki-moon où il expose ses craintes suite à ses dépassements de droit. Pour le président sahraoui, l’intervention des instances internationales est urgente dans la mesure où elle sauvera des vies de Sahraouis. Une demande de renforcement des mécanismes de la Minurso (mission de l’ONU pour le référendum au Sahara Occidental), et ce «pour garantir la protection des civils sahraouis de la répression sauvage des forces d’occupation marocaines», a été formulée. Le Haut-commissariat des droits de l’homme de l’ONU avait confirmé que les droits de l’homme étaient piétinés dans les territoires occupés du Sahara Occidental.
Mais jamais le Rapport de la délégation du Commissariat de l’ONU n’a été publié, encore moins la mise en œuvre des recommandations prévoyant l’élargissement du mandat de la Minurso afin de surveiller la situation des droits de l’homme dans les territoires sahraouis occupés. Pis encore, la réponse du régime marocain était l’intervention sanglante de la police et forces auxiliaires… Dans l’entretien qui suit, Khadija Mohsen-Finan, enseignante et chercheur à l’Institut d’études politiques de l’université Paris VIII, revient sur ce conflit et ses répercussions dans la région.
Le jeune Indépendant : Vous avez travaillé sur le Sahara occidental. Pourquoi, selon vous, les changements intervenus au Maghreb durant l’année 1999, avec l’arrivée d’Abdelaziz Bouteflika à la tête de l’Etat algérien, la brusque disparition de Hassan II et la disgrâce du ministre marocain de l’Intérieur qui avait la haute main sur le dossier du Sahara, ne se sont pas répercutés positivement sur le conflit ?
Khadija Mohsen-Finan : De nombreux observateurs s’attendaient à des changements importants au niveau de l’évolution du conflit du Sahara. Pour eux, le changement de personnel politique ne pouvait qu’avoir des effets sur ce conflit. Le maintien du conflit dans sa configuration initiale montre qu’il ne s’agit pas là d’un problème de personne mais bien de système politique. Il montre aussi que fondamentalement, nous étions dans la continuité du système marocain initié par Hassan II et du système algérien en vigueur depuis 1962. L’exécutif algérien ne se limite pas à la présidence de la République, il inclut l’état-major de l’armée.
En outre, une part importante de la légitimité du système se fonde sur son positionnement dans l’affaire du Sahara et la défense du Front Polisario pour la défense de ses «droits à l’autodétermination «. Mais à partir de la fin des années 1990, il y a un changement au niveau de la gestion du conflit. Les Marocains optent pour l’autonomie de ce territoire et écartent le référendum d’autodétermination. Les Marocains avaient jusqu’alors beaucoup tergiversé entre autodétermination et autonomie. Rabat a voulu écarter toute possibilité d’avoir un Etat sahraoui indépendant. Ce faisant, le Maroc adoptait une posture d’opposition à la position algérienne.
Vous dites dans une étude publiée récemment que le deuxième enjeu du règlement de ce conflit réside dans l’évolution de la place des militaires au sein de la monarchie ? Pourriez-vous être plus explicite ?
On évoque toujours le poids des militaires algériens dans la recherche de sortie de crise et on limite la gestion de ce dossier au palais royal marocain. Cela est inexact. Les militaires marocains sont impliqués dans la gouvernance de ce dossier, même si les décisions finales reviennent au roi. S’il est vrai que lorsque le conflit éclate au milieu des années 1970, Hassan II en profite pour envoyer une grande partie de l’armée marocaine dans le Sahara, l’éloignant de la prise de décision politique, au fil des années, l’armée a été associée à la gestion de ce territoire et l’état-major est très concerné par les rapports entre Rabat et Alger.
Dans son discours prononcé lors de la fête du trône, la suggestion, sous forme de souhait, du roi Mohammed VI d’ouvrir la frontière entre les deux pays a certainement été pensée par l’exécutif et l’état-major de l’armée. C’est elle qui dispose des renseignements sur la nature des produits qui transitent, sur les risques de contagion en matière de terrorisme ou de trafics d’armes. La volonté d’ouvrir cette frontière ne se limite pas aux aspects économiques et aux principes politiques. Elle est aussi dictée par des considérations d’ordre stratégique et géopolitique.
Enfin, concernant le Maroc, vous dites aussi, dans une récente communication, que nous sommes dans la continuité de ce que Hasan II a instauré, malgré le vent révolutionnaire qui secoue le monde arabe. Sommes-nous en présence d’un statu quo imposé par l’Occident, notamment la présence française au Maroc. Y aurait-il d’autres raisons ?
Lorsque je parle de continuité entre Mohammed VI et Hassan II, je n’évoque pas de statut quo. Nous sommes dans la continuité d’un système politique et le roi actuel tire une partie de sa légitimité de la continuité de la politique de son père.
Par ailleurs, le statut quo n’est pas imposé par l’Occident. La France appuie la politique du Maroc mais n’impose rien. Je crois que nous devons nous défaire de cette impression et de ce sentiment de complot. Nous sommes tout à fait responsables des politiques mises en place dans nos pays. Toutefois, je reconnais que nos classes dirigeantes ont tendance à solliciter la bénédiction des capitales occidentales pour donner plus de poids à leurs décisions. De la même manière que le personnel politique algérien qui pose son pays en victime éternelle de la France et de l’Occident. Cela relève des mêmes pratiques, nous n’avons pas coupé le cordon avec cet Occident que nous sollicitons et que nous accablons de maux divers.
Concernant l’Algérie, certains vous jugent sévère en pronostiquant l’immobilisme politique lors des mandats de Bouteflika auquel appartient ce relookage de l’image de l’Algérie sur la place internationale. Maintenez-vous votre jugement ?
Je ne suis pas sûre que l’immobilisme caractérise le système politique algérien, je pense que nous sommes davantage dans la continuité en ce qui concerne les grandes lignes, même si la présidence de la République est plus autonome et que l’armée est quelque peu affaiblie en ce qui concerne les décisions d’ordre politique.
Néanmoins, sur certains dossiers, comme celui des frontières et plus globalement de la relation entre les deux grands pays du Maghreb, la présidence de la République ne peut s’écarter de la ligne de conduite dessinée il y a quelques années par l’état-major. Cette ligne est inhérente au nationalisme algérien tel qu’il a été mis en avant par le personnel politique.
Lors d’un entretien, Benjamin Stora nous a déclaré que ce qui se passe dans le monde arabe est une sorte de reprise de l’histoire suite à une décolonisation mal assumée. Sur le plan politique, comment l’analysez-vous ?
Je ne sais si ce que nous vivons aujourd’hui dans le monde arabe correspond à une décolonisation mal assumée. Pour ma part, j’ai plutôt tendance à y voir une mauvaise gestion du politique, un accaparement du politique par les élites dirigeantes et la mise à l’écart des citoyens. C’est une absence cruciale de démocratie. Les schémas politiques ne se sont pas renouvelés et il n’y a pas eu de renouvellement des élites non plus. Les légitimités se sont effritées et nous avons assisté à une fracture de plus en plus grande entre gouvernants et gouvernés. C’est une faillite des modèles politiques et économiques mis en place au lendemain des indépendances qui sont en cause. Les responsables politiques qui se sont succédé n’ont pas eu l’opportunité d’en prendre la mesure car ils ont méthodiquement écarté toutes formes d’opposition politique. Ils ont été entourés de courtisans qui se sont enrichis ostensiblement. Dans les années 1980, l’introduction de l’économie libérale leur a donné l’occasion de s’enrichir davantage encore, et leur richesse devint visible. Parallèlement, cette élite donnait l’impression, fondée d’ailleurs, d’être dans l’impunité.
C’est de là qu’est née une crise morale qui s’est additionnée aux effets de la crise économique mondiale. Tout cela a rendu insupportable l’univers des privilèges et la mise à l’écart des citoyens dans la gestion de leurs vies. Les médias et les réseaux sociaux ont rendu possible un cyberespace de protestation malgré l’absence d’espace public dans ces pays.
Les Arabes ont réalisé que leurs élites politiques les maintenaient en dehors de la modernité politique et de la mondialisation.
Entretien réalisé par Samir Méhalla
Soyez le premier à commenter