Sur la guerre en Libye, les bilans sont plutôt rares sur les civils tués directement ou «collatéralement», pour reprendre les pudibonderies des militaires qui n’aiment pas le mot sang, même s’ils le versent. Mais curieusement, un militaire de l’Otan s’est fait terriblement «précis» en indiquant qu’au moins 10.000 missiles sol-air se promènent dans la nature.
Ainsi, l’amiral Giampaolo Di Paola, dans une réunion présumée secrète avec des députés allemands, mais dont le détail a été livré par l’hebdomadaire Der Spiegel, ces missiles, des SAM 7 notamment, menaceraient l’aviation civile et pourraient se retrouver sur un très long arc dans de «mauvaises mains» du Kenya à Kunduz, en Afghanistan. Déjà, quand un général du CNT libyen avait parlé de 5.000 missiles en vadrouille, il y avait de quoi être inquiet. Avec le généralissime de l’Otan, on double la mise et le stress.
Avouons que dans un jeu où l’information ne dépend que d’une seule source, on n’est pas en mesure d’en jauger la véracité. Mais observons quand même que l’on passe allègrement d’un discours plein de certitude, où l’on prétend avoir la situation «sous contrôle», à son opposé qui consiste à créer une frayeur générale sur un arc très large que l’on peut qualifier de «territoire de la guerre». On est constamment dans des opérations d’orientation ou de manipulation médiatiques destinées à justifier une démarche déjà arrêtée.
On a pendant quelques jours affirmé, «la main sur le cœur», qu’on se contente d’appliquer la résolution de l’Onu sur la protection des civils libyens, mais le but a été changé en renversement du régime. On affirme ensuite qu’il s’agit de rendre les Libyens maîtres de leur destin, mais en même temps on indique qu’on aura un «rôle» dans cet avenir. Et donc qu’il faut être «présent». Il n’est pas difficile d’en créer les raisons. Dans les médias, tous les arguments sont livrés «en vrac», mais ils obéissent bien à cette logique. Tous ces arguments invoquent désormais un « risque» d’instabilité où des tribus pourraient tenter de régler les questions de pouvoir à coup d’arguments explosifs. On découvre aussi que les islamistes sont «trop» présents et on met en avant, en opposition à eux, des Berbères libyens
Et désormais, avec 10.000 missiles dans la nature et des arsenaux qui ressembleraient au «café de Moh» – où l’on se sert et on s’en va -, la Libye va devenir durablement un pays «dangereux». Aussi dangereux que l’Afghanistan ! C’est ce que l’on semble essayer de démontrer. Et cela commande donc une présence militaire occidentale conséquente pour préserver la «stabilité». La boucle est ainsi bouclée. Les Libyens, sans Kadhafi, seront «libres» mais sous supervision. Ils ont trop de pétrole, de gaz et trop d’armes pour qu’on les laisse régler leurs problèmes tout seuls. On ne va pas laisser tomber la Libye entre de «mauvaises mains».
C’est, jusqu’à preuve du contraire, la lecture politique la plus plausible de cette histoire de missiles en vadrouille. Ce soudain alarmisme vient, en apparence, conforter les appréhensions sécuritaires exprimées par Alger au sujet d’une dissémination des armes des arsenaux libyens dans la région du Sahel au profit de groupes terroristes. Mais cette apparente « convergence » n’a rien de rassurant. Vu d’en face, dans cet arc de guerre, il n’y a que de mauvaises mains.
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