Les « trois dimensions » de la personnalité de Frantz Fanon vues par un universitaire

L’universitaire Abdelkader Benarab estime que trois dimensions distinguent la personnalité de Frantz Fanon, homme de pensée et d’action, mort il y a 50 ans, saluant en lui le psychiatre praticien, le militant de la cause algérienne et l’homme qui a contribué à donner des bases au courant intellectuel tiers-mondiste. 
Auteur de l’ouvrage « Frantz Fanon, L’homme de rupture », paru aux éditions parisiennes Alfabarre, dans leur collection « Les fourmis rouges dans nos sommeils », A. Benarab a estimé , que « très peu de personnages ont pu réunir ces trois dimensions en si peu de temps et avec une activité aussi extraordinaire que celle de Fanon ». Frantz Fanon est décédé le 6 décembre 1961 à l’âge de 36 ans.
En arrivant en Algérie où il a été muté en 1953, raconte A. Benarab, le jeune psychiatre « fait des découvertes horrifiantes faites de méthodes thérapeutiques moyenâgeuses, de camisolage, de cellules de force, d’isolement des malades enchaînés et séparés, selon qu’ils soient Musulmans ou Européens », et que très vite il s’attela à l’observation de certaines affections, à la suite de quoi, il opéra des comparaisons puis des classements de cas d’aliénés . 
« Il remet alors en cause le fondement même de la pratique psychiatrique dans le contexte colonial, de manière audacieuse, ce qui a déclenché l’ire de ses supérieurs. Il a été par la suite poussé à la démission en 1956 et rejoint alors ouvertement les rangs du FLN, convaincu qu’il était de la justesse de la cause algérienne et en 1959, il publie +L’An V de la révolution algérienne+ ». 
L’universitaire Abdelkader Benarab souligne que Fanon fut un « ardent défenseur » de l’idéologie anticoloniale dont il porta, avec M’hamed Yazid, le message grâce à une propagande activement menée à travers l’organe du FLN, El Moudjahid. « il a insufflé la conscience révolutionnaire à ses lecteurs en utilisant ses articles comme support de témoignage des massacres coloniaux », relève encore cet auteur. 
Lorsqu’il est nommé ambassadeur du Gouvernement provisoire de la République algérienne (GPRA) au Ghana, en mars 1960, Fanon « travailla à étendre la flamme révolutionnaire en Afrique », ce qui a constitué pour lui une occasion de « jeter les jalons des pensée tiers-mondistes, en présentant la lutte algérienne contre l’occupant comme un modèle de libération et de recouvrement des indépendances », souligne encore A. Benarab. 
En France, l’œuvre de Fanon a été longtemps occultée, rappelle aussi cet universitaire, relevant que l’intelligentsia française « n’a jamais parlé de lui, ni ne l’a intégré dans un système de pensée, dans la mesure où elle-même n’était pas anticolonialiste et n’a jamais eu véritablement une position franche, tels que certains américains, Africains, ou Algériens sur la question coloniale ». 
M. Benarab souligne par contre que l’auteur de l’oeuvre magistrale « Les damnés de la terre », qui fut traduit dans trente langues, a eu « une influence extraordinaire et prépondérante » sur le mouvement noir aux Etats-Unis, tels que les mouvements Harlem renaissance, Blacks muslims et Islam of Nation, qui ne voulaient pas lire l’histoire telle qu’elle nous a été apprise ». 
« Il a eu une influence prépondérante sur ce mouvement dont les membres voulaient une autre façon de lire l’Islam et une autre manière de lire le rapport humain et le rapport à l’histoire. Et Frantz Fanon avait anticipé sur ces évènements en expliquant ce rapport », a souligné A. Benarab qui, par l’analyse très succincte qu’il a apportée dans son ouvrage sur une partie de l’œuvre de F. Fanon a fourni des éclairages précieux sur l’homme qui a « fait triompher la dignité de l’esprit ». 
Le livre de A. Benarab « Fanon, l’homme des ruptures » a été distingué par le prix de la Sélection Franco-arabe pour sa contribution à l’ouvrage sur « Les Maghrébins de France ». « Il n’y a pas eu véritablement d’informations autour de l’ouvrage sur Frantz Fanon. Sa publication est passée inaperçue et pour cause, le livre a été publié en France, l’Algérie ne l’a pas acheté, car il n’y a pas eu une bonne communication sur cet ouvrage », estime l’universitaire, qui dit avoir cependant obtenu l’autorisation de le coéditer en Algérie. 
« Je fais en sorte qu’il soit présent sur le marché algérien, et je viens d’avoir l’autorisation de le coéditer ces jours-ci en Algérie, avec un tirage de 3000 exemplaires, en première étape », a-t-il dit, affirmant insister pour que le livre de Fanon soit sur le marché à la faveur de la commémoration du cinquantenaire de sa mort. 
Abdelkader Benarab est attaché de recherche à l’université de Paris III. Il a été également chargé de cours en littérature générale comparée, section Littérature de l’exil, à Paris IV, Sorbonne.
Echourouk Online, 19/10/2011

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