par Kamal Daoud
Un 2ème militant du mouvement du «20 Février», front du printemps marocain, vient de mourir : il a été poussé dans le dos par un policier ou le régime ou la mal vie, du haut de plusieurs étages. Cette mort a provoqué des marches au Maroc, mais pas l’attention du reste du monde. La cause ? Le concept de « l’angle mort ». Le printemps arabe est sous effet de loupe des médias du monde entier, mais il y existe des angles morts, en marge, négligés ou escamotés : le Yémen, par exemple, mais surtout le Maroc.
On a bien compris, après la première vague du début de l’année, que le Maroc va être « épargné » ou qu’on fera tout pour. Dès les premiers jours de sa crise, le Roi a vite compris le conseil des tuteurs en Europe : réformes vite, légèrement en fond, beaucoup en surface et on fera le reste. Le reste a été ce traitement étonnamment complaisant fait par des médias français sur le dernier référendum stalinien organisé dans ce pays autour de la nouvelle constitution. L’effet de minimalisation a été poussé parfois jusqu’au ridicule.
Le mot d’ordre sémiologique était qu’il fallait protéger le Royaume et consacrer son « exception ». Cela s’appelle encore un protectorat. Le chroniqueur ne fait pas partie de ces inquisiteurs en mal de décolonisations assises ou de rancunes alimentaires, mais il y a des évidences : au Maroc, la France actuelle a joué de bonnes cartes et le Roi a été un bon disciple. C’est le seul pays où on a joué un marketing de ruse pour vendre au monde des réformes que les Marocains n’ont pas achetées. Aujourd’hui, cet effet d’occultation fonctionne à plein régime. Il peut se passer le pire, on traitera du meilleur.
Le syndrome de la perte de la Tunisie a joué donc à fond. Sauf que si, du point de vue du pragmatisme, on peut comprendre la stratégie de sauvetage du Roi, ses tuteurs oublient qu’il s’agit d’abord d’une dictature un peu mieux habillée.
Une dictature « arabe » ne pense pas seulement avec pragmatisme mais aussi avec émotions. Le cycle de vengeance et de ripostes sur le « 20 Février » est déclenché et le pire semble avoir été employé pour punir les sujets dissidents.
Des doutes lourds pèsent sur l’attentat de Marrakech, un peu trop opportun, pas revendiqué par les terroristes du coin, refusé par les familles des inculpés. Monstrueux de penser qu’on puisse utiliser une bombe pour en désamorcer une autre plus grosse ? Que non : une dictature arabe peut tuer 30 mille révoltés, reculera-t-elle devant le sacrifice de six victimes ? Abîmes du doute et de la suspicion. Le printemps n’a pas les mêmes jardiniers partout.
Le Maroc est certes sauvé, pour le moment, par ses tuteurs et les concepteurs de son plan média, très subtile, mais il ne sera pas épargné. Ni nous. Ni personne. On peut pousser un militant dans le dos, à la fin, c’est le régime qui tombe. Quels que soient la ruse, l’attentat en préfabriqué, la réactivation du terrorisme utilitaire ou autre. La stabilité, c’est bien. Des réformes c’est bien, mais sans arnaques surtout. Dans le cas du Maroc, l’arnaque commence à prendre le pas sur le conseil des Français : le régime revient à sa nature et se venge, avec grossièreté. Encore une fraude sur les réformes au Maghreb donc.
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