Kadhafi va leur manquer

Les forces du nouveau régime en Libye affirment avoir pris le contrôle de Syrte, le dernier bastion du régime déchu de Mouammar Kadhafi, après plus d’un mois de combats meurtriers. Selon le CNT (Conseil national de transition), le colonel Kadhafi serait mort. L’information est confirmée.

Kadhafi avait son utilité en Afrique. Il n’hésitait jamais à sortir son chéquier pour venir en aide à un vieil ami, ou pour s’en faire de nouveaux.

«Le roi des rois d’Afrique» – titre dont il s’était affublé – régnait sur une cour de présidents, d’opposants, de chefs rebelles, dépendant de ses largesses pour gérer les leurs. Rares sont ceux qui s’en vantaient.

Il fallait l’excentricité d’un Dadis Camara, éphémère despote guinéen, pour le reconnaître publiquement. En septembre 2009, au cours d’une conférence de presse à Conakry, le capitaine a fièrement exhibé publiquement un chèque signé de la main de Mouammar Kadhafi, ainsi que les clés d’un véhicule tout-terrain offert par le «Guide» libyen.

La solution aux fins de mois difficiles

Auprès des pays africains et en particulier des plus pauvres d’entre eux, Kadhafi était devenu, au fil des ans, une sorte d’assurance tous risques. Un rôle d’autant plus important que les traditionnels protecteurs occidentaux devenaient de moins en moins généreux, rechignant à régler les fins de mois difficiles.

Les pays de la Communauté des Etats sahélo-sahariens (Censad), fondée par Kadhafi en 1998, ont toujours été particulièrement choyés. Des dirigeants mauritaniens, burkinabès, maliens, nigériens, tchadiens et sénégalais, ont ainsi été récompensés pour leur adhésion à cette organisation qui compte désormais 28 membres, et dont le principal mérite, aux yeux de Kadhafi, est d’avoir brisé l’isolement dans lequel il se trouvait à la fin des années 90.

Un président comme le Burkinabè Blaise Compaoré a toujours bénéficié des largesses du Guide, que ce soit pour ses besoins personnels ou pour le développement de son pays. En témoigne la statue montrant le Guide accompagné du «beau Blaise», qui décore une place de Bobo-Dioulasso au Burkina Faso.

Concilier business et politique

Plus sérieusement, le projet Ouaga 2000, sorte de ville nouvelle en périphérie de la capitale Ouagadougou, n’a vu le jour que grâce à des investissements libyens – de même que toute une série de projets comme la route du Guide, la clinique Suka ou encore l’hôtel Libya. Ouagadougou est devenue l’arrière-cour privilégiée du Colonel, en dépit de relations parfois houleuses avec Blaise Compaoré.Le Mali, le Niger, le Tchad et le Sénégal ont aussi eu leur lot d’investissements venus de la Grande Jamahiriya libyenne. À Bamako, des secteurs entiers de l’économie, principalement dans l’hôtellerie et l’agriculture, sont aux mains des Libyens. L’ancien président Alpha Oumar Konaré était l’un des visiteurs les plus assidus du palais de Bab Azizia, à Tripoli.

Ces investissements sont souvent davantage des outils d’influence politique que des opportunités d’affaires. Télécom au Niger, mines en République démocratique du Congo, hôtels au Ghana, au Gabon ou au Rwanda ; c’est tout l’art de Kadhafi que de concilier ainsi business et politique.

Mais ce dernier ne fait pas que signer des chèques ; il a aussi déployé toute une batterie de fonds d’investissement comme le Libyan African Portfolio et le Libyan Arab African Investment Company, qui prennent des parts dans les projets nationaux des États amis.Parfois, Kadhafi rencontre sur son chemin un chef d’État aux ambitions aussi grandioses que les siennes. Et là, tous les rêves sont permis. Ainsi, le Sénégalais Abdoulaye Wade était persuadé, en 2010, que Kadhafi tenait à disposition du Nepad (le projet de développement économique panafricain) une somme de 90 milliards de dollars (65 milliards d’euros). Le président sénégalais s’interrogeait même publiquement sur la façon dont il allait constituer un fonds, afin de mieux utiliser cette somme…

Clientélisme et dépendance

L’aréopage africain est tellement dépendant des pétrodollars libyens que Kadhafi se permet de menacer de retirer ses «cinq milliards de dollars annuels» (3,6 milliards d’euros) (somme qu’il prétend dépenser en Afrique), si la «basse-cour» ne le suit pas. Ainsi, depuis 2009, tous ceux qui ne soutiennent pas mordicus son projet de gouvernement fédéral africain voient se tarir la source.Dès lors, il ne faut pas s’étonner du silence radio venu d’Afrique à propos des événements en cours en Libye. Comme le reconnaît l’opposant sénégalais Moustapha Niasse, «Kadhafi a beaucoup investi en Afrique, et dans la culture africaine, on ne lâche pas un allié ou un ami lorsqu’il est en difficulté». L’argent libyen a souvent réussi à faire oublier aux dirigeants l’autoritarisme et la mégalomanie de Kadhafi.

Pour autant, le système clientéliste du Guide ne diffère pas fondamentalement de ceux mis en place par certaines puissances occidentales ou asiatiques. Et la complicité passive des pays africains à l’égard de Kadhafi est la conséquence de leur faiblesse structurelle.Pris entre les exigences de la coopération financière mondiale et les difficultés économiques, peu de dirigeants ont les moyens de se passer de la générosité du Guide.Par ailleurs, mieux vaut éviter de froisser un homme qui, par le passé, a financé de nombreux mouvements rebelles. Et puis, peut-on vraiment être regardant envers un «ami» qui vous aura permis en maintes occasions de ramener un peu de pain à la maison ?

Par Alex Ndiaye 

 
Les Débats, 22/10/2011

Be the first to comment

Leave a Reply

Your email address will not be published.


*