par Kharroubi Habib
A l’indignation que suscite la façon barbare dont Kadhafi, pris vivant par les insurgés libyens, a été liquidé, il est rétorqué ici et là que le dictateur a mérité cette fin ignominieuse par l’ampleur des crimes dont il s’est rendu coupable durant les quarante-deux années de son règne. Ce qui sous-entend que son lynchage a été un châtiment mérité et que ceux qui s’en offusquent font un mauvais procès aux nouvelles autorités libyennes, qui ont d’autres chats à fouetter que de faire la lumière sur les circonstances de la mort du leader déchu. Il leur est par conséquent exigé de taire leur «sensiblerie» et de ne voir que le soulagement que la mise à mort du tyran a apporté au peuple libyen.
Fort de cette approbation et des soutiens que lui accordent ceux qui l’expriment, le Conseil national de transition a exclu d’ouvrir une enquête sur les circonstances de la mort de Muammar Kadhafi, malgré les demandes formulées dans ce sens par l’ONU et des organisations humanitaires. Ses sponsors étrangers qui le confortent dans son refus lui rendent un mauvais service, qui est d’assumer que la Libye «libre et nouvelle» n’a pas à connaître comment a fini son ex-oppresseur.
A quelques heures de différence, l’un des fils du dictateur déchu, Mouatassam, lui aussi arrêté vivant, est passé de vie à trépas dans des conditions qui resteront à coup sûr non éclaircies. D’autres responsables du régime déchu ont certainement eux aussi été liquidés en ces heures troubles en Libye dans les mêmes formes que Muammar Kadhafi et son fils. Ce qui donne à comprendre que la liquidation extralégale de l’ex-leader libyen n’est pas la conséquence d’une «bavure» due à des rebelles sous l’emprise de l’émotion qu’a suscitée leur face-à-face avec le dictateur de leur peuple, honni, mais celle de l’application de la loi du talion.
Cette façon de faire justice est condamnable quels que soient les crimes commis par ceux à qui elle est appliquée. Le haut commissaire de l’ONU des droits de l’homme, Rupert Colville, l’a rappelé à ceux qui «s’indignent de l’indignation» suscitée par l’exécution sommaire du dictateur déchu en faisant valoir que «le jugement des personnes accusées de crimes graves est un principe fondamental du droit international». L’indignation soulevée par l’exécution sommaire sous forme d’un lynchage, le mystère entourant la mort de Mouatassam, l’un de ses fils, feront que le CNT, qui refuse de faire la lumière sur leurs liquidations, a peu de chance de voir aboutir ses demandes d’extradition des autres membres de la famille Kadhafi et d’autres dignitaires du régime déchu. Que l’entame de la Libye libre et nouvelle ait eu pour point de départ des crimes que le droit international réprouve n’est pas pour interpeller les consciences des parrains étrangers des nouveaux «hommes forts» de cette Libye.
Ils les absoudront sans équivoque de leur «tache originelle» tant qu’ils s’astreindront à appliquer «correctement la feuille de route» qu’ils leur ont établie. Feuille de route qui sent le pétrole et l’argent dont la Libye regorge. Mais passé ce moment chaud dans lequel sont les Libyens, heureux d’être libres de la dictature de Kadhafi, un autre viendra où ils se feront à la réalité que leur pays et leur destin ont été les jouets d’hommes et de puissances ne valant pas plus cher que Kadhafi et le clan sur lequel il s’appuyait.
Le Quotidien d’Oran, 23/10/2011
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