L’avenir immédiat de l’après Kadhafi ouvre la porte à une course minée de dangers dans la lutte pour le pouvoir en Libye où le contrôle de décision échappe même au Conseil national de transition (CNT), selon la presse et les experts américains spécialisés dans les questions de géopolitique internationale. « La balle qui a tué Kadhafi pourrait, également, être le tir de départ d’une course potentiellement périlleuse pour le pouvoir en Libye », écrit la revue Time. Si « la fin ignominieuse du colonel Mouammar El Gueddafi marquerait une étape de la libération qui va au-delà des rêves les plus fous des Libyens, elle représente aussi un casse-tête énorme pour les dirigeants fragiles du CNT », relève-t-elle.
Depuis la chute de Tripoli, « le CNT lutte pour tenter de gérer un environnement politique houleux avec un leadership de plus en plus contesté par de nombreux membres des forces de combat organisées sur la base des affinités régionale, tribale ou islamiste, qui voient le Conseil comme trop dominé par d’anciens responsables de l’ère d’Kadhafi et qui tire son autorité de ses relations avec l’Occident plutôt que du soutien des Libyens », ajoute Time. En réponse aux défis de sa légitimité au sein de rangs des rebelles, le Conseil avait réitéré, il y a trois semaines, de ne pas prendre part aux élections qu’il a promis d’organiser dans les 8 mois après la proclamation de la victoire.
Cependant, la tenue d’élections démocratiques en seulement huit mois dans un pays qui n’a pas de traditions en matière de politique des partis et de l’Etat de droit et qui est déchiré par des schismes tribal, régional et politique, est certainement un « défi de taille », analyse Time. « Nous entrons dans une lutte politique sans limites », a déclaré au Time le chef du comité exécutif du CNT, M. Mahmoud Djibril, un jour avant la mort de Kadhafi. « La lutte politique nécessite des finances, de l’organisation, des armes et des idéologies. Je crains ne pas avoir tout cela », a-t-il dit.
Djibril est devenu le « paratonnerre » face aux antagonismes des combattants islamistes du Conseil militaire de Tripoli, et aux milices de la ville de Misrata.Ces groupes, note l’hebdomadaire, « croient avoir été exclus de la prise de décision par une alliance de technocrates soutenus par l’Occident et de fonctionnaires de l’ancien régime libyen, et ont promis de riposter », au point où certains d’entre eux ont ouvertement condamné Djibril et exigé sa démission. Pour des raisons similaires, note-t-il, les revendications d’une plus grande représentation des Berbères marginalisés dans les montagnes de l’ouest de Tripoli ne peuvent être ignorées.
Dans ses commentaires livrés au Time, Djibril avertit, également, que la situation pourrait non seulement se transformer d’une « lutte nationale en chaos », mais qu’elle deviendrait un « champ de bataille pour toutes les puissances étrangères qui ont leurs propres agendas en Libye ». Selon l’hebdomadaire, Djibril fait aussi une allusion claire au Qatar dont le fort soutien aux milices islamistes à travers la distribution de l’aide et des armes directement à ces derniers, en contournant l’autorité du CNT, a suscité de violentes critiques par le Conseil.
L’instabilité politique de l’après-kadhafi pourrait être exacerbée par l’intervention des puissances étrangères qui « cherchent à redorer leur participation » dans ces questions, soutient le Time. Pour sa part, le centre Stratfor prévoit que la forme que prendra la Libye est « très incertaine », et que si certains membres du CNT peuvent jouer un rôle clé dans tout gouvernement de transition, cela va se faire avec de « forts compromis sérieux entre les différentes factions ou encore, plus probablement, par la violence qui pourrait survenir dans le processus ».
Avis partagé par Richard Haass, le président du Council on foreign relations, qui considère que « la mort de kadhafi modifie mais ne transforme pas la situation en Libye ».
En effet, explique-t-il, « c’est une chose de renverser un régime, mais c’est toute autre chose d’instaurer à sa place une entité viable fondamentalement différente ». Selon lui, l’histoire suggère qu’il existe une probabilité que ceux qui se sont opposés à Kadhafi vont bientôt « se trouver en désaccord sur la meilleure façon d’organiser et de diriger le pays dont ils ont hérité ».
APS, 24/10/2011
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