SANS ATTENDRE LE QUART D’HEURE DE PUDEUR

par K. Selim

En Algérie, y compris à travers les colonnes du Quotidien d’Oran, nous avons été, avec nos sensibilités différentes, presque unanimes à suivre dans l’allégresse la chute de Ben Ali et de Moubarak. L’affaire libyenne a cassé cette unanimité. On pourrait dire jusqu’à «la fin». Les guillemets s’imposent car il n’y a jamais de fin.

Et si maintenant le Conseil de sécurité – avec pour les Occidentaux le sentiment d’avoir roulé dans la farine les Russes et les Chinois et chez ces derniers le sentiment d’avoir été des dindons – décrète la fin des opérations militaires de l’Otan, cela ne signifie pas que les choses sont finies. Ni pour les Libyens ni pour nous. Sur Facebook, les plus enthousiastes pour soutenir l’intervention militaire occidentale se sont faits soudain penauds après l’annonce par le président du CNT que la charia allait être la principale source des lois. On les sent d’ailleurs déjà moins enthousiastes pour la Tunisie après qu’elle eut «mal voté». Mais cela est un autre sujet, collatéral.

Restons sur la Libye. Le plus grand malentendu – entretenu souvent avec des mauvais réflexes de propagande – a été de présenter ceux qui ont refusé l’intervention occidentale comme étant des défenseurs du régime de Kadhafi ou de suivistes à l’égard d’un gouvernement algérien clairement dépassé par sa rigidité passive dans l’affaire libyenne. On ne va pas mettre en avant aujourd’hui les «islamistes» pour expliquer que les Occidentaux n’étaient nullement animés d’intentions humanitaires. Pas plus qu’on ne dira que Kadhafi était un dirigeant respectable. Faisons des constats simples. L’Onu se retire de l’affaire libyenne. Ses deux résolutions sur la Libye destinées à la protection des civils ont été détournées pour faire tomber le régime. Certains disent qu’on ne va pas pleurer le régime de Kadhafi. C’est vrai. On ne va pas le pleurer. A condition de ne pas arrêter la réflexion à ce niveau. Le détournement de vocation d’une résolution de l’Onu est reproductible même contre des gouvernements élus. Surtout si ces derniers tentent de remettre en cause des situations acquises. Et, on ne le dira jamais assez, Kadhafi n’a jamais été gênant pour les intérêts occidentaux. Une démocratie les gênera beaucoup plus.

La France, après avoir soutenu Ben Ali jusqu’au décollage de son avion, vient de signifier à la Tunisie, par la bouche de son ministre des Affaires étrangères, qu’elle conditionnera son aide à la question des droits de l’homme. Apparemment, Paris n’a pas attendu le quart d’heure de pudeur pour réagir à la «mal-votation» des Tunisiens. Ghannouchi, avec un don de la répartie assez grinçant, a rappelé que «dans les accords entre Ben Ali et l’Union européenne, figurait le respect des droits de l’homme ; mais l’Europe a fermé les yeux. Nous souhaitons qu’elle les garde désormais bien ouverts…». Gardons-les donc aussi ouverts après la «fin de mission» de l’Otan en Libye.

Le premier constat à faire est que le droit international et les amitiés de réseaux avec les Occidentaux ne sont pas une protection. Kadhafi, après Ben Ali et Moubarak, l’illustre pleinement.

Le second constat est que la Russie et la Chine peuvent se sentir flouées et réagir en empêchant le Conseil de sécurité de voter contre la Syrie, cela ne signifie pas qu’elles assureront indéfiniment la protection des pays «amis». Pas plus que les Occidentaux ne sont des «amis», les Russes et les Chinois savent aussi changer de bord par intérêt.

Le troisième constat, le plus important et le plus déterminant, est que les souverainetés nationales sous des régimes autoritaires ou dictatoriaux ne pèsent pas grand-chose. Pire, ces régimes, par le délire des dirigeants, par le mépris à l’égard des gens, ont créé une disponibilité nouvelle des populations à accepter de s’allier avec les intérêts étrangers. Dans la déliquescence générale des Etats sous régimes dictatoriaux, deux monopoles essentiels se perdent : celui de la violence et celui des « amitiés» avec les intérêts étrangers. De ce troisième constat découle le véritable enseignement de l’affaire libyenne : seuls des gouvernants légitimes et respectés par leur population ont la capacité de se défendre dans un monde où les rapports de force sont disproportionnés.

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