par salahelayoubi, eplume, 3/11/2011
Le 19 janvier 2007, au soir, une escouade d’agents de la Direction de la Surveillance du Territoire, la désormais sinistre DST, investit le domicile conjugal de Rida Benothmane,avec la brutalité qui sied aux méthodes de la police marocaine.
Perquisition, fouille minutieuse de l’appartement et saisie de l’ordinateur ponctuent cette visite.
Sans aucune explication, ni mandat d’arrêt, il est enlevé, sous les yeux de son épouse enceinte et conduit, manu militari, au bagne secret de Témara.
Une porte de cachot se referme, un destin bascule dans la tragédie !
Étrangement, Rida ne subit pas de sévices physiques, pendant les trois jours que dure son enfermement. Mais le détenu est entravé, les yeux bandés et fait l’objet de harcèlement psychologique et d’interrogatoires serrés, destinés à lui faire avouer un hypothétique complot dont il serait, à tout le moins, le membre, sinon l’instigateur. Les enquêteurs, qui prêchent le faux pour connaître le vrai, s’essaient à toutes sortes de méthodes et de stratagèmes, pour le faire avouer. Ainsi, ils s’arrangent pour que lui parviennent les hurlements de ceux que l’on torture, ou encore ils devisent, à haute et intelligible voix, sur les moyens de le faire disparaître, comme par exemple, celle de le jeter vivant, dans la fosse aux serpents.
Le Maroc appartient, assurément au camp des dictatures. Il en utilise les méthodes éprouvées de terreur. Arrêter quelqu’un ne suffit pas. Il faut encore instiller la terreur dans l’esprit de la famille, comme encre sur le buvard, par l’enlèvement brutal, qui remplace la convocation de police judiciaire et la disparition pure et simple, qui fait office de méthode de détention.
Pendant que l’on terrorise le fils, la mère, Rachida Baroudi, alertée, se lance, dès le lendemain à sa recherche. Elle écume les commissariats, y fait le pied de grue, dans l’espoir de voir quelque chose, quelqu’un, un indice. Elle bat le rappel des amis. Elle questionne, supplie, cherche, enquête, avant de se rabattre, par déduction, autant que par intuition maternelle, sur le centre de Témara.
De maman, à la recherche de son enfant, elle devient « Mère courage », mue par un instinct maternel irrépressible.
« Une folle ! » lui lancera le policier à qui elle demande son chemin.
Elle finit par découvrir le centre, au milieu de nulle part et des mauvaises herbes, sur une route impossible, qui se transforme vite en chemin de croix, lorsqu’une dizaine de policiers l’interpellent, l’encerclent, l’admonestent, la vilipendent et la bousculent :
« Tu n’as pas le droit d’être ici, rebrousse chemin ! Rentre chez toi » Hurlent-ils
Elle s’accroche, résiste, s’entête.
Tout son être n’est qu’un désir :
« Je veux juste avoir des nouvelles de mon fils ! Est-il vivant ? Est-il mort ? Qu’a-t-il fait pour être arrêté ? »
Elle raconte encore, aujourd’hui :
« De savoir mon fils, enchaîné là- dedans, me rendait folle de rage ! »
Les policiers nient la présence d’un quelconque détenu, dans ces lieux, qui ne sont rien d’autre que des bureaux administratifs. Ils argumentent que seule la police judiciaire est habilitée à arrêter et interroger les citoyens.
La mère n’en démord pas, elle détaille ses pérégrinations dans tous les commissariats et cite, à l’appui, les articles des journaux qui évoquent ce lieu de détention.
Les policiers nient farouchement, avant que l’un d’entre eux, apitoyé, sans doute, ne finisse par lui glisser la promesse d’un téléphone de son fils, et reconnaisse enfin, qu’il est accusé d’appartenance au groupe jihadiste « Ansar Al Mahdi».
Obstination payante. Deux jours plus tard, on l’informe au téléphone que son fils se trouve au commissariat du Maarif, de sinistre mémoire. Un transfert, sans doute destiné à donner le change et nier une quelconque détention à Témara.
Il faudra attendre dix sept jours, avant que la famille ne puisse, enfin, visiter le détenu à la prison de Salé.
Instruction, jugement et condamnation selon l’article 218 de la loi anti-terroriste, qui punit tout individu ayant fait l’apologie d’acte terroriste, dans un lieu public ou dans les médias.
En réalité, la justice n’a rien à reprocher à Rida Benothmane, sinon d’avoir diffusé les images du centre de détention de Témara, publiées quelques semaines auparavant sur le magazine Tel quel, d’avoir critiqué la politique antiterroriste du Maroc, sur des sites militants et d’avoir participé, au grand jour, à des manifestations contre le gouvernement américain.
Rien de répréhensible, mais plutôt l’accomplissement du devoir citoyen de dénonciation des dénis de justice !
Mais nous sommes au Maroc, le pays de toutes les exceptions. La justice va le prouver en condamnant une première fois Rida à deux ans d’emprisonnement, avant de lui en infliger le double, pour avoir osé interjeter appel et surtout pour faire un exemple.
Rida accomplira la totalité de sa peine, en en subissant, au passage, une seconde, à voir sa famille réduite aux interminables files d’attente, sous le soleil et les intempéries, à l’heure des visites. Il devra également, s’accommoder de savoir ses proches humiliés ou insultés, les paniers de provisions fouillés par des surveillants inquisiteurs, au verbe fleuri et dont la grossièreté, n’a d’égale que la brutalité et l’ignorance.
Avanie suprême, sa mère subvient au besoin de sa petite famille
La sortie de prison équivaut à une troisième peine pour Rida qui n’en finit plus d’expier.
Il se présente à son employeur pour reprendre son travail. On lui signifie sa radiation des cadres de l’administration pour…abandon de poste ! Détail insupportable, le signataire de sa radiation n’est autre Abdelkader Alami, Président de la Ligue Marocaine pour la Défense des Droits de l’Homme (LMDDH). Toujours cette satanée exception marocaine qui pourrait en remontrer à Franz Kafka.
Pendant que Rida, libre, entame un long et inégal combat, pour faire reconnaître l’injustice dont il a eu à pâtir, une autre tragédie se noue, dans la terrible prison de Toulal, près de Meknès, où les prisonniers salafistes affrontent d’effroyables conditions d’incarcération, qui nous rappellent les récits abominables faits du bagne de Tazmamart, par ses survivants.
Ils subissent ainsi, les morsures du froid, l’hiver et la torture de l’étouffement, l’été, enfermés vingt quatre heures sur vingt quatre, sans possibilité de promenade, dans des cellules individuelles. Privés de savon, d’eau chaude, de soins médicaux, ils n’ont droit qu’à un seul repas, pendant le mois du ramadan, servi à 16.00, alors que le maghrib est à 19.30.
La plupart des détenus sont originaires de villes lointaines, Tanger, Casablanca, Marrakech. Les familles qui accomplissent ce long voyage, n’ont droit qu’à une visite éclair de quinze minutes. Le temps pour eux de saluer, à distance, le détenu, placé derrière les barreaux, d’échanger quelques banalités, sous la surveillance des gardiens, de remettre un panier de provisions, soumis à une fouille méticuleuse impitoyable qui, souvent, souille la nourriture, avant de devoir repartir.
On imagine aisément ce qu’endurent les prisonniers les plus pauvres, privés de ces visites, et du minimum vital.
Comme si tout cela ne suffisait pas, le mardi 2 août 2011, premier jour du Ramadan, du fond de leur cellule, les islamistes demandent à leur co-détenu, Abdallah El Manfaa, de leur faire la lecture du coran, pour fêter cette première journée de jeûne.
La récitation à peine entamée, le Directeur de la prison ordonne l’extraction de ce dernier de sa cellule, le fait mettre à nu et ordonne aux gardiens de le battre à coup de gourdins, jusqu’à la perte de connaissance.
Les autres prisonniers protestent contre le traitement barbare, infligé à leur compagnon d’enfermement. Ils hurlent leur indignation, martèlent la porte de leur cellule, à coup de pieds et de poings.
Le directeur fait extraire trois autres détenus, Adil El Ferdaoui, Youssef Al Khoudry et Abdessalam El Massini. Il leur fait subir le même sort que le premier, avant d’ordonner à ses sbires de traîner les quatre détenus au mitard pour les violer avec les bâtons qui ont servi à les battre.
Tant de barbarie ne peut qu’interpeller les consciences, même celles rompues à côtoyer la souffrance.
Dans un pays où l’Islam est religion d’Etat, comment imaginer que l’on puisse infliger de telles ignominies, à son semblable, privé de liberté.
Pendant que Mohamed VI, se déguise en commandeur des croyants, et singe la posture hypocrite de la contrition qui sied à l’exercice, des hommes et des femmes sont torturés dans ses geôles.
Quelles que soient les raisons qui leur ont valu l’enfermement, un État qui se respecte, doit à ses prisonniers, tous ses prisonniers, un minimum d’égard, de respect et de dignité.
C’est aussi cela, bâtir un État de droit !
Be the first to comment