Le Maroc est-il sorti de la zone de turbulence ?

par Kharroubi Habib 
 
Les islamistes ont raflé la mise au Maroc, pays que l’on s’est escrimé, en Occident et en France en particulier, à présenter comme immunisé contre la vague verte que le «printemps arabe» fait déferler. La réalité ayant démenti ce diagnostic, ceux qui le défendaient s’évertuent à atténuer l’amertume que leur procure l’évidence en assénant à qui les croit encore que la victoire des islamistes dans le Royaume ne peut avoir les mêmes conséquences que celles que les démocrates et autres libéraux craignent qu’elles se produisent là où le pouvoir échoit aux islamistes. Le Maroc est, nous ressasse-t-on, à l’abri de cette éventualité parce que le Roi reste maître du jeu et que les islamistes marocains ne sont pas à confondre avec leur homologues des autres états du Maghreb et du monde arabe.

Dans cet argumentaire par lequel ils persistent à faire valoir que le Maroc est «l’exception» dans le monde arabe, il est maintenant avancé que le Parti de la justice et du développement, grand vainqueur du scrutin législatif, n’est pas islamiste au sens inquiétant de cette étiquette, mais une formation modérée et sans ambition d’imposer au pays un projet de société de cette nature. D’aucuns poussent le bouchon jusqu’à voir dans son chef, et désormais Premier ministre du Royaume, un partisan sincère de la monarchie et d’une fidélité solide envers le Trône et son occupant.

Il nous est ainsi suggéré que l’arrivée des islamistes au pouvoir dans le Royaume fait partie d’un calcul royal que la révision constitutionnelle opérée par Mohammed VI aurait rendu possible et sans péril pour le système monarchique et le Trône.

Le bon sens populaire prévient pourtant que «celui qui calcule seul a toujours un surplus». Il en est ainsi du calcul de Mohammed VI et de ceux qui l’ont conseillé à cet effet. Sauf qu’il arrivera un moment inexorablement où le Palais royal se rendra compte que la victoire des islamistes leur donnera plus d’appétit de pouvoir, qui les poussera à vouloir lui arracher toujours plus de cette autorité qu’il pense avoir rendu inattaquable par les nouvelles dispositions constitutionnelles. Comme ailleurs au Maghreb et dans le monde arabe, les islamistes du Royaume se font consensuels, laissent de côté les fondamentaux sur lesquels leur courant politique est bâti. Ils ne se résoudront pourtant jamais à les abandonner et reviendront dès qu’ils estimeront réunies les conditions pour le faire.

Réunis, le score réalisé par le Parti de la justice et du développement et le taux d’abstention au scrutin font qu’il est surréaliste de donner à croire que le résultat des élections législatives est un succès pour la monarchie, qui aurait par eux démontré qu’elle a mis le Maroc à l’abri des secousses dont le «printemps arabe» a été la cause ailleurs au Maghreb et dans le monde arabe. Sous les apparences du changement, le Maroc est maintenu dans le statu quo politique qui fait que le Roi règne mais gouverne également. Ce que les islamistes arrivés au pouvoir ne veulent pas, même s’ils s’en accommodent pour le court terme, et contre quoi le Mouvement du 20 Février est déterminé à poursuivre son combat.

Il arrivera fatalement au Maroc que soit posée la question du Trône et du pouvoir et elle le sera de façon autrement plus radicale qu’elle ne l’a été avant que Mohammed VI promulgue la nouvelle constitution. 

 
Le Quotidien d’Oran, 1/12/2011

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