“Rien ne justifie l’occupation du Sahara occidental par le Maroc” (Paulette Pierson-Mathy)

Revenant en détail sur le conflit du Sahara occidental, la juriste belge estime que les “droits historiques” revendiqués par le Maroc sur ce territoire, même s’il y avait bien eu, dans l’histoire, des alliances entre les tribus voisines du Sahara occidental proches du Maroc, n’octroyaient aucun droit de souveraineté et aucun droit territorial.

Liberté : Madame Paulette Pierson- Mathy, vous avez été de toutes les luttes, ici en Belgique, contre l’apartheid, pour la solidarité avec la lutte du peuple algérien, pour la libération de l’Angola et du Mozambique contre le colonialisme portugais…Vous étiez aussi aux côtés des démocrates marocains et vous voilà encore, à un âge avancé, solidaire de la lutte du peuple sahraoui…

Paulette Pierson-Mathy : Oui mais depuis longtemps… Nous avons été, avec Pierre Galand du Comité de lutte contre le colonialisme et l’apartheid, les initiateurs du premier Comité de solidarité avec le peuple sahraoui en 1976. C’était à la fois basé sur une connaissance juridique du dossier en ce qui me concerne, et, pour nous, c’était un peuple issu d’un régime colonial qui avait mené une lutte pour s’émanciper de ce régime colonial et qui avait droit à l’indépendance comme tous les autres peuples d’Afrique qui venaient d’accéder à l’indépendance. Donc, il allait de soi dans la mesure de nos moyens et de nos capacités, qu’il fallait être aux côtés des camarades sahraouis.

Il faut dire qu’à cette époque-là, vous étiez professeure à l’Université libre de Bruxelles…

Oui et c’est pour cela que, sur le plan juridique, le dossier était pour nous d’une clarté considérable. Il n’y avait pas à hésiter. La cause était juste et les moyens pratiqués par le peuple sahraoui -y compris la lutte armée- face à l’invasion marocaine et à la complicité de l’Espagne étaient tout-à-fait légitimes au regard du droit international puisque les peuples d’Afrique australe avaient mené des luttes armées de libération, n’ayant pas le choix, face à un occupant qui utilisait les armes et la répression policière pour empêcher la réalisation de l’aspiration à l’indépendance. Il y a tout un travail qui a été fait au niveau de l’Assemblée générale des Nations unies à partir de la déclaration 1514/15 de l’Assemblée générale du 14 décembre 1960 dont on vient de célébrer le cinquantième anniversaire il y a quelque temps à Alger. Cette déclaration affirmait le droit à l’indépendance des peuples et territoires coloniaux et la légalité du recours à la force pour permettre l’expression pacifique et l’exercice de ce droit. C’est sur cette base que l’Assemblée générale a affirmé à partir de 1965 la légitimité des luttes de libération y compris par les moyens légitimes –respectant le droit humanitaire- et la force armée pour se libérer d’une domination étrangère.

Quarante ans après, vous voyez dans quelle situation se trouve le peuple sahraoui ; et le problème n’est toujours pas résolu…
Le problème n’est pas résolu, et on le sait, parce que le Maroc est un allié de certains États, et est considéré comme une pièce stratégique pour les pays que l’on qualifiait précédemment d’Occidentaux, surtout pour les États membres de l’Otan, qui forment souvent la puissance de l’Union européenne. Et parmi ceux-là certains auraient des positions conformes au droit international mais il y a notamment un pays, il faut le dire, la France, avant tout, qui soutient le régime marocain, et l’Espagne, malheureusement, ancienne puissance administrante, qui a illégalement cédé le territoire au Maroc alors qu’elle n’avait aucun droit de disposer de ce territoire, ce qui a été réaffirmé notamment par la Cour internationale de justice. Le Maroc revendiquait des “droits historiques” sur ce territoire mais s’il y avait bien eu, dans l’histoire, des alliances entre les tribus voisines du Sahara occidental proches du Maroc, ces alliances n’octroyaient aucun droit de souveraineté et aucun droit territorial sur l’espace revendiqué par le nationalisme moderne exprimé à l’époque par le Front Polisario ! L’Espagne a surtout des intérêts économiques ; et subsistent encore les problèmes de Ceuta ou Melilla, qui sont toujours territoires espagnols alors qu’ils sont insérés dans le contexte marocain.

La légitimité n’est pas du côté de l’Espagne mais du côté du peuple sahraoui qui continue à lutter malgré des difficultés considérables. Mais le peuple sahraoui bénéficie du soutien d’un certain nombre de pays qui va croissant -et qui se comptent maintenant à près d’une centaine-, certains ayant même reconnu la République arabe sahraouie indépendante, notamment l’Algérie, qui, dès le début, a soutenu la lutte au Sahara occidental. La Mauritanie qui, au début, avait la même revendication que le Maroc, est venue à raison et est également solidaire du Sahara occidental.
En dehors de cela, il faut noter que même parmi les pays qui soutiennent le Maroc envers et contre tout, il existe des courants d’opinion de plus en plus organisés et de plus en plus forts qui ne peuvent accepter la répression et le pillage des ressources du territoire au profit d’intérêts marocains et étrangers, y compris de l’Union européenne, comme c’est le cas de l’accord de pêche. Dès lors, ils s’indignent et sont de plus en plus organisés pour manifester leur opposition à la politique de leurs propres gouvernements. La Belgique n’est pas le pays qui a la plus mauvaise position, mais la Belgique manque d’audace alors qu’elle se revendique du respect du droit international et des droits de l’homme. Elle est prête peut-être à faire un geste sur le plan humanitaire mais, jusqu’à présent, elle ne dépasse guère ce stade…
Nous estimons qu’il est plus que temps que la Belgique fasse coïncider sa relation avec le Maroc et sa relation avec le peuple sahraoui avec les principes qu’elle affirme et qui sont ceux aussi de l’Union européenne. Nous espérons donc un changement politique avec la présence d’une délégation venue des territoires occupés, composée de personnalités qui, pour la plupart, ont connu les geôles et, parfois, la torture dans les prisons marocaines. Des gens qui ont le courage de venir jusqu’ici pour témoigner des difficultés considérables de la situation au point de vue économique et social mais aussi pour faire part des menaces qui pèsent de manière permanente sur les patriotes sahraouis qui revendiquent pacifiquement leur droit à l’indépendance.

Précisément dans le domaine des droits de l’homme, on a déjà connu à Bruxelles la présence de délégations sahraouies antérieures … Percevez-vous des changements dans l’attitude des Européens à la suite de ces visites ?
Je vous répondrai plus facilement à cette question dans deux ou trois jours puisque nous allons avoir des contacts demain et après-demain avec des représentants de différents secteurs du Parlement européen et de la Commission.
Nous avons quatre délégués venus du Sahara, qui sont des personnalités de grande dimension, et nous les accompagnons soit comme expert juridique soit à d’autres titres. Ce sont des personnes engagées depuis de nombreuses années dans la solidarité et qui connaissent à la fois le point de vue des institutions européennes et du gouvernement belge. Il faut aussi remarquer, qu’au niveau du Parlement européen, on constate un mouvement de plus en plus profond en direction de la reconnaissance et d’un changement d’attitude. Même au sein de l’Union européenne, au niveau des différentes commissions qui ont compétence concernant l’accord de pêche, on a vu l’une d’entre elles prendre position contre la prolongation de l’accord de pêche. Il y a donc une évolution…

Tout récemment, le député Panzieri, qui préside une commission de parlementaires européens, s’est même rendu dans les camps de réfugiés sahraouis…

Cette évolution se constate aussi au sein des gouvernements nordiques par exemple. Ce sont des avancées que nous ne connaissions pas il y a quatre ou cinq ans. Le drame des institutions comme celles de l’Union européenne, c’est leur lenteur car ces institutions sont “pesantes”. Elles ne se réunissent sur des sujets comme l’accord de pêche qu’une ou deux fois par an et donc, pour ceux qui sont sous régime d’occupation ou dans les camps de réfugiés, cette attente est intolérable… Il suffirait qu’un événement se passe à nouveau dans les territoires pour que le processus s’accélère. Tout est une question de rapport de forces. D’autres causes dans le monde sont souvent mieux médiatisées et il n’est pas facile d’attirer l’attention sur la situation dans laquelle se trouve le peuple sahraoui mais nous avons confiance, et le fait que l’ensemble de l’Afrique du Nord bouge, avec les Printemps arabes, ceci encourage sans doute le peuple sahraoui à résister. Oui, nous avons confiance. Nous avons toujours vu aboutir des luttes organisées où les peuples persistent à lutter car leur dignité finit par percer et par toucher un nombre croissant de gens. Il est vrai aussi qu’il s’agit d’un peuple peu nombreux. Nous sommes toutefois assez déçus par l’attitude des Nations unies.
À l’époque de la solidarité avec l’Afrique australe, les anciennes colonies portugaises, l’Afrique du Sud, la Namibie etc, il y avait un autre rapport de forces aux Nations unies, et ce rapport de forces permettait notamment au mouvement des Non-Alignés de faire prévaloir une ligne politique qui allait franchement dans le sens des intérêts des peuples concernés. Aujourd’hui il n’y a plus qu’un seul camp comme force dominante et on voit où cela a conduit du point de vue des excès de la finance et du grand capital international. Sur le plan de la solidarité internationale, les choses ne sont pas plus faciles.

Vous avez évoqué le Printemps arabe au cours de cet entretien. Pensez-vous qu’avec l’émergence de cette situation nouvelle, on observera un changement de la situation et qu’au Maroc, par exemple, où des élections viennent de se dérouler, on pourrait assister à des glissements politiques sur la question du Sahara occidental ?

Je ne suis pas une spécialiste du monde arabe. Je connais la question palestinienne et celle des Sahraouis mais je n’ai pas une connaissance approfondie des diverses sociétés. On a un espoir mais les populations en question ont aussi d’autres priorités. Elles doivent préalablement se préoccuper de leurs problèmes.
On connaît depuis peu les résultats au Maroc et je reste prudente. Des gens crédibles considèrent néanmoins qu’au Maroc il y a un mouvement opposé aux élections. Et même si la participation est un peu plus élevée que précédemment cela reste quand même en dessous de 50% de la population. La situation est donc loin d’être stabilisée….
A. M.

Liberté, 1/12/2011

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