par M. Saadoune
Moncef Marzouki, le Président tunisien, n‘a pas que le «défaut» de ne pas porter de cravate. Il a aussi le grand défaut d’avoir des idées, les siennes, qui ne correspondent pas à ce que le «centre» parisien se fait d’un homme de gauche et d’un démocrate. Le bon politicien doit nécessairement haïr les islamistes et souhaiter leur bannissement politique et civique ! Mais plus grave, Moncef Marzouki a le défaut majeur d’exprimer les idées qui sont les siennes quand on le sollicite. Il avait déjà énervé quand il a déclaré que les «Français sont souvent ceux qui comprennent le moins le monde arabe».
On n’a pas aimé non plus quand il s’est moqué des grands «penseurs» qui considèrent toujours que la démocratie et les Arabes, cela fait deux. Mais quand le site Médiapart, décidément bien à part, l’a sollicité pour qu’il adresse ses vœux aux Français, les oreilles des politiciens français, si prompts à donner des leçons et à décider ce qui est «bon» pour les autres, commencent à chauffer. C’est que Moncef Marzouki, dans ses vœux aux Français, montre qu’il sait parfaitement comment fonctionne le landerneau politique hexagonal. Il avait donc invité les «politiciens français» à ne pas trop jouer sur la «carte de l’islamophobie» en cette année électorale en France, où l’on sait que tous les coups sont permis. «Je souhaite aux Français que cette année ne soit pas trop dure (…), que les élections se passent bien et que certains politiciens n’utilisent pas trop la carte de l’islamophobie».
Que l’on partage ou non les idées de Moncef Marzouki, ces souhaits partent d’un constat évident pour ceux qui observent une scène politique française où la droite est en surenchère avec l’extrême droite sur les thèmes classiques de l’islamophobie et de la xénophobie. Il y a eu une réponse plutôt langue de bois du porte-parole du ministère des Affaires étrangères français, affirmant que son gouvernement agissait «sans relâche» pour prévenir et «réprimer toutes les manifestations d’hostilité à l’égard de toutes les religions et de toutes les croyances».
Mais, apparemment, cela n’a pas suffi pour une classe politique française trop habituée à émettre des jugements sur les autres et peu encline à accepter la réciprocité. Et quand M. Marzouki parle de «colonialisme», ils ont de l’urticaire. A l’image du député de Paris, Bernard Debré, qui tance le Président tunisien et l’invite à surveiller ses paroles ! Il y a tant de condescendance dans le propos que cela pourrait servir de modèle du prêt-à-penser de la droite française sur la Tunisie et les autres pays.
Quand on connaît le flot de jugements péremptoires qui sont émis de Paris sur la Tunisie, sur ce que doit être son devenir et ce qu’il «faut» qu’elle soit, cette sommation de se taire est incroyable. Même les droits de l’homme, qui étaient, de l’avis officiel français, bien préservés sous le régime de Ben Ali, sont devenus un souci pour Paris. Pourquoi donc ne supportent-ils pas quelques observations que beaucoup de Français font sur les dérives des guerres politiques en France ?
Il faudra peut-être ajouter cette volonté – qui ne sera pas forcément couronnée de succès – de Marzouki d’essayer de créer quelque chose de nouveau entre son pays et la Libye. Histoire d’essayer de sortir d’un néoprotectorat qui cherche à s’incruster ici et à s’installer là-bas.
Le Quotidien d’Oran, 5/1/2012
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