Karim Tazi |
Makhzen une énième définition
Les définitions historiques et générales données par les uns et les autres ayant été très complètes , je vais donc tenter comme promis de donner non ma définition car ce serait trop prétentieux, mais ma perception de ce qu’est le Makhzen, et avant d’aller plus loin je voudrais livrer une anecdote qui m’est arrivée il n’y a pas si longtemps puisque c’était au mois de mars 2011. Une journaliste qui avait assisté à la marche du 22 mars 211 m’avait fait remarquer que les ouvriers étaient aussi absents que les patrons des marches du M20 et m’avait demandé les raisons de cela. Ne sachant pas quoi lui répondre j’ai posé la question le lendemain à certains de mes propres ouvriers. L’un d’entre eux , et en référence aux fameux slogan “oua lmakhzen yatla3 barra” , m’a envoyé à la figure la réponse suivante: “mais qu’est ce que vous voulez au juste , renverser l’état ? Vous voulez l’anarchie dans le pays? (“bghitiou lfaouda taou9a3 flblad?”).
Pour la plupart des marocains donc, lmakhzen c’est l’état, et beaucoup ont compris les slogans du M20 comme des slogans appelant à la révolution. Vu ce qui se passait au même moment en Lybie, en Syrie et au Yemen, c’était une perspective qui n’avait rien de séduisant, bien au contraire.
Bien sûr que les manifestants du M20 n’ont jamais eu l’intention de renverser l’état marocain dans son sens moderne. Ils sont conscients qu’un pays a besoin d’un gouvernement d’une administration, d’une armée d’une justice et d’une police, ils veulent seulement que cette chose qu’on appelle l’état soit sous le contrôle du peuple et de ses représentants. De là venait la revendication de la Monarchie Parlementaire système dans lequel le Roi est le symbole de l’unité du pays et de la continuité de l’état, ce qui ne l’empêche pas de conserver une importante autorité morale comme c’est le cas en Espagne. ll est possible qu’une erreur sémantique, additionnée à d’autres erreurs tactiques très habilement exploitées par le pouvoir, qui a coûté très cher au mouvement du 20 Février.
Mais si le Makhzen ce n’est pas l’état, qu’est ce au juste? On peut , sans risque de se tromper, dire que c’est son ancêtre qui survit encore aujourd’hui aux côté de l’état moderne, allant parfois jusqu’à l’étouffer comme un père castrateur.
Le Makhzen c’est l’état féodal c’est-à-dire un système ou la principale source de légitimité est le Sultan, appelons le “le prince” , qui à son tour transmet sa légitimité et donc une fraction de son pouvoir à ceux qu’il a choisi pour le représenter et agir en son nom, et qui lui font allégeance. De là l’importance de la “bey3a” cérémonie dans le cadre de laquelle les suzerains se prosternent devant le seigneur e lui jurent soumission et fidélité [pratique que Hassan II avait d’ailleurs abolie avant de la rétablir en catastrophe lorsque le tribunal de La Haye a décidé que le lien qui liait les tribus sahraouies au Maroc était leur allégeance au Sultan du Maroc.]
Tel le serpent qui se débarrasse de sa vieille peau pour la remplacer par une autre, l’état marocain est entrain de faire sa mue. Avec beaucoup de difficultés voire de convulsions, il passe de sa forme féodale basée sur une cascade d’allégeances allant du roi au plus petit moqaddem, à sa forme moderne où le pouvoir est légitimé par la loi et notamment la Constitution qui est elle-même censée être l’expression de la volonté du peuple.
Le Maroc est donc un pays dont l’état souffre d’un syndrome aigu de dédoublement de la personnalité. Comme Dr Jekyll et Mr Hyde , il a une face présentable et moderne , celle d’un état moderne fonctionnant avec des lois et des institutions et une face archaïque et inquiétante fonctionnant selon le bon vouloir du seigneur qu’il soit local ou national.
Quand Mohammed VI nomme le secrétaire général du PJD chef du gouvernement parce que la Constitution prévoit que c’est le chef du parti arrivé en tête des élections législatives qui doit former le gouvernement, il nous présente sa face de chef d’un état moderne. Peu importe alors, qu’il soit Roi ou Président. Quand, quelques jours auparavant, il nomme en toute illégalité un simple courtisan sans la moindre légitimité, à la tête d’une institution nationale s’appelant “Fondation des Musées nationaux” , il agit selon son bon vouloir, en tant que chef du Makhzen. On peut ajouter bien d’autres exemples récents à cette liste: Dr Jekyll (état moderne) : le discours du 9 mars, les élections du 25 novembre, Mr Hyde (état makhzen) : le G8, le recours aux baltajis, l’intervention des boutchichis, les chiffres du référendum.
En mode Makhzen il n’ y a aucune limite à ce bon vouloir du Prince. Plus l’égo de ce dernier est fort , moins il tolérera d’obstacle à son expression. Parmi ces obstacles on peut citer les institutions, les lois, et les contre pouvoirs que ce soit l’opposition parlementaire, la presse ou la société civile.
Les régressions qu’a connu le Maroc en terme de liberté de presse, d’indépendance du patronat, de marginalisation du gouvernement et du parlement ne sont que des manifestations de la puissance de l’égo du Prince.
Mais il serait injuste et intellectuellement malhonnête de dire que le mode makhzenien de gestion de l’état n’est que celui qui épouse le mieux la psychologie du Prince , car il reflète tout autant celle d’une grande partie de la population.
En réalité ce qu’on appelle le Makhzen est une fabrication de la société marocaine et il reflète très fidèlement son mode de fonctionnement patriarcale. Le Roi est considéré comme le père de tous les marocains. On lui obéit comme on obéit un père, on lui embrasse la main comme on embrasse la main à un père. C’est d’ailleurs là la raison de la fracture qui existe au sein de la société marocaine vis-à-vis de la pratique du baise-main que les conservateurs et les traditionnalistes la trouvent tout à fait normale et que les modernistes trouvent rétrograde et humiliante.
Soit par erreur, soit par mauvaise foi, une partie des forces dites démocratiques marocaines véhiculent l’idée d’un peuple marocain victime d’une force “extra-terrestres” appelée Makhzen, une sorte de tumeur bien circonscrite dont il suffirait de faire l’ablation pour guérir le Maroc des cancers de l’absolutisme et de la corruption.
Rien n’est plus faux que cette vision réductrice. Le Makhze est d’abord et avant tout une maladie du subconscient collectif d’une grande partie de nos concitoyens, et les fores démocratiques seraient bien avisées de comprendre que leur principale mission est la rééducation du peuple, d’où l’insuffisance des mouvements purement protestataires et la nécessité de l’action de long terme de la société civile et des partis politiques.
Pouquoi le mot makhzen est il , en ces mois de Printemps arabe, devenu une obsession du camp démocate? Parce que depuis 2003 le pays a connu une dangereuse dérive dans l’exercice du pouvoir qui est devenu excessivement personnel. L’apogée de cette dérive a été la montée en puissance de l’ami du roi et de son parti le PAM. Parce qu’il était l’ami du roi FAH a pu faire et défaire des carrières au sein de l’administration, donner des ordres aux ministres et même faire sauter ceux qui ne lui plaisaient plus. Mieux , l’ami de l’ami du roi , ilyass el omari a lui-même commencé à avoir les mêmes pouvoirs que son ami.
Enfin, il est impossible de conclure sans ajouter que le Makhzen se composent aussi et surtout de dizaines de milliers de personnes toutes extérieures à l’appareil d’état: les notables de province qui forment le gros des troupes des partis du G8 mais aussi de l’Istiqlal, de l’USFP et du PPS. Last but not least , on compte parmi les dignitaires du régime donc du Makhzen des “oligarques” et autres hommes d’affaires qui doivent leurs fortunes aux privilèges , derogations et autres protections attribuées par l’état. C’est ce qu’on appelle l’économie de rentes et elle a connu un tele développement depuis 2005, qu’elle a aussi contribué à exacerber la colère d’un grand nombre de citoyens qui la désignent sous le concept de “makhzen économique”.
Karim Tazi
Droit de Regard, 16/1/2012
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