Le Roi Mohammed VI a effectué une série de nominations au sein de son cabinet durant les dernières semaines, des hommes disposés à défier le pouvoir du nouveau gouvernement et constituant, d’après les observateurs, une menace pour le progrès démocratique déclenché par le printemps arabe.
Le Parti islamiste de la Justice et du Développement (PJD) a formé le 3 janvier, après avoir remporté les élections en novembre, le nouveau gouvernement du Maroc, qui promet un changement du statu quo. Mais les analystes et les militants disent que c’est le nouveau « cabinet de l’ombre » du roi, qui inclut certains ministres sortants, qui va réellement gouverner le Maroc et empêcher toute véritable réforme dans ce royaume d’Afrique du Nord, peuplé de 32 millions d’habitants.
Comme de nombreux pays de la région, le Maroc a été secoué l’année dernière par des manifestations en faveur de la démocratie, que le roi a apaisé par une réforme de la Constitution et par la tenue d’élections anticipées en novembre.
Le Maroc, pays apprécié par les Européens pour ses villes exotiques et ses plages ensoleillées, se présente comme le pays qui a su esquiver les troubles qui se sont produits ailleurs dans la région, en gérant avec soin les réformes démocratiques.
Cette impression a été renforcée lorsque le parti d’opposition islamiste, connu par son acronyme français du PJD, a remporté les élections et obtenu droit de former un nouveau gouvernement. Maintenant des doutes s’installent quant à savoir si le nouveau gouvernement sera en mesure de changer quelque chose dans le pouvoir des conseillers du roi, pouvoir qui n’a jamais été défini dans aucune des constitutions qu’a connu le pays.
Le palais a annoncé publiquement la nomination de nouveaux conseillers, dans ce que certains n’ont pas hésité à considérer comme une menace intentionnelle envers le nouveau gouvernement.
« Dans l’ensemble de ses grandes décisions, ce gouvernement (élu) ne sera pas en mesure de prendre des initiatives parce qu’il ne sera pas l’unique décideur », a déclaré Nabila Mounib, un haut responsable d’un parti de gauche, le Parti Socialiste Unifié (PSU).
La plus remarquée parmi ces nominations royales a été celle de Fouad el-Himma, un ancien camarade de classe du roi, qui avait fondé le Parti Authenticité et Modernité (PAM) en 2009 pour, précisément, garder les islamistes en dehors du pouvoir. Le Parti d’El-Himma a réalisé un faible score aux élections, mais quelques semaines plus tard, l’homme a été nommé conseiller du roi.
Le ministre sortant des Affaires étrangères, Taieb Fassi-Fihri, un excellent technocrate, a également rejoint le cabinet royal, qui comprend des experts en économie, en affaires sociales, en diplomatie, en commerce extérieur et en droit constitutionnel.
« Le cabinet royal, avec son renforcement accéléré et marquant de conseillers de grand calibre, commence sérieusement à ressembler à un deuxième gouvernement », a déclaré Karim Boukhari, rédacteur en chef du magazine hebdomadaire TelQuel, dans un éditorial nerveux, accusant le palais de revenir sur ses promesses de réformes. « La monarchie gouverne sans partage, soit directement, soit à travers les hommes qu’elle a choisi, et la volonté populaire, incarnée par les partis politiques victorieux, est toujours délaissée ».
Les rois du Maroc ont toujours détenu le vrai pouvoir dans le pays, mais avec la réforme constitutionnelle de l’année dernière, le nouveau premier ministre devrait avoir plus d’influence que dans le passé.
Le roi a toujours eu un cabinet de conseillers, et le précédent souverain, Hassan II, avait utilisé une formule restée fameuse pour les décrire comme de proches confidents, en disant : « Je peux les recevoir confortablement dans ma chambre, pendant que je suis encore au lit ».
Cependant ,sous le règne de son fils , le cabinet a grandi en taille et en expertise, employant quelques hautes personnalités dans leurs domaines de spécialité pour superviser un ensemble d’institutions et d’organes qui ne sont pas responsables devant le gouvernement élu.
Son influence se fait souvent sentir dans les coulisses mais il est parfois direct. Ainsi, en 2007, le Premier ministre avait publié un décret plaçant un ensemble d’organismes indépendants de développement du Logement, fonctionnant avec de l’argent public, sous l’autorité d’un seul ministère, et le cabinet du roi est intervenu pour reprendre la main sur ces organismes.
« Le cabinet royal est devenu beaucoup plus puissant dans l’élaboration des politiques », a expliqué Anouar Boukhars dans son livre de 2011, « La politique au Maroc », dans lequel il décrit la prolifération des responsabilités et du budget de la cour royale.
Le regain en puissance du cabinet royal, est expliqué en partie par Fouad Abdelmoumni, économiste et fondateur d’une association de droits de l’homme, qui explique que Mohammed VI ne se prononce pas aussi clairement que son père le faisait. Alors qu’Hassan II a publiquement pris lui-même de nombreuses décisions, son fils n’a pas osé le faire aussi ouvertement.
« Il ne veut pas vider l’arène politique de son influence et de sa présence mais, en même temps, il ne veut pas non plus s’engager personnellement », a déclaré Abdelmoumni.
Beaucoup de ces conseillers, comme le puissant el-Himma, ont été critiqués personnellement par les manifestants lors des manifestations pro-démocratie, qi les accusaient d’être responsables des inégalités dans le pays.
Tous les regards seront désormais dirigés vers Abdelilah Benkirane, le nouveau Premier ministre, et analyseront sa réaction face à la montée en puissance des hommes du roi.
Après avoir dit tout d’abord qu’il ne traiterait pas avec les conseillers royaux, mais uniquement avec le roi en personne, Benkirane s’est par la suite docilement soumis aux négociations avec son rival El Himma au sujet de la formation du nouveau gouvernement.
« En tant que conseiller du roi, nous n’avons aucune raison de critiquer el-Himma », a déclaré le chef du gouvernement après la nomination de ce dernier.
Cependant, Abdelmoumni prévoit que le nouveau gouvernement ne sera pas aussi soumis à la couronne que ses prédécesseurs, en raison des pressions de la rue et du mouvement pro-démocratie qui reste actif au Maroc.
« Le fait que les gens ont de moins en moins peur et croient de plus en plus dans leur capacité d’imposer leur volonté à l’Etat mettra davantage de pression sur les acteurs politiques », a-t-il dit.
The Washington Times
Panoramaroc, 19/1/2012
Be the first to comment