Je lui ai serré la main et, comme d’habitude, il a chaleureusement serré la mienne. C’était dimanche dernier, au seuil de la porte d’entrée du journal. Ses emplettes à la main, il a esquissé un léger sourire et s’apprêtait à rejoindre son bureau pour «pondre» son édito qu’il chérissait par-dessus tout. «Ouachrak Moh», lui-ai-je demandé sur un ton respectueux «Labass Zoubir», me répondit-il, alors que son état de santé déclinait depuis son hospitalisation, il y a quelques mois. Mohamed Zaâf s’est éteint hier.
Autrement dit, quarante-huit heures après cette brève rencontre. Il est parti sur la pointe des pieds, sans demander ses restes ; c’est-à-dire ses écrits qu’il a légués aux générations futures. L’homme de son vivant, forçait au respect, que ce soit à travers son comportement irréprochable ou bien à travers ses écrits minutieux, savamment raffinés. Mohamed arrivait toujours sur la pointe des pieds et repartait de la même façon, sans faire de bruit. Peu de journalistes le connaissaient, tant il était effacé. Discret, il abhorrait l’exhibitionnisme, sachant se montrer tranchant lorsqu’il se mettait devant le clavier. Ah ! ce maudit imparfait usité lorsqu’on parle des gens auxquels on vouait du respect. Oui, cet imparfait morbide qui, en un laps de temps record, se substitue au présent, quand Moh répliquait gentiment «labass Zoubir». J’ai eu les jambes sciées quand j’ai appris la nouvelle de la bouche du directeur de la publication.
Des amis journalistes m’ont appelé juste après pour m’annoncer la mauvaise nouvelle mais, au fond de moi, soliloquant, je me suis dit qu’il a vécu debout et qu’il est mort ainsi. Homme à principes, Moh savait faire la part des choses, même aux pires moments de sa vie. Ses écrits en témoignent encore ; tout comme ses collègues, tous profondément émus par la perte d’un journaliste hors pair. Moh était presque le dernier des Mohicans. Il faisait partie de l’ancienne génération, celle dont le comportement n’a pas changé d’un iota et dont les noms viennent, jour après jour, s’ajouter à la rubrique nécrologique, comme Aziz Rahmani ou Abdou Benziane, eux aussi rappelés à Dieu, il y a quelques jours. Quoi ajouter de plus en pareille circonstance, sinon que Mohamed Zaâf avait marqué de son empreinte la profession, même si, le long de son parcours, il a toujours refusé de plier genou. Moh est parti laissant un vide que nul ne pourra jamais combler. Une énorme perte pour le journal et pour la profession.
Zoubir Khélaifia
Le Jeune Indépendant, 31/1/2012
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