Presqu’un demi siècle après sa disparition, l’icône des républicains marocains reste encore un farouche symbole de l’opposition au trône alaouite. Si les médias officiels du royaume enchanté occulteront cette commémoration, la toile, ultime espace de liberté de parole au Maroc, continue à plébisciter le fondateur de la République du Rif.
Mohamed Ben Abdelkrim El Khattabi dont l’histoire demeure encore inconnue pour une large partie de Marocains, faute de figurer dans les manuels scolaires, se bonifie de mieux en mieux en ces temps de contestation. Un communiqué de Mohamed El Battiui, président de l’Assemblée mondiale amazighe et ancien exilé politique, a été relayé sur le site d’information indépendantdemainonline. Le texte retrace le parcours de la figure amazighe et appelle le peuple de Tamazgha, ce monde amazighe rêvé, à allumer un cierge à la mémoire d’Abdelkrim El Khattabi.
Le tout nouveau site d’information Febrayer a également honoré le Zaïm. La journaliste Maria Moukrim revient également sur les épisodes les plus marquants de la vie de ce héros sans sépulture.
Si l’Histoire officielle marocaine n’accorde aucune place aux gloires ne portant pas les armoiries du trône, quelques ressources permettent une meilleure compréhension de l’épopée d’Abdelkrim et de sa république du Rif que le régime actuel veut passer sous silence.
Un documentaire de 48 minutes diffusé sur Arte revient sur des épisodes inédits du héros de la bataille d’Anoual, sa prédilection initiale pour les Espagnols et ses démarches pour la construction d’un Etat-Nation rifain.
Plus détaillé, le livre de Vincent Courcelle-Labrousse et Nicolas Marmié « La guerre du Rif. Maroc 1921-1926)« , retrace le parcours de ce natif de la tribu des Beni Ouriaghel qui rêvait d’une république à deux pas de Fès.
Bonnes feuilles
« De son côté, malgré les inimitiés et les vengeances que suscite sa complicité affichée avec les Espagnols, Abdelkrim père, resté dans le village familial d’Ajdir, continue de récolter les fruits de cette authentique collaboration. Outre sa pension mensuelle, les Espagnols le remercient de sa fidélité en le décorant de l’ordre d’Isabelle la Catholique. Dans la logique de cet engagement, Abdelkrim père et fils vont jusqu’à demander la nationalité espagnole en 1910. Une naturalisation qui n’aboutira finalement jamais mais dont on peut pensait qu’elle aurait été lourde de conséquence sur la légitimité des deux hommes à diriger, dix ans plus tard, l’épopée de la rébellion rifaine »
« Tout en résistant à l’avancée espagnole, Abdelkrim cherche à garder l’initiative. Il s’attelle même à un ambitieux chantier, auquel personne avant lui n’a jamais véritablement osé s’essayer : fédérer les tribus rifaines. Traditionnellement, le combat contre l’envahisseur a toujours été l’oeuvre d’une organisation temporaire, sous la direction d’un chef qui s’impose pour l’occasion, les tribus retournent ensuite à leur état antérieur d’autonomie. Mais Abdelkrim a de plus hautes ambitions et sa longue fréquentation de l’administration espagnole lui a fait voir que la dispersion bénéficie toujours à l’adversaire. C’est à partir du noyau du de sa tribu, Les Beni Ouriaghel, qu’il commence à imposer à ses proches voisins un embryon de structure centralisée ».
« La déroute espagnole place Abdelkrim dans une situation totalement inattendue. Il pouvait envisager de freiner, voire de bloquer l’élan de la conquête espagnole. Mais être en position d’assiéger Mellila, d’avoir repoussé et acculé les Espagnols à la mer, relève du miracle et lui impose désormais d’avoir à gérer beaucoup plus qu’une victoire. Or, Abdelkrim est loin d’être encore le chef de toute la zone espagnole. Pour l’instant, c’est plus le piège successif et spontané des tribus qui s’est refermé sur l’envahisseur chrétien que l’effet d’une force organisée par une direction unique qui a joué. Pour autant, la défaite espagnole a fait retentir le nom d’Abdelkrim dans tous les douars du Maroc et exerce immédiatement une attraction puissante vers les Beni Ouriaghel, ce « tambour autour duquel danse le rif » ».
« ce n’est pas sans un certain plaisir qu’une partie de l’Espagne voit enfin les Français aux prises avec Abdelkrim, et mieux encore, dans la difficulté. Cette attaque fait justice aux Espagnols des quolibets, du mépris qu’ils ont essuyé au gré de leurs défaites. Les Français peuvent ravaler leur condescendance. Ils découvrent enfin l’envergure de l’adversaire, sa force, sa combativité. Cette presse française qui hier encore décrivait le chef rifain comme un de ces droits communs de la dissidence, ne disposant que de moyens limités, victorieux surtout de l’impéritie espagnole, mesure maintenant qu’il est armé et puissant »
« Depuis sa montagne berbère, Abdelkrim tente de jouer du nouvel ordre international surgi de la première déflagration mondiale. La paix manquée de Versailles, la révolution bolchevique, la prise du pouvoir de Kemal Ataturk, de Mussolini, l’agitation en Syrie, en Tripolitaine, l’indépendance de l’Egypte : le bouillonnement de l’histoire n’échappe pas à l’émir du Rif qui, malgré le blocus franco-espagnol, continue de se procurer et de lire avidement les journaux internationaux dont il reçoit les correspondants. Et en fin tacticien, il a très vite compris que son bras de fer militaire contre la France peut trouver un écho international de nature à entraver ou, au moins, à encadrer la marge de manoeuvre de la République coloniale »
« Gordon Canning, après plusieurs semaines passées dans le Rif, où Abdelkrim lui a confié son espoir de voir l’Angleterre soutenir sa cause ou « tout au moins servir de médiateur », fait à Tanger un retour tonitruant. Il revient porteur d’un mémorandum du gouvernement du Rif pour négocier avec Paris « une paix durable ». Ce document, dont l’original a été partiellement inspiré et rédigé par Grodon Canning lui-même, ouvre, pour la première fois, la voie d’une renonciation à « l’indépendance » du Rif en contrepartie d’une « autonomie ». Les concours de cette autonomie sont toutefois très éloignés de ceux que Paris et Madrid entendent désormais imposer. S’il se dit disposé à reconnaître « l’autorité spirituelle » du sultan, Abdelkrim précise que cette reconnaissance n’emportera (au sultan) aucun droit à diriger par aucun moyen l’administration économique et politique du Rif ».
« Mohammed Azerkane, ministre rifain des Affaires étrangères, prend connaissance le 24 mars, dans le bureau de Gabrielli, des conditions françaises. Il accuse le coup. « Une profonde émotion se dissimulait sous un masque impassible », rapportera Gabrielli qui comprend tout de suite que la nouvelle exigence d’un « éloignement » d’Abdelkrim sera rejeté par les Rifains. En présence du général Mougin, chef du cabinet militaire de Steeg, accouru de Rabat, Azerkane accepte néanmoins pour la première fois de « discuter de la paix générale avec les deux puissances », la France et, enfin, l’Espagne. Pour le reste, et en attendant de connaitre la décision de l’émir, il précise que celui-ci pourra peut-être, un jour, « disparaitre de son plein gré ». Mais un exil immédiat est inadmissible car, en outre, fait-il valoir, seul Abdelkrim a la stature, tant pour imposer la paix, que pour continuer le combat ».
« La réponse d’Abdelkrim est rédigée le jour-même après une brève discussion avec les émissaires français : « Louange à Dieu seul! A Monsieur le colonel Corap. J’ai l’honneur de vous accuser réception de votre lettre m’accordant l’Aman. Dès à présent, je puis vous dire que je me rends à vous. Nous demandons la protection de la France pour nous et notre famille ». Le succès de l’offensive de printemps est donc total et fulgurant comme le résume le capitaine Tassin : « en dix-huit jours de campagne, en avance de près de cinq semaines sur les prévisions, notre action militaire liée à celle de nos voisins espagnols a eu raison d’Abdelkrim et de ses farouches janissaires, les Beni Ouriaghel » ».
VoxMaroc, 6/2/2012
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