Le Jeune Indépendant : Le début de l’année est pratiquement la période des bilans. Quel est celui des relations entre les deux pays ?
G. Busquets : C’est effectivement un bon moment pour faire ce bilan, particulièrement cette année 2012, c’est connu, c’est le 50e anniversaire de l’indépendance de l’Algérie et le 50e anniversaire des relations diplomatiques entre nos deux pays. C’est aussi le dixième anniversaire de la signature du traité d’amitié, de bon voisinage et de coopération entre l’Algérie et l’Espagne, le premier de ce type signé par l’Algérie avec un pays européen. Ce traité définit un schéma de coopération et de dialogue politique au plus haut niveau, avec des sommets gouvernementaux. Le prochain sera le cinquième sommet et nous espérons qu’il aura lieu cette année. Il aurait dû avoir lieu à la fin de 2011, mais il a été reporté à cause des élections en Espagne. Ce report nous permettra maintenant de faire le bilan de dix ans.
L’Algérie est un pays voisin, c’est le premier avantage qu’il faut souligner dans nos relations. C’est un pays avec lequel nous n’avons ni des hypothèques du passé ni des ressentiments historiques. Nous n’avons pas non plus des contentieux. Ce qui ne veut pas dire que nous n’avons pas de temps en temps des différends, nous ne pouvons pas être d’accord sur tout !
Le cadre favorable à une coopération amicale est déjà là. Je peux dire que nos relations sont excellentes, mais nous voulons qu’elles soient exemplaires. Pour cela, il nous faut plusieurs choses : d’abord, sortir un peu de cette fixation sur les rapports énergétiques entre les deux pays. L’énergie a été le vecteur principal de nos relations, nous sommes le deuxième client européen de l’Algérie. Nous avons réalisé, l’année passée, un deuxième gazoduc qui a une importance énorme. Il va alimenter en gaz non seulement l’Espagne, mais aussi le réseau européen.
C’est un créneau qui restera certes très important, mais d’autres créneaux existent, aussi bien dans le domaine économique que dans d’autres domaines. Les entreprises espagnoles ont les capacités qui s’adaptent aux besoins de l’Algérie. Dans le domaine des infrastructures, la performance espagnole est connue mais pas seulement dans ce domaine. Il y a bien d’autres exemples de sa présence en Algérie. Le plus important secteur à mon avis est celui des PME. Dans ce domaine, il nous reste beaucoup à faire, et il nous faut aussi mieux nous connaître.
L’Algérie est-elle considérée comme exclusivement un partenaire économique ?
Pas seulement ! L’Algérie est aussi un partenaire politique très important, voire incontournable, pour nous : la Méditerranée, 5+5, processus de Barcelone, son poids au sein de la Ligue arabe, son rôle dans le groupe des 77, les questions globales. Tout ce qui est coopération régionale au Maghreb. Nous pensons que de nouvelles perspectives peuvent s’ouvrir maintenant dans la région. C’est vrai que ces mécanismes, 5+5, Méditerranée… méritent, suite aux nouvelles données de la région, une nouvelle réflexion, mais comme je disais, des perspectives existent et nos deux pays doivent s’y pencher. Il y a aussi cette profondeur et cette dimension africaine de l’Algérie qui est très importante pour nous sans oublier le Sahel.
Il y a également un passé historique qui est très important. Nous ne sommes pas seulement liés par la géographie, mais aussi par l’histoire. A ce propos, le chapitre culturel est très important à relever. Nous avons deux centres culturels en Algérie, ils sont des plus actifs de tout notre réseau culturel à l’étranger.
Tout ceci pour dire que nos relations sont globales. Je pense que cette année 2012 sera une année de relance des relations. Un nouveau souffle animera nos relations. L’année dernière, nous avons été très penchés sur nos situations intérieures. En 2012, nous allons assister à une relance. Il y a encore du potentiel à exploiter. Je suis certain que cette année nous allons effectuer un saut qualitatif dans nos relations.
Vous évoquiez les PME. Un axe d’avenir à entendre parler les responsables algériens. En quelque sorte préparer l’après-pétrole. La présence étrangère dans ce secteur est très timide et elle est liée aux contraintes de la régulation du marché algérien. Le crédoc, la LFC, le système bancaire où les sociétés étrangères aimeraient bien avoir des banques étrangères de leur pays… Comment voyez-vous tout cela ?
Je peux vous donner un avis d’un point de vue espagnol. C’est d’ailleurs un point de vue similaire pour les autres pays européens, je pense. D’abord, les PME sont énormément importantes. Elles sont celles qui génèrent le plus d’emplois et apportent le plus de transfert de technologie. Elles sont importantes du point de vue économique mais aussi des relations commerciales et humaines. Une des premières mesures qu’a prise le nouveau gouvernement espagnol est un ferme soutien aux PME.
Les PME sont des entreprises en majorité à caractère familial. Elles sont basées sur la confiance et la continuité. Cette relation de confiance est très importante vis-à-vis des partenaires étrangers. Elles veulent maintenir ce caractère familial dans la direction et le contrôle de l’entreprise, l’entreprise appartient à celui qui l’a créée.
C’est ce genre de problèmes qui se posent lorsque l’entreprise sort à l’étranger. Nous constatons de plus en plus l’intérêt des PME espagnoles à s’installer en Algérie. Le marché algérien, en cette phase de la crise économique en Espagne, est un marché à fort potentiel et offre des opportunités intéressantes pour les PME espagnoles.
En même temps, je constate que les PME espagnoles qui s’installent en Algérie sont celles qui ont des rapports avec l’Algérie depuis des années. C’est un long processus de confiance personnelle. Pour mieux attirer les PME ici, il faudrait tenir compte, je pense, de ces données.
Il faut faire preuve d’imagination et de pragmatisme car leur contribution dans le transfert de technologie et dans la création d’emploi est incomparable.
Et concernant la législation algérienne actuelle ?
La loi de finances complémentaire 2009 a décidé un nouveau cadre juridique et les PME qui veulent s’installer en Algérie s’adaptent au partenariat 51 /49 mais nous serions mieux servis si la législation tenait compte des spécificités des PME.
La rigidité peut parfois produire des effets contraires. Je sais que des industriels et des hommes d’affaires algériens ont déjà fait des propositions très intéressantes à cet effet. Il faudrait peut-être trouver des modèles spécifiques qui permettent aux PME plus de flexibilité pour maintenir la majorité ou le contrôle de l’investissement. Ceci dit, un investissement n’est jamais sans risque, partout dans le monde.
Il ne s’agit pas de minimiser les risques mais de faciliter leur présence ici.
Dernièrement, la Banque d’Algérie a refusé d’agréer 6 banques étrangères. Y aurait-il dans le lot du refus une banque espagnole, sachant que les banquiers espagnols s’intéressent à s’implanter en Algérie ?
Une banque étrangère est un instrument très utile pour la présence des compagnies et des entreprises étrangères. Elle est utile dans la recherche des partenaires, en plus d’être habituée à leur façon de travailler. L’une des questions qui nous préoccupe est justement de renforcer les instruments qui facilitent la présence des entreprises espagnoles et le contact entre les entreprises espagnoles et algériennes. Les banques et les chambres de commerces sont des instruments très importants. Il y a un groupe de chefs d’entreprises algéro-espagnol qui est en train de travailler sur ce type d’instruments. La présence d’une institution financière est très demandée aussi.
L’intérêt existe depuis longtemps. Je sais que des démarches auprès de l’administration algérienne ont été faites.
Les mésententes existant entre les deux pays sont exclusivement le problème du prix du gaz, le différend commercial et le problème sahraoui, la position dépend des gouvernements espagnols. Que pouvez-vous dire pour ces deux sujets ?
Concernant le gaz, pour nous l’Algérie est un fournisseur fiable et stable. L’Algérie est notre principal fournisseur. Il peut arriver facilement à la limite de ce que la réglementation espagnole permet pour un seul fournisseur.
Cela reflète un énorme degré de confiance, je dirais une confiance totale. Les contrats à long terme du gaz qui sont du ressort des compagnies privées, pas de l’Etat, ont des mécanismes de révision des prix.
Chaque certaine période, (tous les 3 ans d’habitude), les compagnies doivent se mettre d’accord pour la révision des prix. Ces dernières années, la révision des prix a été plus difficile et les compagnies ont fait recours à un arbitrage.
Même dans ce contexte des solutions ont été trouvées dans un esprit de partenariat. Aujourd’hui, Sonatrach est actionnaire de son client espagnol Gaz Natural, bien sûr aussi dans le gazoduc Medgaz. Cela donne une nouvelle qualité à la présence de l’Algérie en Espagne et au rapport entre les compagnies. Elles sortent du simple rapport client-fournisseur. L’interdépendance est mieux que la dépendance, c’est une bonne solution pour certaines questions.
D’autre part, les deux gouvernements, conscients de l’importance de cette relation, ont essayé d’apporter leur contribution pour que les problèmes soient résolus à la faveur du bénéfice mutuel.
Mais le prix du gaz n’est-il pas sous la bannière de ce qu’on appelle aujourd’hui le cartel du gaz ?
Bien qu’en Algérie on apprenne beaucoup de choses, je ne suis malheureusement pas un expert en gaz. Les contrats pour le gaz sont différents des contrats pour le pétrole, bien que le prix du gaz soit indexé sur d’autres produits pétroliers. Ce qui fait que le gaz a une spécificité. Il y a une approximation mais ce sont des contrats à long terme qui n’existent pas exactement dans le marché pétrolier. Ce forum des pays exportateurs de gaz n’est pas encore une OPEP du gaz mais plutôt un groupe de concertation, de coopération, d’échange de données et d’expériences, je pense.
Pour clore ce chapitre de coopération, quel est le chiffre d’affaires entre les deux pays ?
C’est autour des 10 milliards de dollars. Cela varie selon le prix du gaz (rire).
Il y a un déficit structurel pour l’Espagne qui importe beaucoup plus de l’Algérie qu’elle ne lui vend. Une raison de plus pour nous de nous efforcer à être plus présents ici.
Nous sommes le troisième client de l’Algérie après les Etats-Unis et l’Italie et le quatrième fournisseur après la France, l’Italie, la Chine. L’Espagne est l’un des principaux investisseurs ; entre 2005 à 2008, le premier investisseur européen.
Les produits agricoles espagnols ont été refoulés, l’an dernier, aux frontières françaises. L’Espagne a une tradition agricole certaine. Les colons en Algérie étaient dans leur majorité des Espagnols. Aujourd’hui, la coopération dans ce secteur est insignifiante. Pourquoi ?
L’Europe est le marché traditionnel des produits agricoles espagnols. Il ne faut pas oublier qu’il y a un marché unique et une politique agricole commune en Europe. Mais, il est vrai que l’Algérie devrait faire l’objet d’un intérêt plus sérieux dans le domaine de l’agriculture.
Il existe déjà une coopération dans certains domaines : irrigations, agrumes, l’olivier, qu’il faudrait élargir. Il y a des questions par rapport à la propriété des terres agricoles qui ne sont pas très bien comprises par les agriculteurs espagnols : participation, cession. Il y a un travail à faire et c’est pour cela que je vous ai dit que le secteur de l’énergie est important, mais il n’est pas le seul. Pas seulement l’agriculture, il y aussi la logistique, surtout celle liée à l’organisation des marchés, distribution, etc.
Pourquoi l’Espagne n’a pas initié une sorte d’UPM. A-t-elle renié une partie de son histoire ?
Votre question nous ramène à un autre aspect : La Méditerranée et la culture. La Méditerranée est l’affaire de tous. C’est très important de le dire. Nous avons toujours défendu cette position. Elle n’est pas seulement l’affaire des pays riverains. Elle doit être l’affaire de tous les Européens. Les défis sont tellement importants, mais aussi les conséquences de ce qui peut arriver en Méditerranée qui peuvent affecter non seulement les pays riverains mais l’Europe entière. Il est normal que les pays riverains soient à l’origine de toutes les initiatives qui se tiennent en Méditerranée. C’est le cas de l’UPM, c’est le cas du 5+5, du Forum méditerranéen, du processus de Barcelone… Nous avons toujours adhéré ou même initié ces initiatives parce que la Méditerranée est notre sphère commune. Nous devons faire en sorte que cette Méditerranée nous unisse.
Voyez-vous, moi-même, je suis né aux Baléares, c’est-à-dire plus près d’Alger que ceux qui sont originaires d’Oran. Mais cette proximité est mesurée parfois d’une façon différente. C’est cela notre grand défi en tant que Méditerranéens. Unir et rapprocher. En tout cas, on revient toujours à cette réalité car on revient toujours à ses origines. L’Europe sans la Méditerranée serait autre chose.
Le Sahara occidental ?
L’Espagne a un intérêt particulier dans cette affaire car elle a une certaine responsabilité historique. Elle a tout intérêt à ce que ce problème soit résolu définitivement.
La position de l’Espagne a été constante depuis 1976. Il est vrai que l’on a tendance à interpréter les déclarations d’un gouvernement ou autre dans un sens ou dans l’autre dans la mesure où il peut y avoir des nuances ou des accents dans la recherche de la solution à un moment donné. Mais la position sur les principes a été la même pour tous les gouvernements et pour plusieurs raisons. Il s’agit d’une affaire qui concerne tout le monde en Espagne, le gouvernement, l’opposition, le Parlement. Le Parlement espagnol se prononce à ce sujet de façon unanime. C’est une affaire très sensible aussi pour la société civile.
Sans oublier les implications pour la politique étrangère espagnole dans la région. Tout gouvernement espagnol doit tenir compte de toutes ces données. Tous les gouvernements qui se sont succédé ont recherché un consensus autour de cette question qui est entre les mains des Nations unies.
L’Espagne est pour une solution juste et définitive accordée par les parties, dans le cadre des Nations unies, et qui tient compte du droit à l’autodétermination du peuple sahraoui.
A partir de cette position, l’intérêt de l’Espagne est de sensibiliser la communauté internationale, d’aller dans le sens de l’urgence de trouver une solution, de donner son appui, permanent et constant, aussi bien politique que logistique, à l’envoyé spécial du secrétaire général des Nations unies. Les parties et les partenaires maghrébins le savent très bien.
Le «printemps arabe» domine la situation dans le monde. La Libye, la Syrie…
Ce qui s’est passé dans certains pays est une sorte de deuxième indépendance. C’est l’impression que donnent les peuples de ces pays-là. Ces peuples ont le sentiment que leur indépendance avait été séquestrée par des castes bureaucratiques, militaires, etc. et veulent la récupérer et bannir les régimes «patrimonialistes». Ce sont des processus qui sont en train de se consolider à travers la démocratie. Mais la démocratie n’est pas seulement des élections. Elle implique aussi la bonne gouvernance et l’état de droit. Je crois que les aspirations des peuples vont dans ce sens-là. Ce qu’ils souhaitent, c’est la bonne gouvernance, chacun avec sa spécificité. Ni les rapports de force ni les situations ne sont pas les mêmes dans tous les pays. A mon avis, l’important est la participation des peuples dans la vie démocratique de chaque pays. Ce que la communauté internationale demande et plus particulièrement l’Union européenne, et le respect de certaines valeurs. Nous n’avons pas à imposer un modèle déterminé.
Certaines hypothèses supposent que le Qatar soutien les islamistes dans ces pays-là ?
Les islamistes sont une donnée dans tous ces pays. Il faut être réaliste. Mais il y a aussi les démocrates et nous avons tendance à les oublier, on ne parle pas d’eux. Nous n’allons pas dire que les islamistes ne sont pas des démocrates. Les islamistes ont accompagné ces soulèvements, mais ils ne sont pas à leur origine, en Tunisie ou en Egypte, par exemple.
Mais toutes les interprétations sont possibles, il nous faut encore un peu de temps pour mieux comprendre ces développements, car nous sommes devant un défi historique, ils vont avoir une longue durée et évoluer différemment.
L’Europe qui a refusé l’adhésion de la Turquie, juste parce qu’elle est gouvernée par une équipe islamique, soutient ces mouvements et a donné la Tunisie comme modèle… quelle lecture en faites-vous ?
L’Union européenne n’a pas refusé l’adhésion de la Turquie. L’Europe n’est pas unanime sur cette question et certains pays européens verraient très bien la Turquie comme l’un de ses membres. Il y a un processus de négociation dont le but est l’adhésion, mais le résultat reste ouvert.
D’ailleurs, le succès économique de la Turquie et beaucoup de réformes qui ont eu lieu en Turquie ne s’expliquent pas sans cette proximité avec l’Union européenne. J’ai déjà signalé que nous n’avons pas à imposer un modèle déterminé, mais si celui-ci est le modèle, la voie suivie est connue.
Sur les réformes en Algérie ?
Nous les avons saluées avec satisfaction, les encourageons et nous croyons qu’elles sont substantielles. Nous pensons que chaque pays a ses spécificités mais il faut être conscient que l’on doit répondre aux aspirations du peuple.
Nous souhaitons que les prochaines élections soient libres et transparentes avec une participation importante. Cela sera un grand pas en avant. Ceci n’est qu’une étape, tel qu’il a été indiqué par le président de la République. La prochaine étape sera la révision de la Constitution.
Pour ceux qui crient au loup et demandent des observateurs en masse ?
Nous nous félicitons du fait que l’Algérie ait décidé d’inviter des observateurs et plus particulièrement de l’Union européenne. C’est une preuve de la volonté de tenir ces élections dans les meilleures conditions. L’observation électorale est aussi un élément du processus de réformes et un encouragement.
Votre dernier mot !
N’oublions pas la culture. Pour moi c’est très important, car nous avons un déficit de connaissance mutuelle.
La compréhension de l’autre demande un minimum de connaissance et de sensibilité culturelle. Ce volet nous permet de mieux gérer les problèmes et de coopérer plus étroitement sur des bases solides sans avoir peur des surprises.
En Algérie, nous avons tendance à regarder plutôt son passé récent et pas l’avenir, c’est aussi une contribution que la culture peut faire. Pour nous la culture est aussi une priorité.
D’autres pays mettent 13 millions d’euros en Algérie pour la culture…
On ne peut que s’en réjouir, mais même s’il y a des parallélismes, il ne s’agit pas seulement de comparer des chiffres. Nous devons mettre l’accent sur la culture comme un sujet nécessaire, voire indispensable, à caractère permanent, qui nous permettra aussi de mieux nous connaître.
Chacun doit apporter sa contribution et cela à tous les niveaux.
Entretien réalisé par Samir Méhalla
Le Jeune Indépendant, 5/2/2012
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