Rappelons également à ceux qui, à gauche, détiennent un goût prononcé pour l’autoflagellation que Jacques Chirac affirmait, à la même époque, que l’Afrique n’était « pas mûre pour la démocratie ». Le discours de la Baule, quoique tardif, fut donc néanmoins symbolique d’un basculement théorique, l’autocratie étant clairement rejetée et l’ouverture politique saluée, avec la promesse d’une aide « tiède » pour les pays adeptes de la première et d’une coopération plus « enthousiaste » avec ceux mettant en œuvre la seconde. Au plan pratique, la démocratisation des pays d’Afrique francophone, qui n’en était qu’à ses balbutiements en 1991, est alors nettement enclenchée.
Ce processus d’ouverture politique connaît toutefois de graves soubresauts, reculs occasionnels et coups d’Etat ponctuels, ainsi que de notables exceptions, certains chefs d’Etat faisant preuve d’une « remarquable » longévité ou cédant à la tentation dynastique. En dehors de ces exceptions fâcheuses, on relèvera néanmoins des motifs d’espoir récents, puisqu’en 2010 et 2011, pas moins de trois chefs d’Etat ayant souhaité prolonger illégitimement leur présidence de la République ont été contraints de quitter leur palais et furent remplacés à terme par des régimes démocratiquement élus (Alpha Condé en Guinée, Mahamadou Issoufou au Niger et Alassane Ouattara en Côte d’Ivoire). Le mouvement de modernisation et de démocratisation est sans doute trop modeste, trop lent, mais il existe.
Quel rôle la France peut-elle jouer pour accompagner le mouvement de démocratisation en Afrique (ou ailleurs), sans renouer avec les ingérences du passé ? Ce sont, d’abord et avant tout, les pratiques qui doivent évoluer.
Au cours des dernières années, nombre d’initiatives malheureuses ou de déclarations qui n’avaient rien d’obligatoire ont entaché la réputation de la France.
Certains cas sont très connus : en Tunisie, les déclarations sur la « progression de l’espace des libertés » ont pris une signification toute particulière après la « Révolution de la dignité », tout comme les offres de service de maintien de l’ordre formulées par Michèle Alliot-Marie, alors ministre des Affaires étrangères. Dans le même ordre d’idée, la réception en grandes pompes du colonel Kadhafi en 2008 et la théorisation du profond « changement » du guide libyen laissent songeur alors qu’une guerre dure est aujourd’hui engagée pour le chasser du pouvoir. De manière moins connue, la France a été la première puissance, et parfois la seule, à blanchir ou à prendre acte de coups d’Etat, parfois régularisés ensuite, qu’il s’agisse de ceux survenus dans les dernières années en Guinée (Moussa Dadis Camara), en Mauritanie (Mohamed Ould Abdelaziz) ou à Madagascar (Andry Rajoelina). En 2011, la France fut à nouveau la seule puissance représentée à l’investiture de François Bozizé (République centrafricaine) malgré un rapport d’observation électorale de l’Union européenne très sévère. La France n’a pas fait non plus preuve de beaucoup de retenue dans son soutien à Idriss Déby Itno, en dépit de la situation peu enviable de l’opposition dans ce pays. Dans la question du conflit au Sahara occidental, la France est également l’une des dernières nations à s’opposer à l’extension du mandat de la force des Nations unies à la protection des droits humains. Les exemples se déclinent, trop nombreux : cela peut et doit changer.
Pour les socialistes, le respect des droits de l’Homme et l’existence d’un Etat de droit sont et doivent être des conditions préalables à toute intervention en faveur d’un Etat. Il est trop facile de se fourvoyer dans une relation de complaisance avec des régimes non démocratiques. On observera d’ailleurs que Barack Obama s’est contenté d’une visite au seul Ghana, plaçant clairement très haut sur le plan démocratique la barre d’acceptabilité d’un régime politique. Pourtant, on peut difficilement accepter de ne soutenir que les peuples des Etats les plus vertueux, en condamnant les populations des autres Etats à une assistance humanitaire minimale. Dans les pays à gouvernance « douteuse », encore que le concept de bonne gouvernance soit passablement flou, il est légitime de faire transiter autant que possible les fonds de coopération au développement par les organisations de la société civile ou des collectivités locales, lorsqu’elles sont légitimes.
L’aide française transite extrêmement peu par les ONG du Nord et du Sud (à peine plus de 1 % de l’aide publique au développement totale). Cette part pourrait être portée progressivement au niveau de celle observée dans les autres pays européens, soit 5 %, alors que les projections actuelles d’aide au développement laissent au contraire envisager une stagnation des crédits publics bilatéraux qui leur sont dédiés, à un niveau de 45 millions d’euros (sur une aide totale déclarée de plus de dix milliards d’euros…).
Les ONG ont une capacité d’innovation sectorielle, d’action sur des terrains difficiles, de réactivité qui doit être mieux reconnue. Leurs actions ne déméritent pas face à celles des institutions publiques du développement, qui sont soumises à des procédures parfois plus complexes (anti-blanchiment, diligences environnementales et sociales entre autres) qui limitent la rapidité de leur intervention. On notera également que, sur des sujets essentiels de protection des droits humains comme le respect des droits des homosexuels ou l’interdiction de l’excision, la voix de la France s’est faite très discrète au plus haut niveau de l’Etat, en dépit des efforts méritoires de la secrétaire d’Etat aux droits de l’Homme sur le premier point, avant que ce secrétariat d’Etat ne soit jugé « inutile ». Les campagnes des ONG en faveur de la transparence des ressources transférées par des compagnies minières ou s’interrogeant sur les patrimoines immobiliers de chefs d’Etat africains ont également eu le mérite d’attirer l’attention sur le manque de traçabilité des fonds publics dans certains pays en développement.
On voit là l’utilité que peuvent avoir les ONG pour animer des campagnes qui pourraient difficilement être conduites au niveau gouvernemental.
Enfin, là où la probabilité d’évolution dans le bon sens existe et là où l’influence de la France peut être décisive, ne faut-il pas tenter d’aider à la mise en place de bonnes politiques et d’accompagner les processus démocratiques ?
Il semble ainsi nécessaire d’accompagner fortement les pays dans les mois décisifs qui entourent les élections, surtout lorsqu’il s’agit de premières, comme c’est le cas actuellement en Guinée, mais aussi dans des pays qui reviennent à la démocratie ou sortent d’une grave crise, comme le Niger ou la Côte d’Ivoire. En cas d’évolution inverse, il semblerait nécessaire de faire preuve de plus de réactivité dans la critique dès lors que la situation politique se dégrade, et que la France soit aussi parfois en pointe sur l’application de sanctions, aspect sur lequel cette législature aura été particulièrement pauvre.
La France, en tant que nation, finance également très peu les fondations politiques, toutes sensibilités confondues, pour promouvoir le pluralisme démocratique. Les budgets de coopération internationale des principales fondations sont ainsi très faibles (en général au moins dix fois inférieurs à leurs homologues américaines et allemandes),alors même que les fondations sont les acteurs les plus susceptibles de promouvoir la liberté de la presse, de soutenir la constitution de nouveaux médias, d’aider au renforcement des capacités des mouvements d’opposition lorsque ceux-ci ne bénéficient d’aucun financement de leur Etat (c’est-à-dire presque tout le temps). L’Union européenne soutient également, mais de manière encore sporadique, les processus électoraux. Une systématisation de ce type de soutien serait extrêmement bienvenue, par exemple pour permettre des campagnes médiatiques pluralistes ou encore assurer des observations rigoureuses sur la base du suivi d’échantillons représentatifs. Enfin, il semblerait utile, dans les cas des transitions politiques où l’Etat civil ou le système judiciaire d’un Etat ne bénéficie pas de la confiance des principaux acteurs politiques, de renforcer le cadre juridique international, autour des Nations unies, pour légitimer celles-ci dans l’observation et la proclamation des résultats.
Auteur : Thomas Mélonio , pour la Fondation Jean Jaures
Economiste, spécialiste de l’Afrique et des questions de développement, il travaille en particulier sur les méthodes de valorisation du capital humain. Animateur du cercle de réflexion « A gauche, en Europe », co-fondé par Dominique Strauss-Kahn, Pierre Moscovici et Michel Rocard. Oeuvre aujourd’hui à la structuration d’un mouvement social-démocrate au sein du parti socialiste. Il est délégué national en charge de l’Afrique au PS et représente à ce titre le PS au comité Afrique de l’Internationale socialiste.
CongoLiberty, 10/10/2012
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