Les velléités «qataristes» de la Tunisie !
Par Abdelkrim Ghezali, La Tribune d’Algérie, 11/2/2012
Le peuple tunisien a réussi à bouleverser l’ordre imposé par Ben Ali et ses alliés composés de lobbies affairistes qui ont privatisé l’Etat et les institutions. La révolte des Tunisiens a brisé la vitrine d’une Tunisie stable, tranquille et sécurisée, pour que se révèle la réalité des laissés-pour-compte d’un régime oppressif, corrompu et corrupteur. Après avoir réussi le défi politique et institutionnel à travers un compromis historique entre les forces politiques, qui sont parvenues à s’entendre sur un mode de gouvernance transitoire en attendant que la Constituante élabore la nouvelle Constitution, les Tunisiens font face aux problèmes sérieux de relance économique, d’équilibre régional, d’emploi et d’attractivité des investisseurs étrangers. Manifestement, les dirigeants tunisiens tablent sur une stratégie globale axée sur la sécurisation du pays pour la relance du tourisme comme source première, la relance de l’UMA pour une meilleure intégration des potentialités maghrébines et l’intégration méditerranéenne à travers l’hypothétique UPM ou, du moins, la fructification de
l’accord d’association avec l’UE, même si les temps sont difficiles pour l’Europe. Cette stratégie est théoriquement envisageable dans la mesure où la Tunisie est un pays touristique, membre de l’UMA, de l’UPM et partenaire de l’UE. Pratiquement, les choses ne sont pas aussi simples que cela. Les besoins sociaux des Tunisiens sont si immenses que le Trésor public tunisien ne dispose pas de moyens financiers pour y répondre. Ce qui alimente la contestation d’une population toujours sur la lancée d’une «révolution payante». La contestation sociale ne fera que compliquer la donne et augmenter la pression sur un establishment qui manque d’expérience dans la
gestion des affaires publiques, même si sa volonté politique est aussi forte que sincère. Cette pression poussera, à terme, les gouvernants tunisiens à chercher d’autres partenaires disposés à aider le pays en urgence. D’autant plus que la relance de l’UMA prendra beaucoup de temps avant que l’intégration économique et sociale soit profitable à tous ses membres et que l’Union européenne est plus préoccupée par sa propre crise pour pouvoir se tourner à la rive Sud et redynamiser les projets d’intégration en hibernation depuis la mort du processus de Barcelone. Au niveau maghrébin, seule l’Algérie dispose de moyens financiers conséquents à même de prêter main forte à la Tunisie pour traverser ces moments difficiles et diminuer la pression qui s’exerce sur un gouvernement encore
fragile. Merzouki en est conscient et sa visite en Algérie, au-delà de son ardent souhait de voir l’UMA reprendre des couleurs, s’inscrit dans cet objectif stratégique de solidarité entre deux pays interdépendants en matière de stabilité et de sécurité. L’Algérie peut en effet contribuer à la redynamisation de l’économie tunisienne à travers des aides directes et des investissements dans des secteurs porteurs comme le tourisme, les mines, les industries manufacturières, les services, l’agriculture, les travaux publics et le bâtiment. Le projet de développement des zones frontalières peut aussi être relancé et les gouvernorats tunisiens de l’ouest peuvent bénéficier de commodités dont disposent les wilayas algériennes de l’est, comme le gaz, l’électricité et l’eau et, pourquoi pas, les écoles et les universités. Ce sont là des projets pratiques, réalisables qui s’inscriraient dans les relations bilatérales mais qui constituent aussi les pierres angulaires de l’intégration progressive de l’UMA. Si rien n’est fait dans ce sens pour que les Tunisiens sentent la solidarité maghrébine et notamment algérienne, ils pourraient être contraints de chercher l’aide ailleurs et qui serait alors monnayée à prix fort. La stratégie de l’Occident s’articule, entre autres, autour de l’instabilité de certaines régions pour pouvoir atteindre leurs objectifs hégémoniques. Une Tunisie fragile et isolée économiquement sur le plan régional, pourrait avoir des velléités de jouer au valet de l’Occident pour régler ses problèmes sociaux et économiques. L’appel du Premier ministre tunisien, à Davos, à expulser les ambassadeurs syriens, est un signe révélateur de ces velléités qui risque de s’affirmer et de prendre des dimensions déstabilisatrices pour toute la région. Si le Qatar est depuis quelques années le chargé d’affaires occidentales dans la région du Moyen-Orient, afin de garantir sa propre sécurité et stabilité face à une Arabie saoudite hégémonique, la Tunisie pourrait suivre cet exemple pour garantir sa stabilité sociale et relancer son économie. Lorsque Merzouki condamne Bachar al-Assad et annonce son soutien indéfectible au peuple syrien et, en même temps, demande à contourner la question du Sahara occidental ignorant les souffrances d’un peuple, les jeux sont faits et les cartes sont dévoilées quant à l’attitude de deux poids deux mesures, sur l’engagement principiel du président tunisien pour les droits de l’Homme et les droits des peuples à l’autodétermination.
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