« Des fusils face au mur » – Témoignage

Photographe, Maurice Cuquel connaît bien le conflit du Sahara occidental. Il est déjà allé trois fois dans les camps de réfugiés situés au sud-ouest de l’Algérie et en a retiré plusieurs expositions (1).
En mars 2011, il s’est rendu -pour la première fois- dans les « territoires libérés », c’est-à-dire la partie orientale du Sahara occidental sous contrôle du Front Polisario (à l’est du mur de sable représenté sur cette carte proposée par l’ONU). Pour, dit-il, « côtoyer les combattants du Front Polisario« . « Entre guerre et paix, c’est le temps de l’attente et de l’impatience, de l’usure et de l’enlisement« , ajoute Maurice Cuquel.
Son témoignage :
En 1975, les espagnols abandonnent le Sahara Occidental aux mains du Maroc et de la Mauritanie. Le peuple sahraoui qui rêve de l’indépendance d’un « pays sahraoui » doit alors émigrer dans des camps de fortune dans le sud algérien. En 1991, un espoir surgit avec le cessez-le-feu et la promesse d’un référendum sur l’autodétermination.
Trente-cinq années d’exil ont passé. Dans l’indifférence de la communauté internationale, 160 000 sahraouis survivent dans l’une des régions les plus inhospitalières du globe avec l’objectif de «revenir vivre un jour là-bas », dans leur pays d’origine.
Territoires occupés. Territoires libérés. Territoires perdus. Territoires contrôlés… La sémantique est forte, la géopolitique dure, le lobbying des occupants outrancier… Les sahraouis seront-ils les exclus de l’Histoire ?
Pour mon troisième reportage, j’ai voulu côtoyer les combattants du Front Polisario : « une armée de libération, pas une armée de conquête » précisent d’emblée ses combattants. Entre guerre et paix, c’est le temps de l’attente et de l’impatience, de l’usure et de l’enlisement.
En route pour les territoires libérés, Ahmed est au volant de son Land Rover. Il affronte le désert, sa platitude infinie comme la durée interminable du conflit, son sol lunaire stérile, sa nudité rasante comme l’attitude de la communauté internationale. Du côté de Tifariti, la bande de terre contrôlée par le Front Polisario offre son cortège de maisons éventrées par les obus marocains, de champs de mines et ses ballets de voitures dela MINURSO*. De part son statut de territoire libéré, la région abrite les casernes où la vie quotidienne des soldats qui peut paraître exceptionnelle n’est pas pour autant sensationnelle.
Il existe des murs de sable inébranlables qui durent. Tel ce mur de 2500 kms, intolérable balafre infranchissable, construit par l’envahisseur de 1980 à 1987 et gardé par 160 000 soldats marocains,20 000 kilomètresde barbelés et des millions de mines anti personnelles. Mais en trois décennies, ce mur n’a toujours pas suffi à faire plier la volonté et le désir d’indépendance du peuple sahraoui.
Au centre martyr Chreif, les victimes des mines, civiles ou militaires zappent sur toutes les chaînes de leurs postes TV pour prendre le pouls de l’humanité. Rien ici ne permet de mesurer la fuite du temps. Seule espérance : le retour vers leur pays natal.
Les jeunes sahraouis deviennent des combattants à l’issue de leurs huit mois de formation à l’école militaire El Wali. Leur credo : « reprise du conflit armé ». Face aux dirigeants dela RASD*, trop statiques, trop attentistes à leur goût, face au statu quo onusien, ces soldats sincères et déterminés, sont les garants de leurs droits et de leurs frontières. Le peuple sahraoui mène un combat loin des feux de l’actualité, des journaux télévisés et des tables de négociations mais face à un mur d’indifférence et de silence. Cette république en exil force le respect et mérite enfin l’application du droit international…
Mais la dignité se négocie-t-elle ?
Maurice CUQUEL
Front polisario : Abréviation de Front populaire de libération de la Saguia el Hamma et du Rio de Oro – Mouvement politique et armé du Sahara occidental, soutenu par l’Algérie et principalement composé d’indépendantistes sahraouis.

RASD : République Arabe Sahraouie Démocratique.

MINURSO : Mission des Nations Unies pour l’Organisation d’un référendum au Sahara occidental.

(1) »Sahraouis : les exilés des sables » (2007), « Sahraouis : du sable, du savoir et l’espoir… » (2009) et « Front polisario : des fusils face au mur » (2011)

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