par Ghania Oukazi
Le président tunisien semble être le plus disponible pour plaider la cause de l’UMA dont la (re)construction est vivement recommandée par les Etats-Unis et la France.
Moncef Marzouki a commencé sa tournée maghrébine par la Mauritanie parce qu’il sait pertinemment que Nouakchott ne rejettera aucune proposition de redémarrage de l’UMA en raison entre autres de ses penchants pour l’option marocaine comme solution du conflit sahraoui et de ses rapprochements des thèses occidentales sur ce sujet.
Le président tunisien par intérim a choisi le Maroc comme 2e destination non parce qu’il a des liens familiaux très étroits avec lui mais parce que le Royaume est aussi facile à convaincre d’une construction de l’UMA dans laquelle l’ouverture de ses frontières avec l’Algérie est plus que nécessaire. Elle est devenue presque une exigence si l’on se réfère aux propos incitatifs qu’Américains et Français notamment tiennent à cet effet aux autorités algériennes surtout depuis que Zine El Abidine Ben Ali a été déchu des commandes de la Tunisie.
Ce n’est pas un hasard que Mohammed VI a, à plusieurs reprises, quémandé l’ouverture des frontières fermées depuis 1994 après l’attentat de Marrakech. Attentat que les autorités marocaines ont vite fait d’attribuer aux Algériens.
Pour rappel, en réaction à ses accusations qu’elles ont jugées infondées et graves, les autorités algériennes ont de suite ordonné la fermeture des frontières terrestres. Décision qui a fait très mal aux Marocains tant ses effets sur leur économie (informelle) seraient, selon eux, désastreuses. Reste que cette fermeture n’a pas que ce «mauvais» côté si l’on croit les habitants des régions nord-est du Royaume. Ces derniers ont relevé l’attention que les responsables marocains accordent depuis à ces territoires. «Le roi a visité Oujda plus de 9 fois», disent certains d’entre eux, fiers de cette attention inattendue.
En attendant que son pays organise des élections présidentielles conformément à ses nouvelles lois, Marzouki ne doit pas avoir de grands dossiers à gérer. La plus importante des missions qui semble lui avoir été confiée est celle de persuader les responsables maghrébins de la nécessité de l’UMA. Il est bien dans son élément du moment qu’il est le responsable qui a été le plus approché par les Américains et les Français après la chute de Ben Ali. Résident depuis plusieurs années en France, il a vite retrouvé ses marques dans son pays et vite désigné comme son président. Le message de cette relance a dû, bien sûr, être passé au niveau des différents états-majors des pays maghrébins par les distributeurs de feuilles de route. L’explication de sa faisabilité et des modalités de son exécution semble revenir à Marzouki même si les rues de son pays continuent de bouillonner de contestations. La Tunisie aujourd’hui est apparue aux yeux du monde avec son vrai visage. «C’est un pays qui est complètement désarticulé à cause de la misère et la pauvreté qui minent son peuple», nous disait il y a quelques jours une source diplomatique
DES PAYS DANS LA TOURMENTE
Si la Tunisie comptait, selon nos sources, au temps de Ben Ali, 400.000 chômeurs, en une année et après la grosse révolte qui l’a secouée, ce chiffre est passé à plus de 850.000. Elle traîne une dette de 20 milliards de dollars dont le service annuel est de 500 millions de dollars. Un montant qui ne lui donne pas une grande marge de manœuvre pour négocier les décisions que pourraient prendre les organisations internationales à son encontre. Voisine de l’Algérie, la Tunisie compte aujourd’hui beaucoup sur son esprit de coopération pour faire redémarrer sa machine économique et sociale. Les Algériens sont les premiers à pouvoir y apporter leur concours direct «en passant leurs vacances sur ses sites touristiques».
La Libye est cet autre pays dans la tourmente où Marzouki est allé pour discuter avec ses responsables sur la relance de l’UMA. En proie à des manœuvres et décisions dégageant de forts relents colonialistes, émiettée par les forces de l’OTAN, Tripoli continue à ce jour de compter ses morts et de répertorier ses crimes sur fond de velléités de vengeance jamais égalées.
La Libye a aujourd’hui besoin d’être reconstruite. Elle participerait bien dans des programmes intermaghrébins que seule une entité commune est susceptible d’élaborer et de lancer. Sa première inquiétude reste incontestablement la sécurité de ses territoires. Inquiétude qu’elle partage avec l’Algérie en raison des longues frontières qui les lient (ou les séparent). Ce qui l’oblige à collaborer étroitement sur la question avec les autorités algériennes.
Les Etats-Unis et la France pour ne citer que ces deux pays qui ont à cœur de participer dans la gestion de cette partie de l’Afrique, compteraient sur la perspicacité du président tunisien et la compréhension de ses homologues maghrébins pour permettre à leurs investisseurs de couvrir les besoins d’un marché maghrébin global de plus de 80 millions de personnes. En ces temps de crise économique mondiale et d’étroitesse de leurs marchés traditionnels, les pays occidentaux veulent jouer gros. Leur objectif premier est aujourd’hui la relance de l’UMA. Nos sources refusent en évidence de reconnaître que l’idée a été «suggérée» par Washington et Paris. «On n’est pas des mineurs, nous aussi on peut donner des leçons !», soutiennent-elles.
Alger est la capitale par laquelle le président tunisien achève sa tournée maghrébine. Il sera question pour lui, selon nos sources, de recentrer la question de la relance de l’UMA sur les priorités de l’Algérie puisque c’est le pays le plus concerné par les changements qui en seront générés. «Il est le pays du milieu, il a des frontières avec l’ensemble des pays maghrébins, il est donc le plus concerné par toutes les questions que susciteraient cette (re)construction de l’espace maghrébin», nous dit un responsable.
UNE REFORME POUR UNE ENTITE DE 23 ANS D’EXISTENCE VIRTUELLE
L’on a déjà mentionné dans ces mêmes colonnes que si le Roi du Maroc a eu à évoquer dans ce sens «un nouvel ordre maghrébin», tout autant que des personnalités politiques françaises, l’Algérie, elle, s’en tient à «une refondation de l’UMA». Lors de la réunion du Conseil des ministres des Affaires étrangères de l’UMA prévue à Rabat en principe, le 17 février prochain, Alger compte remettre au goût du jour l’étude qu’elle a élaborée en 2003 suggérant une réforme des instances de l’UMA. Elle plaide, dans ce sens, en faveur d’un élargissement des prérogatives du Conseil des ministres des Affaires étrangères dont celle de décider «même si le sommet des chefs d’Etat ne se tient pas». Elle demande aussi que les différents secteurs d’activités aient la possibilité de se réunir «en cas d’urgence» sans l’aval de ce même sommet. «L’étude est toujours valable puisque rien n’a changé depuis», indiquent nos sources.
Il est évident que le président tunisien aura plus de difficultés à convaincre les autorités algériennes d’une relance de l’UMA en l’état actuel des choses. D’autant que rien ne montre que l’Algérie est pressée de rouvrir ses frontières avec un pays qui semble s’accommoder de pratiques de contrebande sans rechigner. C’est ce qui dérange le plus l’Algérie dont les produits, subventionnés de surcroît, enjambent les zones frontalières même fermées. L’on rappelle que le commerce informel à ce niveau a atteint, selon nos sources, 1,100 milliard de dollars. La crise des carburants vécue récemment par l’ouest du pays lui est restée à travers la gorge.
L’Algérie veut ainsi intégrer dans l’ordre du jour de la prochaine réunion maghrébine «les questions illégales». C’est-à-dire, disent nos sources, «tout ce qui concerne la sécurité, l’émigration clandestine, la contrebande, le commerce informel». Alger exigerait à cet effet du Conseil des ministres de l’UMA, l’élaboration de nouvelles stratégies et de nouveaux mécanismes de lutte. L’UMA fêtera le 17 février prochain, 23 ans d’existence virtuelle.
L’on dit, par ailleurs, que le Maroc tente de réintégrer l’Union africaine qu’il a désertée après l’adhésion du Sahara Occidental. Il est indiqué dans ce sens que les diplomates marocains «manœuvrent» au niveau des commissions de l’UA notamment celles chargées de la sécurité. «S’il veut réintégrer l’UA, il ne doit pas poser de conditions (le retrait du Sahara Occidental)», indiquent nos sources qui notent cependant qu’à leur connaissance «aucune demande de ce genre n’a été enregistrée au niveau de l’UA». En cas où elle le serait, elle pourrait plaider peut-être en faveur d’un début d’acceptation par le Maroc d’un règlement du conflit sahraoui au moins au plan de son aspect institutionnel. L’idée de la tenue d’un référendum dans les territoires occupés pourrait être sérieusement étudiée.
Le Quotidien d’Oran, 13/2/2012
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