Algérie-Tunisie: Une Union maghrébine revue et corrigée

par Ghania Oukazi
 
«Nous le disons en toute honnêteté : oui, nous avons besoin du Maghreb, la Tunisie plus que tout le monde parce qu’elle traverse une phase difficile».

C’est la pensée qui a été exprimée tout haut par Mohamed Moncef Marzouki, le Président tunisien provisoire lors de la conférence de presse qu’il a animée dimanche soir à la résidence d’Etat de Djenane El-Mithak à Alger. Il a tenu, avant toute chose, à rappeler «la solidité et la bonne qualité des relations entre l’Algérie et la Tunisie». Il notera au passage que «ces relations sont passées par de mauvais moments en raison de la dictature qui sévissait en Tunisie et qui a maltraité les Algériens (…)». En réponse à une question sur ses déclarations sur l’arrêt du processus électoral en 1992, le responsable tunisien dira simplement que «c’est la presse qui a mal interprété mes propos. Vos confrères ont une capacité extraordinaire pour faire dire aux gens le contraire de ce qu’ils ont dit». L’Algérie, a-t-il souligné, «est très jalouse de son indépendance, on n’a pas le droit d’y toucher».

Interpellé sur les priorités qu’il se devait de se fixer, «relancer l’UMA ou se mettre à la disposition de son pays pour régler ses nombreux problèmes en raison de la rupture de ses équilibres», Marzouki reconnaîtra que «le défi qui se pose à nous aujourd’hui est de régler les problèmes socio-économiques de la Tunisie et d’atteindre les objectifs de la révolution qui sont la dignité, la justice et la liberté. Cette phase de la révolution a mélangé toutes les cartes. Nous travaillons jour et nuit pour régler tous nos problèmes. L’ouverture de l’espace maghrébin nous sera d’un grand intérêt».

Il appelle à la redynamisation des accords conclus entre l’Algérie et la Tunisie, qui ont été jusque-là «des vœux pieux à cause du pouvoir politique de Ben Ali». Il estime que «le champ de la coopération est vaste pour réaliser des projets structurants, autoroutiers et autres, infrastructures de base (…)». Il enchaînera pour affirmer que «la Libye n’est pas en guerre civile, elle passe comme nous par des moments difficiles ; il est normal que nous vivions des troubles après les révolutions. La Libye est en bonne convalescence».

A une question sur «le rôle de médiateur qu’il s’est assigné pour convaincre les pays maghrébins de relancer l’UMA», Marzouki avouera encore que «c’est dans l’intérêt de la Tunisie de relancer l’UMA et aussi de tous les Maghrébins. On ne dissocie pas nos politiques internes de nos politiques externes et réciproquement. Il y va de la stabilité de nos peuples et de nos pays». Il annoncera avec une pointe de fierté qu’il a reçu l’accord de principe du président Bouteflika, du président mauritanien, du roi du Maroc et du responsable du CNT libyen pour la tenue d’un sommet «dans les plus brefs délais, au courant de l’année 2012, et probablement à Tunis après étude des dossiers».

UN SOMMET SANS PREALABLE ?

Des commissions devront être, selon lui, convoquées «pour préparer le sommet en question et faire des propositions pour régler les problèmes en suspens». Marzouki veut que «les responsables maghrébins fassent de ce sommet un sommet historique parce que, cette fois-ci, c’est une affaire sérieuse, Inchallah, et ses résultats doivent être palpables pour nos peuples». Il estime qu’il n’est plus question «de mentir à nos peuples en nous rencontrant, en nous embrassant et en nous quittant sans n’avoir rien décidé».

Il précise alors qu’aucun préalable ne doit être posé ni à la tenue de ce sommet ni à la relance de l’UMA. «La méthodologie pour cette fois est de laisser de côté les problèmes et faire un pas en direction d’une construction sûre de l’espace maghrébin». Et bien qu’il estime que «c’est un conflit qui a bloqué l’Union maghrébine et qui a été la cause de tous les problèmes, c’est (aussi) une réalité qu’on ne peut ignorer». Le responsable tunisien a fait comprendre que le conflit du Sahara Occidental sera élagué des éventuelles discussions que partageraient les chefs d’Etat maghrébins au cas où ils tiendraient leur sommet. «Le Sahara Occidental est une question difficile, épineuse et douloureuse sur le plan humain», a-t-il reconnu.

«Une fois les problèmes atténués et les frontières ouvertes, on procédera alors au lancement de projets communs, un impératif à l’instauration d’un climat de confiance susceptible d’ouvrir des voies de communication et de connaissance à même de créer des conditions politiques et psychologiques nouvelles favorisant la résolution du conflit, de manière à préserver l’honneur ainsi que les intérêts communs», a-t-il expliqué. Il a pris cependant le soin, avant toute chose, de rappeler que «le règlement du conflit du Sahara Occidental relève des Nations unies».

UN ESPACE MAGHREBIN SANS FRONTIERES ?

Interrogé pour savoir s’il pouvait penser à une relance de l’UMA «avec des frontières algéro-marocaines fermées», le président tunisien par intérim a répondu d’emblée : «Bien sûr que non ! Nous voulons une UMA sans frontières, sinon ça n’a pas de bon sens !». Il note : «Ce que j’ai senti, c’est qu’il y a une volonté de régler ce problème. Nous sommes dans une perspective de lancement parce que les révolutions ont remis à l’heure les pendules arabes». Ce qui donne forcément, selon lui, «une nouvelle reconfiguration de l’espace maghrébin et ça pourrait se faire avant même la tenue d’un sommet».

Marzouki a indiqué qu’il est tombé d’accord avec le président Bouteflika pour l’ouverture de l’espace maghrébin sur la base de 5 principes : la liberté de circulation, la liberté d’expression, la liberté politique, la liberté d’entreprendre et le respect des droits de l’homme. Il est convenu, selon lui, pour cela de «réviser totalement les fonctions de l’UMA, ses structures techniques et instances politiques ainsi que leurs missions respectives. Il est aussi question de réactiver les accords conclus au profit des peuples».

A propos des relations avec l’Arabie Saoudite, où séjourne le président déchu, Zine El Abidine Ben Ali, Marzouki a affirmé que «nous voulons que nos frères saoudiens nous livrent celui qui a volé des milliards au peuple tunisien, celui qui a pillé le pays, qui a été un dictateur. Mais ceci n’altère en rien nos relations avec ce pays frère».

Le renvoi par la Tunisie de l’ambassadeur syrien, «comme l’ont voulu et fait les Américains et les Français», lui fait dire que «c’est une décision souveraine et personne ne nous l’a dictée. Nous avons renvoyé l’ambassadeur parce qu’il représente un régime qui a perdu toute sa crédibilité depuis qu’il assassine son peuple». Il espère, dit-il, que «la solution en Syrie serait celle trouvée au Yémen». Tunis n’est par ailleurs pas prête à «renvoyer» le ministre de l’Intérieur libyen dans son pays. «La Tunisie n’a pas de problèmes avec la Libye, mais tant que ses institutions politiques et judiciaires n’ont pas été mises en place, l’honneur tunisien ne nous permet pas de livrer El-Baghdadi El-Mahmoudi à la Libye. Mais dès qu’elle aura toutes ses instances légitimes, on le fera».

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