Sénégal : Les fantômes qui hantent la campagne de Wade

Le président Abdoulaye Wade continue de sillonner le pays comme si de rien n’était. Mais dans son for intérieur, il sait que trois « fantômes » continuent de hanter sa « campagne » électorale : la controverse au sujet de la violation de la Constitution ; l’échec de son bilan et son âge avancé.

UNE CANDIDATURE DE TROP QUI VIOLE LA CONSTITUTION

Même si le Conseil constitutionnel a validé la candidature d’Abdoulaye Wade, probablement sous l’emprise de la peur et l’effet de la corruption, celle-ci n’en est pas pour autant légitime. Personne n’a oublié sa propre déclaration de mars 2007 devant le peuple sénégalais, lors de sa conférence de presse après sa « réélection » : « Je ne peux plus me présenter pour un autre mandant, car j’ai verrouillé la Constitution». Et voilà que cinq ans plus tard, après l’échec de son plan de dévolution monarchique du pouvoir, il se dédit devant le peuple sénégalais et l’opinion internationale. C’est cette honteuse volte-face, indigne d’une personne de son âge, et président de la République de surcroît, qui lui a valu d’être la risée de l’opinion publique, qui lui a collé le nom de « Wade Wax Waxeet » ou 3W (NDLR : «Wade qui dit et se dédit» en langue local wolof ! )

Ce reniement de sa parole est une honte pour lui-même, son parti et toute la valetaille qui soutient sa candidature. Celle-ci a incontestablement terni l’image du Sénégal en Afrique et ailleurs dans le monde. Un président de la République, âgé de près de 90 ans, qui regarde ses petits-enfants et arrière-petits-enfants dans les yeux pour leur dire qu’il renie sa parole sur un sujet aussi fondamental que la Constitution a de quoi donner la nausée!

C’est cela qui nourrit et galvanise l’opposition à un troisième mandat menée par le M23, regroupant toutes les forces vives du pays ayant à cœur de défendre la Constitution du Sénégal. Ce combat est légitime et mérite le soutien et l’adhésion de tout le peuple sénégalais, car c’est un combat pour la démocratie, l’Etat de droit, le respect des citoyens par les élus et pour préserver l’image du Sénégal en Afrique et dans le monde.

C’est cela également qui a amené certains pays occidentaux, comme la France et les Etats-Unis, à exprimer leurs réserves quant à la candidature du président sortant. Ainsi donc, vomi par la majorité du peuple sénégalais, suscitant les réprobations à peine voilées de la part de ses « amis » occidentaux, surveillé par le Conseil des Droits de l’Homme des Nations-Unies, le président Wade a dû se rendre compte que malgré les apparences, son coup d’Etat constitutionnel risque de lui coûter très cher.

LE BILAN DESASTREUX DU LIBERALISME TROPICAL

Le deuxième « fantôme » qui hante la campagne du président Wade est son bilan économique et social catastrophique en dépit de ses propres déclarations et celles de ses thuriféraires. Tout leur discours sur les « réalisations » du régime libéral est construit autour des infrastructures.

On notera d’abord que ces infrastructures sont pour l’essentiel limitées à Dakar et ses environs. Ensuite, le coût de ces infrastructures est estimé exorbitant par la plupart des experts en travaux publics. Le livre d’Abdou Latif Coulibaly «Contes et mécomptes de l’Anoci » fait des révélations fracassantes sur les surfacturations, les dépenses fictives et les marchés de gré à gré portant sur des centaines de milliards. Jusqu’à ce jour, il n’y a pas eu de réponse convaincante à ces révélations de la part de M. Karim Wade et de ses mercenaires de la plume.

En vérité, cette opacité dans la gestion des travaux de l’Anoci et d’autres chantiers, comme le monument de la « Renaissance », a surtout servi à enrichir une minorité d’individus. C’est cette classe de « nouveaux riches » qui pousse le président sortant à s’accrocher au pouvoir au mépris des dispositions de la Constitution.

Sur le plan économique et social, l’expression « Barça ou Barsax» (Ndlr : slogan brandit par les émigrés clandestin pour empruntaient les pirogues pour aller en Espagne) résume à elle seule l’échec du régime libéral. Cette expression traduit le drame de la jeunesse sénégalaise à qui Wade avait promis monts et merveilles en 2000. Mais le libéralisme tropical a détruit le tissu industriel du pays et mis le secteur agricole dans une crise profonde dont il lui sera difficile de se relever. Les privatisations et l’accentuation de la libéralisation du commerce ont fait disparaitre des pants entiers de notre tissu industriel, allant du secteur textile aux industries alimentaires. Les grèves de la faim d’ex-employés de certaines de ces industries ont plusieurs fois fait la une des journaux à plusieurs reprises. .

Le secteur agricole a été à la fois victime d’un libéralisme sauvage et aveugle et des promesses chimériques nommées REVA (Retour vers l’agriculture) et GOANA (Grande offensive agricole pour la nourriture et l’abondance). Ces deux initiatives ont servi de prétexte à la spoliation des communautés villageoises et à l’enrichissement illicite de fonctionnaires et lobbies maraboutiques liés au régime. Mais à l’arrivée, elles ont été des faillites retentissantes comme l’illustrent les menaces de famines récurrentes dans le monde rural. Chaque année, le Conseil national de concertation des ruraux (CNCR) tire la sonnette d’alarme sur la dégradation de la situation des petits paysans. .

La crise de l’agriculture paysanne a aggravé l’insécurité alimentaire dans le monde rural. Le Rapporteur spécial des Nations-Unies pour le droit à l’alimentation, M. Olivier de Shutter, avait déclaré en janvier dernier, que « la situation de l’insécurité alimentaire au Sénégal est alarmante ». Et il ajoutait que le gouvernement du Sénégal, pour des raisons électoralistes, était réticent à lancer un appel à l’aide internationale, car ce serait reconnaître l’échec de ses politiques agricoles. Mais les agences des Nations-Unies l’ont fait à sa place, car elles viennent de déclarer que la famine menace quelque 800.000 personnes dans les régions de Kaffrine, Louga et Tambacounda. Voilà un démenti cinglant aux affirmations répétées du président Wade selon lesquelles le Sénégal aurait atteint «l’auto-suffisance alimentaire» !

La dégradation de la situation économique et sociale dans le monde rural n’a pas épargné le secteur urbain. La destruction du tissu industriel a fait grimper le chômage à des niveaux sans précédent. On estime que plus de 45% des personnes en âge de travailler sont confrontées au chômage et au sous-emploi.

Le chômage endémique et l’absence de perspectives d’avenir ont jeté la jeunesse dans le désespoir. Au point que son seul espoir réside dans la fuite vers l’inconnu. L’expression « Barça ou Barsax», rappelée plus haut, résume le drame auquel est confrontée la jeunesse de notre pays. Des milliers d’entre eux ont ainsi perdu la vie au fond des mers, en tentant de rejoindre l’Europe dans des embarcations de fortune.

Cette fuite désespérée de milliers de jeunes illustre les espoirs déçus ou trahis d’une jeunesse qui avait joué un grand rôle dans la victoire du président Wade en 2000. Voilà pourquoi l’écrasante majorité de la jeunesse lui a définitivement tourné le dos, une rupture dont le mouvement « Y en a marre » est le symbole le plus visible.

Toujours sur le plan social, le régime libéral a accentué la pauvreté et la précarité dans les centres urbains et surtout dans le monde rural. Les denrées de première nécessité ont vu leurs prix flamber au point de rendre la vie insupportable pour la majorité du peuple sénégalais, y compris pour les classes moyennes. La presse sénégalaise a rapporté de nombreux cas de familles obligées de se rabattre sur le riz donné en aumône aux talibés pour pouvoir se nourrir, parce que le prix du riz est hors de portée des revenus modestes. Plus de la moitié de la population sénégalaise vit en dessous du seuil de pauvreté. Le Sénégal est parmi les pays se situant au bas de l’indice de développement humain du Programme des Nations-Unies pour le développement (PNUD) et il reste un pays moins avancé (PMA) !

Donc, toutes les déclarations de Wade selon lesquelles le Sénégal est devenu un pays « émergent » ne sont que du délire.

Un autre dossier au passif du régime libéral est la ruée vers les terres des paysans. Le président Wade et son régime se comportent comme si toutes les terres du pays leur appartenaient. Non seulement ils se sont octroyé des milliers d’hectares mais en aussi ont distribué à leurs amis à tort et à travers. Cet accaparement des terres a renforcé la corruption qui est devenue une des caractéristiques principales de ce régime. Face aux abus dont elles sont victimes, les populations se sont organisées pour résister. Cette résistance légitime a connu dans certains endroits un dénouement tragique, comme à Fanaye où deux personnes ont perdu la vie en s’opposant au bradage de leurs terres à une société italienne. Même dans la ville natale du président à Kébémer, des paysans l’ont récemment accusé d’avoir arbitrairement pris leurs terres. Après leur sortie dans les médias, certains d’entre eux ont été tout simplement arrêtés.

SON AGE AVANCE LE DISQUALIE

Le troisième « fantôme » qui hante la tournée du président Wade est son âge très avancé. A près de 90 ans, il est évident que Wade ne peut pas diriger ce pays, quoiqu’il dise ou quoique disent ses flagorneurs. Il n’en a plus les capacités physiques et intellectuelles. D’ailleurs, certaines de ses déclarations illustrent bien cela. Quand il qualifie de « brise » les manifestations contre sa candidature qui ont entraîné la mort de plusieurs personnes et de nombreux blessés, cela dénote non seulement une insensibilité à la douleur des familles endeuillées mais également l’état d’esprit d’un homme qui a commencé à perdre contact avec la réalité.

A supposer même que son âge officiel (87 ou 88 ans ?) soit vrai – ce que certains contestent -, comment peut-on accepter de confier les destinées du pays à un tel homme pour les sept prochaines années ? Beaucoup de Sénégalais se demandent pourquoi sa famille et ses partisans le poussent à entrer coûte que coûte dans cette campagne de trop? L’ivresse du pouvoir sans doute. Mais aussi, la peur de voir venir l’heure de rendre des comptes.

CONCLUSION

Au vu de tout ce qui précède, il est évident que le président Wade est totalement disqualifié pour briguer un troisième mandat. La Constitution, la morale et le bon sens s’opposent à cette candidature. S’il persiste et refuse d’entendre raison, le jour du scrutin, le 26 février, le peuple aura l’occasion de lui ôter ses dernières illusions, en ignorant tout simplement son bulletin.

PAMBAZUKA NEWS, 20/2/2012

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