Alger et Washington ne filent pas le parfait amour !

Par Noureddine Khelassi
Pierre Reverdy, poète et peintre surréaliste mais un brin réaliste, a dit qu’«il n’y a pas d’amour, il n’y a que des preuves d’amour». Il en va ainsi des relations romantiques de couples comme des rapports moins idylliques entre Etats. Entre Alger et Washington, en dépit de déclarations enflammées, de gages d’affection donnés et d’effusions sentimentales célébrées par des journalistes algériens énamourés, les deux capitales n’ont jamais filé le parfait amour. La courte visite à Alger, longtemps espérée, beaucoup attendue et deux fois reportée de la grande dame de la diplomatie américaine, Hillary Clinton, n’annoncerait pas une lune de miel entre les deux partenaires. Loin s’en faut. Une hirondelle, même blonde et en tailleur Chanel, ne ferait pas le printemps des relations algéro-américaines. Et pour cause. 
Depuis toujours, les rapports entre les deux pays ont été frappés au coin du bon sens, marqués qu’ils sont par le pragmatisme, le réalisme et la froide raison. Même si ces liens se sont sensiblement développés depuis la fin du siècle dernier, notamment dans les hydrocarbures et la lutte contre l’insécurité, l’Algérie n’est pas devenue pour autant un pays pivot, pas plus qu’elle n’est un partenaire essentiel des Etats-Unis en Afrique du Nord. Alger n’est pas une première destination pour les premiers responsables américains. 
Depuis 1999, année de l’avènement du président Abdelaziz Bouteflika qui s’est rendu aux Etats-Unis en 2001, c’est la troisième visite d’un secrétaire d’Etat à Alger. L’Algérie a reçu Collin Powell et Condoleeza Rice et, cette fois-ci, accueille Hillary Clinton pour une brève escale. L’ancienne first lady des Etats-Unis, après les deux voyages à Washington de Mourad Medelci, se rend à Alger après un séjour à Tunis et avant une plus longue visite à Rabat. La réciprocité diplomatique et la bienséance protocolaire ne sont donc pas les seuls baromètres de la qualité et du volume des rapports entre les deux pays. L’Algérie est certes le plus gros marché des Etats-Unis dans le monde arabe et Washington est son premier client et son troisième fournisseur. 
Les Américains sont le plus important investisseur dans les hydrocarbures et ont fait des percées remarquables dans la pharmacie, les télécommunications et l’informatique. Les deux pays ont signé en 2001 un accord cadre sur le commerce et l’investissement. Ce tableau positif est complété, depuis le 11 septembre 2001, par une coopération sécuritaire étroite qui vaut à l’Algérie, bonne fille et coopérative, les satisfecits et les accessits de l’Oncle Sam. Les limiers du FBI, les analystes de la CIA et les grandes oreilles de la mystérieuse NSA trouvent en Algérie disponibilité, matière, écoute, échos, réponses et relais correspondants. Reste que la coopération sécuritaire, à bien des égards intensive, soutenue et inscrite dans une vision stratégique d’éradication d’Aqmi, de ses affiliés et de ses affidés dans le Sahel, n’est pas tout à fait exemplaire. Si les Américains ont fini par fournir des équipements pointus, qui ont permis aux services de sécurité algériens d’être encore plus efficaces dans la gestion de la menace terroriste, la coopération entre les deux parties est loin d’être la plus complète possible. 
Contrairement au Maroc, l’ANP n’a pas accédé aux plus récentes technologies en matière de cryptologie (traçage des mails, par exemple) et de verrouillage des communications, notamment l’isolement des systèmes mobiles. L’Algérie ne bénéficierait pas non plus de programmes du département d’Etat tels l’ATA, l’Anti-Terrorism Assistance, et le TIP, le Terrorism Interdiction Program, contrairement au Maroc. Le frère ennemi marocain, qui jouit désormais du statut stratégique d’allié majeur non membre de l’OTAN, reçoit plus de 70% de l’aide militaire américaine à l’ensemble du Maghreb. Sur ce plan, l’Algérie n’est pas le pilier de la sécurité régionale des Etats-Unis, rôle traditionnellement dévolu au Maroc, point d’appui vital pour la sixième flotte américaine en Méditerranée. 
La coopération militaire obéit à des identificateurs et des différenciateurs historiques, idéologiques et diplomatiques. Pendant la guerre d’Algérie, les Etats- Unis ont soutenu la France, alors membre de l’OTAN. L’Algérie boumédiéniste était amie du camp soviétique, tiers-mondiste et anti-impérialiste. Ces orientations déterminaient la nature, le format et les sources d’alimentation de son système de défense, essentiellement soviétique. La diplomatie favorisera toutefois l’acquisition de matériels américains. Alors, en 1981, pour remercier l’Algérie d’une aide diplomatique inestimable, les Etats-Unis lui vendent quelques Hercules C 130-H. Et, depuis cette gratification exceptionnelle, des Gulfstream de transport et des Beechcraft de reconnaissance. Ni plus ni moins. Depuis lors, l’actuel chef d’état-major de l’ANP a été reçu aux Etats-Unis. Des officiers algériens, pas nombreux, y sont formés. L’ANP est intégrée à un système de coopération, au Nord, avec le Dialogue Méditerranée (DM), mais aussi au Sud, au Sahel. 
Sur le fond, bien des divergences existent entre les deux pays. Sur bien des dossiers, l’Algérie n’a pas le doigt rigide sur la couture du pantalon. Elle sait encore dire non. Elle a refusé d’accueillir le siège de l’Africom. Elle s’oppose et s’affirme sur les dossiers palestinien et sahraoui. Sur la gestion militaire et sécuritaire de la menace islamiste dans le Sahel, aussi. Sur ses intérêts vitaux dans le gaz et le pétrole, également. Ou encore sur l’intervention militaire dans les pays ébranlés par le Printemps arabe. Entre Alger et Washington, ça se voit et ça s’entend, il y a du béguin. Jamais, le grand amour.

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