C’est une tradition instaurée par Felipe González et respectée depuis par tous les chefs du gouvernement récemment débarqués à La Moncloa. Le premier déplacement à l’étranger honore systématiquement le voisin marocain. Ainsi, le 19 janvier dernier, Mariano Rajoy s’est rendu à Rabat, pour sa première visite officielle à un chef d’Etat étranger. L’homme fort du Parti populaire (PP) est arrivé dans un contexte particulier, notamment après les déclarations de l’islamiste modéré, nouveau responsable de l’exécutif marocain, Abdelilah Benkirane, qui concédait, vingt-quatre heures avant la rencontre entre les deux hommes : « Nous sommes voisins et donc obligés à nous entendre du mieux possible. Même si cela sera peut-être plus compliqué avec Rajoy »
Durant sa campagne pour les élections générales, Mariano Rajoy avait laissé entendre qu´il dérogerait à la tradition instaurée par Felipe González voulant que tout nouveau président espagnol élu se rende en premier au Maroc. En quittant le pouvoir en 1996, le premier président de gouvernement socialiste de l´ère démocratique en Espagne avait fait cette recommandation à son successeur du Parti populaire, José María Aznar. A son tour, José Luis Zapatero donnera ce même conseil à Mariano Rajoy, dans un premier temps peu enclin à suivre la tradition.
A la surprise générale, alors que tout le monde l´attendait à Bruxelles, le nouveau président avait tout de même choisi de se rendre au Maroc, le 19 février dernier, pour son premier déplacement après investiture. Quelques jours auparavant, l’homme fort du PP clamait pourtant que l´Europe était sa « priorité des priorités ». Sa première ambition étant de faire entrer l´Espagne dans le « noyau dur » des décideurs aux côtés de la France et de l’Allemagne.
De José María Aznar, « l’homme qui hait le Maroc », à Mariano Rajoy, « l’ennemi du Maroc »
Lorsque l´ancien président conservateur, José María Aznar, avait bloqué l´initiative de Jacques Chirac destinée à faire adopter par les pays de l´Union européenne une position sur le Sahara occidental alignée sur celle de la France, il avait eu droit, lors de sa seconde visite officielle à Rabat -au début des années 2000-, aux plus virulents commentaires de la presse, un quotidien marocain titrant même en grandes manchettes : « L´homme qui hait le Maroc ».
La crise diplomatique qui a suivi entre Madrid et Rabat sur fond de conflit de Perejil, en juillet 2002, lorsqu’une unité amphibie espagnole ira déloger le groupe de gendarmes marocains qui venait d’occuper ce rocher litigieux situé à 300 m des côtes marocaines, apportera la preuve que l´inflexible Aznar ne se laisse pas intimider par les manœuvres du roi Mohammed VI.
Plus récemment, c’est Mariano Rajoy qui a été la cible d´une manifestation massive à Casablanca, organisée par le pouvoir conjointement avec onze partis politiques, le qualifiant d´ »ennemi du Maroc ».
Le premier reproche attribué à Mariano Rajoy remonte déjà à quelques années. Alors qu’il était encore leader de l´opposition, il avait eu la maladresse de déplorer l´assaut brutal lancé le 8 novembre 2010 par les forces d´occupation au Sahara occidental pour déloger les 20.000 Sahraouis qui avaient pris place dans le camp de protestation pacifique de Gdeim Izik, situé aux abords d´Al Ayoune.
Des relations litigieuses qui trainent depuis plus de 500 ans
Les relations hispano-marocaines traînent derrière elles plus de 500 ans de conflits et de crises intermittentes. Pourtant, l’Espagne et le Maroc ont un long passé historique commun, des affinités culturelles qui remontent loin dans l’histoire. Tout cet héritage commun devrait plutôt unir les deux pays au lieu de les séparer.
Beaucoup de litiges planent sur ces relations fragiles : le retour de l´Espagne à sa position traditionnelle de soutien à l´autodétermination au Sahara occidental, le statut des villes enclavées Ceuta et Melilla, considérées comme « villes occupées » par le Maroc. Mais aussi le laxisme des autorités marocaines dans la lutte contre l´émigration clandestine et le trafic de drogue, des phénomènes souvent exploités comme instruments de pression sur Madrid.
L´importance de tous ces thèmes va bien au-delà des visites protocolaires, il n´est pas sûr que la multiplication de ces petits gestes d´apaisement puisse suffire pour faire l´impasse sur ces dossiers litigieux qui empoisonnent les relations bilatérales depuis de nombreuses années. Certes, ces relations sont privilégiées au plan économique et commercial, l´Espagne étant le second investisseur au Maroc après la France, et son second client.
Mais les récents changements entrainés par le printemps arabes pourraient avoir de nombreuses répercutions pour la politique méditerranéenne de la Péninsule.
Le printemps arabe pourrait changer la politique méditerranéenne de l’Espagne
Les répercussions du printemps arabe sont loin d’être terminées. Alors que les processus politiques qui ont conduit la révolte arabe peuvent engendrer liberté et développement, ou causer frustration et chaos, la position géostratégique de l’Espagne sera affectée sur le long terme.
La vague de liberté, née en 2011, qui s’est écrasée contre l’autoritarisme, n’a sûrement pas dit son dernier mot et continuera probablement sa route en parcourant le Maghreb et le Moyen-Orient pendant des années. Une situation qui devrait conduire à une redéfinition de la politique étrangère espagnole de l’espace méditerranéen. L’Espagne est probablement le pays de l’UE qui a plus à gagner, si les changements dans le monde arabe conduisent à la prospérité, à une plus grande stabilité et à la démocratie. Il est temps que la politique méditerranéenne de l’Espagne soit guidée vers des projets plus réalistes, soit plus pratique et plus cohérente que celle employée au cours de ces dernières années.
En revanche, à l’inverse, si les transitions enclenchées par les révoltes entraînent la mise en place de politiques encore plus autoritaires, l’Espagne sera alors à la limite d’un profond fossé entre le nord et le sud de la Méditerranée.
Le nouveau gouvernement espagnol dirigé par Mariano Rajoy a là une opportunité exceptionnelle de reprendre le leadership dans la région méditerranéenne avec des propositions ambitieuses, courageuses et cohérentes, d’après les besoins d’une région en pleine mutation.
Benjamain IDRAC et Priscyllia CANABATE
Lepetitjournal.com ( Espagne) Lundi 27 février 2012
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