La partition du Mali est faite. Mais le 55e Etat d’Afrique est-il pour autant né ? Dans les faits certes, oui. Mais pas en droit. Le plus dur pour les indépendantistes reste à faire. Si cela avait été si facile, le Sahara Occidental, pourtant membre de l’Union africaine n’aurait pas autant de peine à se faire une place sur la scène internationale. Si cela avait été si simple, le Somaliland aurait, pour les mérites qu’il a de connaitre un développement soutenu, paisible et harmonieux aux côtés d’une somalie en déliquescence, déjà obtenu cette reconnaissance internationale. Si cela avait été si simple, le Soudan du Sud n’aurait pas mis 25 ans à devenir un Etat indépendant et souverain. En clair, les victoires militaires foudroyantes ne suffisent pas pour constituer un Etat. Et le MNLA qui vient de proclamer l’indépendance du territoire de l’Azawad ne va pas tarder à s’en rendre à l’évidence.
L’empressement du Mouvement national de libération de l’Azawad à proclamer l’indépendance du territoire pris à l’armée malienne ces derniers jours devrait en principe venir cristalliser une situation dont la connaissance et la maîtrise des paramètres posait jusque-là problème. Elle marque en tout état de cause, comme annoncé par le mouvement rebelle la fin des opérations militaires contre l’armée loyaliste. A l’issue de cette véritable blitzkrieg, la totalité du territoire revendiqué, c’est-à-dire l’Azawad malien a été conquis. L’occasion de déterminer désormais avec précision les forces en présence et les intentions réelles de chacune d’entre elles. S’il est connu que le MNLA consent à se contenter des territoires désormais sous son contrôle, les intentions d’autres groupes affiliés comme le groupe Ançar Dine et Al Qaïda au Maghreb islamique (Aqmi) sont moins clairs. Avec la déclaration d’indépendance de l’Azawad, toute nouvelle offensive sur les villes encore sous contrôle de l’armée malienne, comme Mopti, Ségou, voire Bamako, ne serait que l’œuvre de mouvements dont l’intention serait de faire du Mali une république islamique. Hypothèse qui laisse présager une future détérioration des relations entre le MNLA laïc, dont les territoires seraient alors tout autant menacés, et ces groupes rebelles islamistes.
En attendant d’en arriver là, il y lieu d’analyser la « déclaration solennelle d’indépendance de l’Azawad » par le porte-parole du MNLA, Mossa Ag Attaher. Une déclaration d’indépendance qui a peu de chances d’avoir un écho favorable au sein de la communauté internationale. Et pour cause. Pour se constituer en Etat, il est indispensable que certaines conditions sine qua non soient réunies. Il s’agit d’un territoire, d’une population, d’unpouvoir politique et de la reconnaissance internationale qui octroie lasouveraineté. Dans le cas de l’Azawad, chacun de ces éléments est plus ou moins vicié. A telle enseigne que les incessantes réprobations internationales de cette déclaration unilatérale d’indépendance sont pleinement justifiées.
D’abord, le territoire azawadi a été conquis par la force. En dépit du fait qu’il existe désormais matériellement, la méthode d’acquisition utilisée est complètement réprouvée par le droit international. La Charte des Nations Unies interdit en effet toute forme d’agression d’un Etat par une quelconque entité, fut-ce un groupe revendiquant son droit à l’auto-détermination. Au surplus, le principe de l’intangibilité des frontières issues de la colonisation s’oppose à toutes ces revendications communautaristes dont l’accumulation risquerait à terme de provoquer une nouvelle balkanisation de l’Afrique. La question touarègue ne peut trouver solution par une partition du Mali, à moins de présager d’une partition prochaine de la Mauritanie, de l’Algérie, du Burkina-Faso, du Niger, de la Libye, voire même du Bénin.
Quant à la population, il est entendu que tous les habitants de la région de l’Azawad ne sont pas Touaregs. Rien n’atteste non plus du fait que les Touaregs de l’Azawad ont effectivement mandaté le MNLA pour agir et combattre en leur nom. Or, dans un Etat, il doit exister un lien d’allégeance entre le peuple et l’Etat : la nationalité. Ce rattachement qui marque chez le citoyen le sentiment d’appartenir à un tel Etat. Chose qui dans la nouvelle république auto-proclamée, n’a pas encore été véritablement attestée. Sans doute existe-il, c’est indubitable, des populations touarègues parfaitement en phase avec la création d’un Etat tout à leur communauté et rien qu’à leur communauté. Mais le chemin pour en arriver là est encore long à parcourir.
Au surplus, le pouvoir politique, l’autorité qui doit faire foi par-dessus toutes les autres au sein de l’Azawad est encore méconnue. Le MNLA n’a pas encore fait connaître son gouvernement, ni le mode de gestion politique de l’Etat qu’il entend mettre en œuvre. Quid de la séparation des pouvoirs ? De l’Etat de droit ? Du Gouvernement ? Du Président de la République ? Nenni. L’immense flou artistique que vient renforcer la présence, voire la prééminence des groupes islamistes et même de mouvements de résistance pro-maliens sur le territoire, ne permet nullement à l’heure actuelle à l’Azawad de prétendre disposer d’un pouvoir politique fiable et viable.
Enfin, la souveraineté, cette notion de droit international par laquelle l’Etat sur son territoire n’a que des sujets et à l’extérieur de son territoire n’a que des égaux est loin d’être opposable par les leaders de l’Azawad. En effet, sans reconnaissance internationale, notamment celle du conseil de sécurité des Nations unies, l’Etat n’existe pas juridiquement. Et ne peut donc exercer sa souveraineté. Or, à l’heure actuelle, pas un seul Etat n’a reconnu et ne devrait reconnaître d’ailleurs la qualité d’Etat au territoire de l’Azawad. Bien au contraire, tous les appels à un règlement pacifique du différend rappellent le caractère indivisible de l’Etat malien. Il se précise même que la CEDEAO serait prête à tenter une action militaire dans l’optique de la fin de la partition du Mali.
Le 55e Etat d’Afrique n’est donc pas encore né. Pas d’un point de vue juridique en tout cas. Mais d’un point de vue factuel, sans doute. Il parait extrêmement illusoire de pouvoir reprendre l’Azawad des mains de ses nouveaux maîtres en comptant uniquement sur les sanctions économiques et les capacités militaires de ce qui reste de l’armée malienne et la force en attente de la CEDEAO. La reconquête d’un territoire d’une telle immensité requerra bien plus que de la force brute, des capacités de persuasion. Sinon, l’Azawad, 55e Etat d’Afrique, c’est peut-être déjà pour demain.
James-William GBAGUIDI, 6/04/2012
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