Maroc-ONU : la cassure

Le Maroc a décidé de retirer sa confiance à l’envoyé personnel du secrétaire général des Nations unies pour le Sahara occidental. Une décision unilatérale qui intervient quelques semaines après le rapport accablant contre Rabat présenté par Ban Ki-moon aux membres du Conseil de sécurité. 

Tarek Hafid – Alger (Le Soir d’Algérie, 19/05/2012) – Rien ne va plus entre le roi Mohammed VI et le secrétaire général de l’ONU. Rabat a décidé, jeudi, un retrait de confiance unilatéral envers Christopher Ross, l’envoyé spécial de Ban Ki-moon pour le Sahara occidental. Ross est accusé d’avoir appliqué «dans plusieurs cas» une «méthode déséquilibrée et partiale » pour mener sa mission, précise un communiqué. «Les comportements contrastés de M. Ross s’écartent des grandes lignes qui ont été tracées par les négociations dans le Conseil de sécurité. Pour cela, le Maroc a décidé de retirer sa confiance», note ce communiqué attribué au gouvernement islamiste mais qui est, en réalité, une «sentence» royale prise par le roi Mohammed VI. 
En fait, le Maroc n’a jamais été satisfait de la nomination de Christopher Ross. En 2008, les autorités de ce pays avaient attendu plusieurs mois avant de donner leur accord à son installation à ce poste. Une réaction qui intervenait suite au départ de Peter Van Walsum, zélé défenseur du Maroc, qui avait déclaré devant les membres du Conseil de sécurité de l’ONU que «l’indépendance du Sahara occidental n’est pas une option réaliste». En lui succédant, Ross s’est montré inflexible dans sa gestion du dossier sahraoui. 
Le dernier rapport du secrétaire général de l’ONU, qui se base essentiellement sur des données présentées par son envoyé personnel, est une preuve de cette inflexibilité. Ce rapport avait fait état de la nécessité de prendre en compte la question de la protection des droits de l’Homme des populations sahraouies dans les territoires occupés et dénoncé les mesures mises en œuvre par les autorités marocaines pour limiter l’action des membres de la Mission des Nations unies pour l’organisation d’un référendum d’autodétermination au Sahara occidental (Minurso). Ces dernières semaines, un véritable bras de fer avait opposé les autorités marocaines à Christopher Ross après qu’il eut annoncé son intention de se rendre dans les territoires occupés dans le cadre d’une tournée dans la région. Une initiative rejetée en bloc par le palais. 
En agissant de la sorte, le Maroc risque de se discréditer au sein de la communauté internationale. Ancien ambassadeur des Etats-Unis à Alger et à Damas, Ross a été nommé à plusieurs postes de responsabilité au sein du département d’Etat américain, notamment dans la lutte antiterroriste. Diplomate avisé, il bénéficie toujours de l’appui de Washington dans sa mission actuelle. Le Front Polisario a réagi jeudi pour dénoncer ce qu’il considère être une décision «infondée et arbitraire» du Maroc. «Le Front Polisario et le gouvernement de la République sahraouie estiment infondée et arbitraire la décision du royaume du Maroc de retirer sa confiance à l’envoyé personnel du secrétaire général de l’ONU, M. Christopher Ross, dans la poursuite de la mission qui lui a été confiée par le secrétaire général et le Conseil de sécurité pour la recherche d’une solution juste et durable au conflit du Sahara occidental, garantissant le droit du peuple sahraoui à l’autodétermination. Cette décision, aussi grave qu’injustifiée, est un nouveau défi intolérable et inadmissible du Maroc à la communauté internationale, au secrétaire général et au Conseil de sécurité qui, dans sa résolution 2044, du 24 avril 2012, a considéré le statu quo inacceptable et a “réaffirmé son soutien à l’envoyé personnel du secrétaire général pour le Sahara occidental, Christopher Ross, et à l’action qu’il mène pour faciliter les négociations entre les parties”.» En agissant de la sorte, le Maroc veut s’arroger sans vergogne le droit de dicter au secrétaire général le contenu de ses rapports au Conseil de sécurité et de décider de la conduite que doit suivre son envoyé personnel au Sahara occidental. Comme il veut, par là même, tout faire pour réduire à néant la crédibilité et neutralité opérationnelle de la Minurso, décriées dans le dernier rapport du secrétaire général, bloquer le processus de paix et continuer à violer impunément les droits humains dans les territoires sahraouis occupés», souligne un communiqué du ministère de l’Information de la République sahraouie. 
Pour sa part, le secrétaire général de l’ONU, à travers son porte-parole, a affirmé accorder «toute sa confiance» à Christopher Ross. Sur le plan international, le retrait de confiance unilatéral décidé par le Maroc a fait réagir, hier, la France, son allié traditionnel. Pour sa première sortie officielle sous l’ère du président François Hollande, le ministère des Affaires étrangères a appelé à un «règlement rapide du différend». «La France a pris note de la déclaration du Maroc, qui a décidé de retirer sa confiance à l’envoyé personnel du secrétaire général de l’ONU pour le Sahara occidental, Christopher Ross (…), le règlement de ce différend doit tenir compte des préoccupations légitimes de toutes les parties», a affirmé Bernard Valero, le porte-parole du ministère français des Affaires étrangères. La question du Sahara occidental a toutefois provoqué un malaise au sein du nouveau gouvernement du Parti socialiste suite à la publication d’une lettre adressée par Jean-Marc Ayrault, alors président du groupe socialiste à l’Assemblée française, à Régine Villemont, présidente de l’Association des amis de la République arabe sahraouie démocratique. Dans cette correspondance, le Premier ministre avait indiqué que les «socialistes, dans leurs déclarations publiques, s’en tiennent, depuis l’occupation du territoire par le Maroc, à une position privilégiant le respect du droit international et du droit à l’autodétermination des peuples colonisés». Même si la position de la France envers le palais royal ne risque pas de changer subitement, la question du soutien indéfectible au Maroc devrait créer des tensions entre certaines «ailes» du Parti socialiste. 

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