PAR FOUÂD HARIT
Afrik.com, 08/06/2012
Par tous les moyens, le gouvernement marocain tente d’expliquer pourquoi une hausse du prix du carburant dans le royaume est, selon lui, nécessaire. Pour rassurer ses compatriotes, le chef du gouvernement, Abdelilah Benkirane, est même intervenu, à sa demande, en direct à la télévision mercredi soir. En vain.
« Préserver la crédibilité financière et économique du Maroc ». C’est, en quelque sorte, la raison pour laquelle Abdelilah Benkirane et son équipe ont pris la décision, la semaine dernière, d’augmenter le prix du carburant. Pour compléter les maintes explications apportées aux Marocains, le ministre délégué auprès du ministre marocain de l’Economie et des finances chargé du Budget, Driss El Azami El Idrissi, a réaffirmé ce vendredi au quotidien Aujourd’hui le Maroc l’importance d’augmenter le prix du carburant : « Pour que le risque Maroc ne soit pas atteint, afin d’avoir des financements à des coûts abordables, et mobiliser plus facilement les financements ». « Si nous ne faisons pas le choix d’augmenter les prix du gasoil et de l’essence, qui peut paraître à court terme négatif, on aura des difficultés à financer notre économie, on aura des taux d’intérêt qui vont grimper que ce soit à l’intérieur ou à l’échelle l’internationale, a-t-il expliqué.
A la rescousse des pauvres ?
Il y a, selon Driss El Azami El Idrissi, deux autres raisons qui ont poussé à instaurer cette augmentation : « Le deuxième niveau est d’avoir des niveaux de prix qui permettent la concurrence, mais également un raisonnement économique en ce qui concerne les matières premières », tandis que le troisième niveau est de « travailler sur le ciblage des populations les plus pauvres ».
Cette initiative ne plaît pourtant absolument pas aux usagers de la route et tout particulièrement aux classes les moins favorisées. Mais Benkirane rassure. Dans ses discours, le Premier ministre affirme que cette hausse ne changera rien à la situation des pauvres car ils n’utilisent pas les voitures.
Et les classes moyennes ? Le ministre délégué auprès du ministre marocain de l’Economie rassure à son tour et rappelle, toujours dans les colonnes du quotidienAujourd’hui le Maroc, les quelques mesures prises dans le cadre de la loi de Finances. « On peut se rendre compte que la classe moyenne a été ciblée autant que la classe des plus pauvres. Les 13 milliards de dirhams alloués au dialogue social, la mise en place du fonds de soutien social à 2,5 milliards de dirhams pour toucher les classes défavorisées, il y a la généralisation du Ramed qui touche quelque 8,5 millions de Marocains », assure-t-il. Et d’ajouter : « Il y a aussi l’aide directe pour permettre la scolarisation et la lutte contre la déperdition scolaire, il y a aussi le fonds de soutien familial avec 160 millions de dirhams. Les 400 millions de dirhams qui ont permis d’exonérer plus de 3,5 millions de familles de la taxe de promotion du paysage audiovisuel, il y a aussi l’augmentation pour la première fois, trente ans après, de la bourse aux étudiants à qui on a alloué une enveloppe de 300 millions de dirhams. » D’une certaine manière, El Azami explique que chaque couche sociale a eu droit à sa part et que cette augmentation devrait, en définitif, ne faire l’objet d’aucune contestation.
Ou du gouvernement ?
Mais si l’on se réfère à la carte de la pauvreté établie par le HCP, les communes rurales et urbaines qui ont le plus besoin de la compensation n’en profitent que peu ou prou. Et ce que le gouvernement ne dit pas, c’est que dans cette loi de Finances qui prévoyait un budget d’investissements de 50 milliards de dirhams (environ 4,5 milliards d’euros), le budget de compensation a été consommé à 80% à fin mai, c’est-à-dire en cinq mois ! Il faudrait près de 60 milliards de dirhams si aucun changement n’est opéré au niveau de cette caisse. L’augmentation du prix du carburant devrait donc recouvrir cet (énorme) écart.
Benkirane : « m’as-tu compris ou pas ? »
Mercredi soir, ils étaient 6 991 000 téléspectateurs à suivre en direct l’intervention télévisée d’Abdelilah Benkirane, en simultanée sur les chaînes d’Al Oula et de 2M. Le Premier ministre n’avait d’ailleurs presque pas eu besoin des deux journalistes venus l’interroger au sujet de cette augmentation du prix du carburant. Lorsque que Jamaa Goulehssen, journaliste à 2M, tente d’esquisser une question à Benkirane, voilà ce que le Premier ministre : « C’est moi qui aie demandé à ce que cette émission soit organisée, je ne te laisserai pas m’interrompre avec tes questions car ce que je dis est très important ». Interloqué, le journaliste réussira tout de même, avec toutefois un brin d’hésitation, à rebondir pour lui poser sa question.
Abdelilah Benkirane n’a évidemment pas révélé le fait qu’il était urgent de venir à la « rescousse du Budget de l’Etat » et surtout à « l’investissement public qui doit garder un rythme soutenu ». Durant le monologue, qui aura duré presque une heure, Benkirane n’a pas manqué de répéter 22 fois sa réplique fétiche, « Fhemtini oula lla » (m’as-tu compris ou pas, ndlr). A en croire certains médias locaux, il semble que la majorité des Marocains n’ont toujours pas compris.
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